Démobilisation, fuites et résistances ; de nouvelles révélations sur les pratiques violentes de Paul Biya

Paul Biya est au pouvoir depuis 40 ans

Fri, 4 Aug 2023 Source: www.camerounweb.com

Dans son ouvrage "Au Cameroun de Paul Biya", Fanny Pigeaud expose une réalité complexe et désolante, celle de la démobilisation, des fuites et des résistances au sein de la société camerounaise. À travers des anecdotes et des observations du quotidien, l'auteure peint un tableau frappant du sentiment de désespoir et d'abandon qui prévaut chez les citoyens, alimenté par des années d'échecs politiques et de manque de leadership au sein de l'opposition.

L'extrait intitulé "Démobilisation, fuites et résistances" reflète le sentiment généralisé d'impuissance face à la mauvaise gouvernance. Les Camerounais se trouvent désormais en proie à un défaitisme palpable, exprimé par la question récurrente "On va faire comment ?". Cette question symbolise le découragement de la population qui, après avoir nourri des espoirs lors des "années de braise", a été confrontée à l'échec des tentatives de changement politique et a finalement cédé à une réalité où justice et soutien de l'État semblent inatteignables.

Fanny Pigeaud met en lumière les dysfonctionnements et les divisions au sein de l'opposition, qui a été incapable de constituer une alternative crédible au parti au pouvoir, le RDPC. Les leaders de l'opposition, autrefois porteurs d'espoir, ont vu leur crédibilité s'effriter au fil du temps. L'auteure pointe du doigt la trahison d'idéaux et les divisions internes au sein de l'opposition, rendant difficile toute forme d'unité face au régime en place.

Un exemple clé de cette dégradation est le cas du Social Democratic Front (SDF), qui a été le grand gagnant de la présidentielle de 1992. Malheureusement, le SDF n'a pas réussi à maintenir son unité et à proposer un programme solide, ce qui a miné sa crédibilité. Les querelles de leadership et le manque de discipline au sein du parti ont contribué à sa chute, tandis que d'autres partis d'opposition ont également souffert de divisions internes et d'un manque de cohésion.

La démobilisation et le désintérêt général pour la politique ont également été illustrés par le faible taux de participation aux élections, avec un nombre d'électeurs inscrits bien inférieur à la population en âge de voter. La perception de la fraude généralisée et l'absence de candidats crédibles ont sapé la confiance des citoyens dans le processus électoral.

L'extrait soulève des questions cruciales sur l'avenir de la démocratie au Cameroun et la nécessité d'une opposition solide et crédible pour assurer une gouvernance transparente et responsable. Il met en évidence l'importance de surmonter les divisions internes, de présenter des alternatives convaincantes et de rétablir la confiance du public dans le processus démocratique.

Alors que le Cameroun continue d'évoluer politiquement, les leçons tirées de l'extrait de Fanny Pigeaud soulignent l'urgence de renforcer l'engagement citoyen, de restaurer la confiance dans les institutions politiques et de trouver des moyens de canaliser l'énergie de la société civile pour promouvoir un avenir plus positif pour le pays.



