Jeunesse Camerounaise : Le goût du luxe l’emporte sur la raison
Argent, mode, voyages et mondanités ont la primeur dans les aspirations de la jeune génération qui semble prête à en jouir à tous les prix.
La réponse de Valdine Michelle, élève en classe de Première littéraire, à la question relative à ses perspectives d’avenir est on ne peut plus claire: intégrer l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (Enam) pour rentrer dans les rangs de la Douane camerounaise. Et pour cause, toutes les personnes de l’entourage familial de la jeune fille de 18 ans qui exercent dans ce domaine ont d’importants biens. La question laisse cependant plus d’un esprit dubitatif. «On se rend vite compte que le centre de leur intérêt n’est pas porté sur la carrière à bâtir mais sur le gain de l’argent. Le plus souvent quand ils choisissent leurs modèles, ils se focalisent principalement sur le confort de vie de la personne et pas véritablement sur le processus qui a conduit à cette aisance-là», indique Olivier Sak, sociologue. L’argent occupe une place de plus en plus importante dans les préoccupations de la jeunesse dans un pays où pas moins de 37,5% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Celle-ci se livre désormais à une quête effrénée d’argent où démocratisation du sexe, pratiques mystiques, activité illicite, vol, cybercriminalité, arnaques, sont mis à contribution pour la cause. «Une voisine m’a proposé un jour d’entretenir des rapports sexuels avec elle. Elle m’a quand même prévenu qu’en fait, elle a un sponsor qui aime la voir coucher avec d’autres hommes. Donc elle m’a proposé qu’on aille dans un endroit qu’elle a l’habitude de fréquenter comme ça pendant qu’on fait la chose, le Monsieur, lui nous regarde au travers d’un miroir. Elle a essayé de me convaincre que le Monsieur est souvent très généreux après ça et que je n’allais pas regretter», raconte Alphonse Dodey, tren- tenaire. Cette histoire n’est pas isolée.
De l’argent pour «jouer la vie»
La mode, les voyages et mondanités sont au centre des intérêts des jeunes, en témoignent les statuts soignés sur les réseaux sociaux, les virées nocturnes en n’en plus finir, les voyages de plaisance… Qui sont brandis à la face du monde comme témoignage d’un confort qui n’est pas toujours réel. «Certains jeunes veulent vivre une vie qui n’est pas la leur. Comme s’ils essaient d’échapper à leur propre réalité. Sinon comment comprendre qu’un jeune dépense chaque week-end des centaines de milliers de FCFA pour «jouer la vie» avec ses amis alors que ce même jeune vit encore dans la maison de ses parents et même qu’il n’a pas une activité économique stable qui justifie qu’il puisse faire de telles dépenses», questionne Olivier Sak.
La perte de repères sociaux au banc des accusés
Il faut tourner les regards vers la société et ses mutations pour trouver l’origine phénomène. Ceux-ci, aiment-on à le dire, sont en perte de repères sociaux. Il ne s’agit pas en soi d’une situation nouvelle mais la médiatisation des faits de société à grande échelle via Internet a permis d’en voir la profondeur. «Aujourd’hui les parents sont obligés d’être beaucoup plus ouverts et tolérants qu’avant. Les parents avaient un droit de regard sur leurs enfants, mais cela tend à changer. D’abord les parents sont occupés à cause du coût de la vie. Les mamans qui étaient en charge de l’encadrement des enfants sont aujourd’hui obligées de travailler à temps plein de sorte que les enfants comblent eux-mêmes les manquements à leur éducation».
Des considérations sociales discutables
Dans une étude sur les aspects subjectifs de la pauvreté menée en 2019 par l’Institut national de la statistique, près de six ménages camerounais sur dix se considèrent comme étant pauvres ou très pauvres. Toutes choses qui conduisent à une stratification des êtres humains. «Aujourd’hui être intellectuel ne vaut pas grand-chose si vous n’avez pas en même temps un porte-monnaie rempli. Il est donc normal d’avoir une jeunesse qui pense qu’avoir rapidement de grands biens est le but de la vie et qui est prête à tout pour cela même à se livrer à des actes de corruption dans les milieux professionnels», martèle Olivier Sak. Un doigt accusateur reste toutefois pointée sur les jeunes qui, soutiennent certains, sont réfractaires à tout changement.