Candidat pour la deuxième fois à la présidentielle d'octobre prochain, Maurice Kamto est sous le coup des critiques au sein de la classe politique camerounaise. Son passé au sein du gouvernement Biya jugé "peu glorieux" par ses détracteurs suit comme une tâche d'huile ses ambitions politiques d'aujourd'hui. Mais le président du MRC est bien déterminé à poursuivre son objectif, un retour sur son passage révèle la personnalité du candidat. Et
c'est un article que JeuneAfrique lui a consacré en 2005. Lisez plutôt
Intellectuel réputé pour son indépendance d'esprit, juriste respecté, le nouveau ministre délégué à la Justice symbolise l'ouverture à la société civile dans le gouvernement formé à Yaoundé le 8 décembre.
A force de tourner autour du fruit défendu, a-t-il fini par s’en approcher au point d’y mordre ? Le doyen Maurice Kamto a pris ses quartiers au ministère camerounais de la Justice, précédé de débats animés sur le sens de son entrée dans l’équipe d’Ephraïm Inoni, le nouveau Premier ministre. Accès à la « mangeoire », stratégie délibérée, renoncement à des principes énoncés au fil d’essais percutants… la nomination de cet agrégé de droit, forte tête et auteur prolixe, a soulevé nombre de conjectures. Faut-il y voir une incohérence dans la démarche de ce Bamiléké catholique de 50 ans ?
Qu’il s’agisse de soutenir le candidat de l’opposition, John Fru Ndi, contre Paul Biya en 1992, de mobiliser les intelligences au sein du cabinet de conseil Brain Trust, ou de défendre les intérêts du Cameroun dans le différend qui l’oppose au Nigeria devant la Cour internationale de justice, « il n’a jamais oeuvré que pour construire ». « Il dit ce qu’il fait et fait ce qu’il dit, sans chercher à plaire », ajoute l’historien Thomas Fozein, secrétaire général du ministère de la Culture, qui le pratique depuis plus de vingt ans.
Sans aucun goût pour l’ostentation, Maurice Kamto cultive au contraire rigueur et austérité. On ne lui connaît que des plaisirs sages : lecture, notamment de grands textes philosophiques, écriture et football. Les mondanités ? Il les tient le plus possible à distance, au profit de soirées entre proches ou en compagnie de sa femme, Julie, une diplomate, directrice au ministère des Relations extérieures et mère de ses cinq enfants. Seul vrai luxe connu du couple, leur vaste villa du quartier Santa-Barbara, une banlieue chic de Yaoundé.
Mais attention aux apparences, modestie affichée ne signifie pas manque d’ambition, loin s’en faut. Maurice Kamto a choisi pour s’affirmer le terrain des choses de l’esprit. Docteur d’État en droit public de l’université de Nice, en 1982, il devient agrégé des universités françaises en 1988. Avocat inscrit au barreau de Paris, il enseigne dans les universités et grandes écoles camerounaises, où ses cours sont très prisés, tout en étant professeur associé dans plusieurs universités occidentales.
Au sein de l’opposition camerounaise, en 1992, il côtoie d’autres intellectuels qui, comme lui, croient sincèrement que le système a besoin de sang neuf, de nouvelles énergies. À l’université où son ami Jean-Marie Atangana Mebara, secrétaire général de la présidence de la République, le fait nommer doyen, il bouleverse les habitudes en rationalisant l’attribution des notes. Dans le conseil éditorial du quotidien Mutations, qu’il préside et dont il est cofondateur, il se montre pédagogue, emporté par le vertige d’une quête de l’excellence qui agace autant qu’elle fascine.
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« Il pouvait débarquer, après une longue absence, chargé de tous les numéros parus, avec des notes à chaque ligne. Il déroulait alors sa critique de façon implacable, toujours dans le but de bonifier le journal », indique Serge Alain Godong, journaliste à Mutations depuis dix ans et actuellement en formation à Sciences-Po Paris. Une rigueur qui frise la rigidité, un humour féroce et un talent oratoire qui laissent peu de place aux autres et ne poussent pas toujours à la sympathie envers lui. Conséquence, soit on est sous le charme, soit on le redoute. Et pourtant, observe un proche, « il sait donner à l’autre l’impression qu’il est la seule personne comptant pour lui ». Il peut aussi être cassant voire hautain, face à ce qu’il considère comme de la médiocrité.