Démobilisation, fuites et résistances

« On va faire comment ? », dit un homme en contemplant un bulldozer de la communauté urbaine de Yaoundé réduire sa maison en miettes sans qu’il ait pu sauver un seul meuble. « On va faire comment ? », commente un groupe de paysans à propos du détournement systématique par des fonctionnaires des subventions qui devraient normalement leur revenir. Cette question « On va faire comment ? » est devenue courante dans la vie quotidienne au Cameroun : elle exprime le défaitisme. Depuis l’échec des « années de braise », au cours desquelles beaucoup d’entre eux ont fait de grands sacrifices dans l’espoir de faire changer la gouvernance du pays, les Camerounais se sont résignés: ils ont renoncé à attendre une hypothétique justice, à compter sur un improbable soutien de l’État. Ils se sont résolus à subir et/ou à appliquer la normalité immorale du pouvoir. L’attitude des leaders de l’opposition, qui avaient fait rêver des milliers de Camerounais au début des années 90, a beaucoup joué dans cette capitulation générale : ils n’ont plus jamais été capables d’incarner une alternative au RDPC et, pire, ont trahi, comme la plupart des initiateurs des « villes mortes », les idéaux qu’ils avaient portés. Parmi eux, il yad’abord eu ceux, nombreux, qui se sont révélés être membres de « l’opposition alimentaire », en acceptant de se compromettre contre de l’argent ou un poste. Il yaensuite et surtout le SDF, vainqueur de la présidentielle de 1992 comme l’admettent aujourd’hui des membres du RDPC, qui n’a pas su garder un semblant d’unité et de programme à proposer aux Camerounais. Il est ainsi déchiré en permanence par des querelles de leadership, qui brouille son positionnement. En 2006, deux factions se sont même affrontées violemment à Yaoundé, causant la mort d’un militant de la branche rivale à celle de Fru Ndi. À la suite de cette affaire, le « Chairman » a été inculpé de complicité d’assassinat1 . Au fil des ans, la discipline du parti est de plus en plus faible : le SDF exclut régulièrement des membres, tandis que d’autres le quittent pour rejoindre le RDPC ou créer leur propre formation. L’autoritarisme du chef du SDF, qui n’est pas sans rappeler celui de Biya, ne joue pas en sa faveur. Ce n’est d’ailleurs pas le seul point commun dans le fonctionnement des deux hommes: comme le chef de l’État, Fru Ndi entretenait mi¬ 2011 le flou sur son éventuelle participation à la présidentielle d’octobre, le congrès du SDF censé désigner le candidat pour l’élection ayant été plusieurs fois reporté en 2010 et 2011 2 . Surtout, l’idée, inspirée ou non par le pouvoir, persiste dans l’esprit de beaucoup de Camerounais que Fru Ndi reçoit régulièrement des subsides du régime, ce qui pourrait expliquer son manque de combativité depuis 1992. Des journaux ont notamment affirmé que Fru Ndi avait reçu en 2005 l’aide de la présidence camerounaise pour l’évacuation sanitaire de son épouse malade vers la Suisse, où elle était finalement décédée. Interrogé en 2009 sur cette question, le président du SDF a répondu : « L’argent qui a servi à l’évacuation de ma femme est l’argent du gouvernement. C’est son devoir de satisfaire les besoins sanitaires de ses ressortissants, quand les infrastructures sont déplorables ou inexistantes. Cela pouvait être le cas de tout citoyen ordinaire se trouvant dans la même situation » 3 . Fin 2010, un évènement a fini d’entamer la crédibilité de Fru Ndi: sa rencontre avec Biya à l’occasion de la célébration du Cinquantenaire de l’armée camerounaise organisée à Bamenda, son fief. Biya avait jusque¬là toujours refusé de rencontrer officiellement son opposant historique. Beaucoup ont vu par conséquent dans l’évènement une stratégie électoraliste, à quelques mois de l’élection présidentielle prévue à la fin de 2011. Ils ont en même temps jugé que Fru Ndi faisait le jeu du président en acceptant l’entrevue. La participation très médiatisée, quelques jours plus tard, du « Chairman » à la cérémonie de vœux de bonne année du président de la République au palais d’Étoudi, à Yaoundé, a aussi été mal vue : certains se sont moqués du « chasseur de lion se courbant devant le lion » et du champion de « Biya must go » souhaitant « Happy New Year à Monsieur Paul Biya ». Les scores électoraux du SDF, qui s’expliquent évidemment aussi en partie par les fraudes organisées par le RDPC, donnent une indication de son discrédit auprès des Camerounais: alors qu’en 1997, il avait remporté 43 des 180 sièges de députés, il ne comptait plus que 21 parlementaires en 2002 et cinq ans plus tard, seulement 15. Les autres partis de l’opposition ne sont pas pris plus au sérieux par les Camerounais. Si l’Union démocratique