Ils se sont engagés pour la bonne cause
Des justiciers secrets se sont donné pour mission de lutter contre le déni du changement climatique sur Twitter.
Mais alors qu'une guerre de l'information fait rage en ligne, ne risquent-ils pas de devenir les trolls qu'ils prétendent viser ?
Je rencontre Maria et Arthur au sommet d'une colline surplombant la mer Méditerranée, dans une petite ville côtière d'Espagne.
Ils m'ont demandé de ne pas révéler leur vrai nom ni l'endroit exact où ils se trouvent. Au fil des ans, ils se sont fait d'innombrables ennemis sur l'internet, et ils pensent que sortir de l'ombre pourrait s'avérer dangereux.
"Pour pouvoir faire son travail sans avoir peur des conséquences, il faut vraiment voler sous le radar", me dit Maria.
En 2019, elle a participé à la création de Team Ninja Trollhunters, un groupe de 25 personnes du monde entier qui se sont réunies pour lutter contre le déni du changement climatique sur Twitter.
"Pour moi, c'était une nécessité de montrer que beaucoup de choses qui sont tweetées sont fausses", explique Maria. Comme certains de ses collègues, elle a une formation scientifique, ce qui lui permet d'examiner des recherches complexes.
Mais avec son t-shirt bleu à l'effigie de Snoopy, Maria ne me fait pas immédiatement penser à un "ninja" - pas plus que son partenaire à la voix douce, Arthur, qu'elle a recruté dans le groupe.
"Nous avons mené de nombreuses batailles ensemble et nous nous sommes aussi beaucoup amusés", dit-il.
Lorsque le groupe s'est constitué pour la première fois en 2019, une partie de son temps était consacrée à la vérification des faits (fact-checking) des affirmations fausses ou trompeuses trouvées sur Twitter.
Les "ninjas" repéraient les affirmations devenant virales et y répondaient par des liens vers des informations factuelles - des articles universitaires ou des rapports scientifiques.
"Mais au bout de quelques mois, on se rend compte qu'on n'a pas d'impact parce que, pour la plupart de ces personnes, les faits n'ont pas d'importance", explique Maria.
Il était temps de trouver de nouvelles tactiques. Les "ninjas" ont commencé à surveiller les principaux comptes Twitter qui contestaient les fondements scientifiques du changement climatique.
Chaque fois que ces utilisateurs tweetaient quelque chose qui enfreignait les règles de la plateforme, ils les signalaient.
La négation du changement climatique n'est pas interdite sur Twitter, mais d'autres types de contenus le sont, comme les menaces, le harcèlement ou les propos haineux. Jusqu'en novembre de l'année dernière, la publication d'affirmations trompeuses sur Covid-19 pouvait également entraîner la suppression de tweets ou la suspension de comptes.
"En fin de compte, peu importe que les comptes soient suspendus en raison d'informations erronées sur le Covid-19 ou de symboles nazis", me dit Maria. "Quand ils disparaissent, ils disparaissent.
Des milliers d'heures de travail lent et minutieux ont porté leurs fruits, du moins c'est ce que les "ninjas" se plaisent à croire. Ils affirment que leurs actions ont permis de suspendre environ 600 comptes Twitter promouvant le déni du changement climatique.
Je ne peux pas vérifier cette affirmation de manière indépendante. Mais j'ai vu des liens vers des centaines de tweets offensants que les "ninjas" ont signalés, ainsi qu'une liste détaillée des comptes suspendus.
L'un de ces comptes était celui de Mike. Il s'agit d'un ingénieur australien qui compte plus de 23 000 abonnés sur Twitter, dont beaucoup croient aux théories du complot.
En avril de l'année dernière, son compte a été définitivement suspendu de Twitter, après avoir publié une affirmation infondée sur les vaccins Covid.
Jusqu'alors, les "ninjas" avaient surveillé son fil d'actualité, signalant des dizaines de ses tweets. Dans un forum privé, ils ont ajouté le nom de Mike à leur liste de victimes revendiquées.
"Je ne suis pas surpris le moins du monde", déclare Mike. Au fil des ans, il affirme avoir été à plusieurs reprises la cible de groupes comme celui-ci, qu'il accuse de "troller" des utilisateurs comme lui.
Les "ninjas" partagent un ensemble de règles énoncées dans un document intitulé "The Resistor's Guide to Effective Trollhunting" (Le guide de la résistance pour une chasse aux trolls efficace). Dans ce document, il est conseillé aux membres de "ne pas s'engager" avec leurs cibles. Pourtant, de leur propre aveu, chaque membre du groupe a sa propre façon de procéder.
Maria insiste sur le fait qu'elle a toujours respecté les règles et qu'elle "savait où était la limite". Mais les méthodes d'Arthur lui ont valu d'être temporairement suspendu de Twitter "à plusieurs reprises".
"Lorsque je m'engageais avec des négateurs du changement climatique, j'ai remarqué que certains d'entre eux s'agitaient. J'ai donc continué à le faire, jusqu'à ce qu'ils adoptent un comportement de harcèlement [à mon égard], ce qui n'est pas autorisé", m'a-t-il dit. "Vous pouvez alors vous débarrasser d'eux.
e suggère à Arthur que son comportement n'est peut-être pas très éloigné de celui d'un troll en ligne. "On peut dire ça, parce que c'est en partie vrai", me répond-il.
Mais je lui fais remarquer qu'en incitant ses cibles à franchir une limite, il pourrait causer un préjudice réel.
"Je ne vois pas de dommages réels plus graves que ce qu'ils font", répond-il. "Lorsqu'ils essaient de convaincre les gens que le changement climatique est un mythe, ils nous infligent à tous des dommages.
Mais les efforts des "ninjas" ont été quelque peu entravés par la prise de contrôle de Twitter par Elon Musk. En novembre dernier, le milliardaire a annoncé que la plateforme rétablirait des milliers de comptes précédemment suspendus.
Le compte de Mike en faisait partie. "C'était une véritable gifle", explique Maria. "Si Twitter a décidé que ces personnes devaient être suspendues, c'est qu'il y avait une bonne raison à cela.
Twitter n'a pas répondu aux demandes de commentaires.
Maria et Arthur ont maintenant quitté Twitter, mais d'autres membres du groupe y sont restés. Leur combat en ligne se poursuit.
J'ai parlé à plusieurs membres actuels du groupe et ils ont décrit une récente "recrudescence" de la désinformation climatique circulant sur Twitter.
Pour Arthur, cela prouve à quel point les "ninjas" sont toujours d'actualité. "Si une fraction des gens ordinaires faisait ce que nous avons fait, nous serions bien plus bruyants que tous les négateurs réunis.