Attaqué à propos de ce que d’aucuns considèrent comme son changement de cap, l’auteur de Déchéance de la politique : pour une éthique dans le gouvernement des hommes en Afrique (Mandara, 1999) répond qu’« on ne risque aucune maladie mortelle en dialoguant, en se côtoyant. Simple question de civilité ». Il y a quelques années, il prônait « l’urgence de la pensée », en riposte au naufrage des valeurs.
Au Cameroun, l’accès au gouvernement est d’abord une question de réseaux. Qu’il soit ésotérique, politique ou institutionnel, le chemin du Conseil des ministres relève rarement d’une équation personnelle. De quel schéma procède le cas Kamto ? Son ami, l’assureur Protais Ayangma, ancien responsable franc-maçon et fondateur de Mutations, précise : « À ma connaissance, le Pr Kamto n’appartient à aucun cercle. C’est un intellectuel pur qui croit à la puissance des idées pour faire avancer la cité. » On le sait proche de Léopold Ferdinand Oyono, ministre d’État et conseiller de Biya. C’est ce dernier, alors chef de la diplomatie camerounaise, qui, dès 1994, fait du spécialiste de droit international un des agents du Cameroun dans l’affaire Bakassi. Maurice Kamto a ses habitudes à la table d’Oyono.
Avec Jean-Marie Atangana Mebara, il entretient plus qu’une proximité intellectuelle. Les généraux Mambou Deffo et Tchémo Hector sont certes des « frères du village », mais surtout des amis. Tout comme André Siaka, président du Gicam, le patronat camerounais. Amadou Ali, le vice-Premier ministre en charge de la Justice, a appris à apprécier sa maîtrise des dossiers. On parle même d’affection entre les deux hommes. Pour autant, ils ne sont pas des intimes.
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Exigeant à l’extrême avec lui-même, Kamto l’est autant avec les autres. L’intellectuel a une vision de la politique associant pragmatisme et idéologie. Dès 1999, il soutient que les politiques devraient se dépasser afin d’accepter la confrontation des idées avec les adversaires au lieu de les traiter comme des ennemis.
En 2002, il précise : « Toute politique des murs est une politique du pire », avant de conclure, en 2004 : « À l’heure de la construction du pays, aucune main tendue ne doit être refusée d’où qu’elle vienne […], car tout raidissement de la contestation fait le lit de la régression. »
Dans l’esprit de Kamto, la politique, « cette chose trop sérieuse pour être laissée aux mains des aventuriers », n’est pas uniquement un sport cérébral. « Il est passionné par toutes les dimensions du fait politique. Il le rapproche en permanence du social ou de l’économique. C’est un éclectique », raconte Thomas Fozein. « Mais s’il se rend compte qu’il ne peut rien apporter, il n’hésitera pas à s’en aller », croit savoir l’ingénieur Alphonse Soh, son comparse de Mutations, qui insiste sur la force des convictions du nouveau ministre.
Dans un pays où le débat politique s’est cristallisé autour de deux pôles – pour ou contre Biya -, la marge reste étroite, et il fallait un peu plus que des essais et quelques rares sorties dans la presse pour faire comprendre cette démarche toute en nuances. Si, sur les campus, son magistère est inattaquable, la copie du Pr Kamto semble avoir été recalée par une partie de la classe politique pour insuffisance de clarté. De la position de penseur à l’esprit libre et à la diction claire à celle de ministre de la République, il y a une marche à passer. Maurice Kamto a pu observer à loisir les intellectuels qui, avant lui, sont descendus dans l’arène. Il a bien vu que très peu en revenaient pimpants.
Déjà, en 2002, une rumeur persistante, comme l’aiment tant les salons de Yaoundé, avait circulé. L’aparté de près d’un quart d’heure accordé au doyen Kamto par Paul Biya au cours d’une réception en l’honneur de l’équipe chargée du dossier Bakassi après le verdict favorable au Cameroun n’avait pas échappé aux convives les plus attentifs. Pour les familiers du style Biya, il y a des signes qui pèsent leur poids.
Cette fois au pied du mur, l’avocat Kamto aura davantage besoin d’actes que de ses talents oratoires pour assurer sa plaidoirie. Toujours inquiet du jugement des autres, il sait qu’en cas de réussite, à la bienveillance de ses collègues et de la presse succéderont la jalousie et/ou les superlatifs absolus. S’il échoue, la sentence est connue d’avance.