camerounaise (UDC) d’Adamou Ndam Njoya, par exemple, fait partie des formations qui ont résisté à l’appel de la « mangeoire », elle est confinée à une appartenance communautaire, celle des Bamoun (ouest), et jouit par conséquent d’une faible audience. Comme beaucoup d’autres, les partis héritiers de l’UPC d’Um Nyobè, tels que le Manidem ou l’UPC présidée par Samuel Mack-Kit, ne font pas de travail de terrain et sont donc très peu connus des Camerounais. La majorité des partis sont en outre présidés depuis leurs débuts par le même leader, ce qui démontre un manque de mobilité similaire à celui observé à la tête du RDPC. L’un des principaux défauts de l’opposition, révélé lors de la Conférence tripartite, reste son incapacité à former un front commun face au RDPC. La tentative d’union du SDF et de l’UDC pour la présidentielle de 2004 a ainsi tourné court: chacun de ces deux partis a fini par présenter un candidat à l’élection, ouvrant la voie à une nouvelle victoire de Biya. Chaque leader de l’opposition « ne roule que pour lui-même. Ils n’ont aucun sens du bien commun, ni d’amour de leur pays. (...) Ils passent leur temps à se chamailler et à critiquer le régime sans présenter de projet clair pour l’avenir », déplorait en 2007 le cardinal Christian Tumi. Cette réalité n’avait pas changé en 2011: la mobilisation, pour dénoncer les manipulations des textes de l’organe électoral Elecam par le RDPC, s’est faite en ordre dispersé, comme sans conviction. Quant à la coalition de plusieurs partis, dont le Manidem, l’UPC de Mack-Kit et le SDF représenté par son député du Wouri Jean-Michel Nintcheu, formée en février 2011, elle n’a duré que quelques jours. Empêtrée dans des conflits de leadership, l’opposition se montre finalement toute aussi indifférente que les gouvernants aux maux du pays4 . La désaffection des Camerounais vis-à-vis du politique est illustrée par le très petit nombre d’électeurs inscrits sur les listes électorales. En 2004, ils étaient seulement 4,6 millions pour une population en âge de voter estimée au double. Pour les législatives de 2007, l’affluence a été faible: entre 20 et 40%. A Douala, la participation a atteint à peine 20%, selon des témoins. En 2010 et 2011, malgré de nombreuses incitations des autorités et du RDPC, un peu plus d’un million de personnes seulement s’étaient inscrites sur les listes électorales en l’espace de neuf mois, soit cinq fois moins que ce qu’espéraient les autorités 5 . Pour tenter d’améliorer ce chiffre, le gouvernement a pris plusieurs mesures visant à faciliter l’obtention de la carte nationale d’identité, censée encourager les citoyens à s’inscrire comme électeurs. Peu après, des opérations de contrôle d’identité ont été menées pour obliger les citoyens à se faire établir des cartes d’identité. Dans la nuit du 28 au 29 mai, par exemple, « des centaines de personnes ont été interpellées pour défaut de carte nationale d’identité et gardées dans les commissariats » à Yaoundé, selon le quotidien privé Le Jour6 . Des équipes mobiles d’Elecam ont été même été déployées dans des commissariats pour inscrire, dans la foulée, les demandeurs de carte d’identité sur les listes électorales. A Douala, notamment, Elecam est aussi allé à la pêche aux électeurs en envoyant des agents dans le centre d’enregistrement des candidats aux 25 000 emplois promis par Biya. « Tout le monde sait bien que le président sortant va l’emporter, les dés sont pipés. Voter, c’est légitimer la fraude », répètent à chaque nouvelle élection beaucoup de Camerounais. La question « Pour qui voter ? » revient aussi. Au début de l’année 2011, des responsables du RDPC ont eux-mêmes semblé gênés par l’absence de candidats crédibles pour faire face au président sortant lors de l’élection présidentielle prévue en octobre. « Ils ont massacré la crédibilité des opposants et se rendent compte que c’est finalement un peu embêtant. On pourrait lancer un appel: “SOS, dictateur cherche opposant crédible mais docile pour élection truquée. Bonne rémunération promise” »,aironisé un journaliste. Sans adversaire valable, comment en effet rendre légitime aux yeux de la communauté internationale la réélection de Biya ? En avril 2011, le chanteur Lapiro Mbanga a fait une suggestion : « Je conseille à Biya et Fru Ndi de libérer les Camerounais. Ilyabeaucoup de jeunes talents au sein du SDF qui peuvent faire de très bonnes choses pour ce pays. Il yaaussi beaucoup de jeunes talents au sein du RDPC qui peuvent faire beaucoup de choses pour ce pays. Que Biya et Fru Ndi se tiennent à l’écart de la présidentielle de 2011. S’ils le font, vingt millions de personnes s’inscriront et participeront au scrutin »

Source: www.camerounweb.com