Développement : pourquoi la région de Paul Biya ne décolle pas

Ce n’est pas à la province ou à l’ethnie que revient la mission de diriger le Cameroun

Mon, 25 Oct 2021 Source: Le Messager

Entre pillage des ressources forestières et minières avec la complicité des élites compradores, mal gouvernance, promotion des intérêts égoïstes et tribalisme à ciel ouvert la région d’origine du Chef de l’État, trente-huit ans après sa prise du pouvoir, reste encore un grand chantier.

On n‘a pas fini d’ergoter sur les fameuses Rencontres fraternelles du Sud (Refas), cette plateforme d’échanges portée des fonds baptismaux par Jacques Fame Ndongo au nom du développement de cette contrée, présentée comme la plus abandonnée du régime en place.

Si pour beaucoup d’analystes, cette réunion de famille qui a drainé du beau monde à Ebolowa, n’était ni plus ni moins qu’une grande parade de verbiage et de discours creux dans le dessein de susciter pour une énième fois, la sollicitude du Pouvoir de Yaoundé sur le mal-être de cette région, il y’a au moins une constance dans ce postulat (quoique mal ficelé).

En 38 ans de règne, la région du Sud est restée l’ombre d’elle-même. Aucune grande industrie n’a prospéré sur ces terres. Mis à part quelques Pme crées par les populations allogènes et combattues jusqu’à leurs derniers retranchements, ce serait un doux euphémisme de dire que le Sud est maudit. Tous les projets entrepris dans le but de booster le développement sont morts de leur belle mort, lorsqu’ils n’ont pas été tout simplement flingués à bout portant par les propres fils du Sud, visiblement allergiques à l’esprit d’investissement et de croissance.

Le scandale du sanctuaire de Mengamé

A preuve, l’usine des tracteurs d’Ebolowa est à l’agonie. Depuis 2011, cette infrastructure, fruit de la coopération entre Cameroun et l’Inde et évalué à 18, 825 milliards Fcfa, est envahie par la broussaille. Le bloc administratif, la chai-ne d’assemblage des tracteurs, la salle de formation des tractoristes, la cantine et la cabine de peinture, sont abandonnés et croupissent dans de hautes herbes.

Les restes des tracteurs, des accessoires et quelques pièces détachées sont dissimulés de façon éparse dans le grand hall du gigantesque hangar. Un constat quasi similaire est fait au niveau de Ngalan où le centre d’entreposage des engins a été construit.

Tout s’est arrêté net après l’assemblage des 1000 premiers tracteurs et leur distribution. Officiellement, ces tracteurs assemblés dans le cadre de la première phase du projet dont le but était de renforcer la production camerounaise du riz et de maïs ont été distribués aux responsables des Groupes d’initiative commune (Gic), des congrégations religieuses, des particuliers et des institutionnels, sur l’ensemble du territoire national.

Que dire du sanctuaire à gorilles de Mengamé, aire protégée située à cheval entre les arrondissements d’Oveng et de Djoum appartenant au département du Dja et Lobo d’une part, et dans l’arrondissement de Mvangane, département de la Mvila d’autre part et couvrant environ 120 000 hectares ? Tué dans l’œuf !

Au moment même où des experts américains, convaincus que la conservation de sa biodiversité passe par l’amélioration des conditions de vie quotidienne des populations riveraines, avaient entrepris un vaste programme visant non seulement le renforcement des capacités organisationnelles des communautés mais aussi l’appui à la lutte contre la pauvreté par le biais de la promotion des microprojets villageois. A l’origine, la création de ce projet visait la protection du gorille et de son habitat, la conservation de la biodiversité et le développement de l’écotourisme dans la zone.

Puis, d’autres organismes de conservation ont paraphé des conventions de collaboration avec le ministre des forêts et de la faune (Minfof) pour appuyer la gestion des ressources du sanctuaire à gorilles. La suite, on la connait. Abandonné, brocardé et combattu par certaines élites du Sud au premier rang desquels Mvondo Assam Bonivan, le projet et l’un de ces illustres initiateurs Nassar Bouhadir, relève désormais de l’histoire ancienne.

Oraisons funèbres

Que dire du phénomène du pillage à ciel ouvert des essences devenu le sport favori des fils du Sud ? Le cas du défunt Général Asso’o Emane en est une parfaite illustration. Aidé dans cette sale besogne par des richissimes exportateurs étrangers, une bonne partie des forêts du Sud a ainsi été pillée.

Avec le braconnage qui impose son diktat, c’est le lieu de dire qu’il y’a péril sur la faune puisque les espèces protégées sont en voie de disparition sous l’œil impuissant voire complice du ministre des Forêts et de la faune pourtant originaire du Sud. C’est que, en près de quarante années de règne de Paul Biya dont on dit avoir « tout donné » à la région du Sud, l’influence et la mainmise des hommes d’affaires du coin, auront été sans effet pour ne pas dire inexistantes.

La compagnie de transport interurbain Buca Voyages présentée il y’a une dizaine d’années comme le fleuron dans ce secteur dont elle détenait presque le monopole, est au bord de l’asphyxie. Aujourd’hui encerclée par d’autres concurrents étrangers soutenus et financés par des fils du Sud, on n’est pas loin de prononcer des oraisons funèbres. Avec la disparition tragique de son promoteur François Essame Ndengue, en juillet 2015, l’entreprise a même failli fermer boutique.

Pour rester dans le transport et les voies de communication, la transfrontalière Sangmélima-Ouesso longue d’environ 700 km entre ces deux villes, dont 321 km du côté camerounais, présente certes des avantages pour le développement des échanges entre le Cameroun et le Congo puisqu’elle contribuera au renforcement de l’intégration régionale en Afrique centrale, en – permettant (’interconnexion sur des axes routiers reliant le Cameroun, le Congo, la RD Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et la Centrafrique ».

Mais, les populations, elles, se plaignent de ce que le bois exploité en forêt ne va visiblement rien changer dans leur quotidien, ce d’autant plus que la pesée et tous les autres impôts prélevés à l’exportation, ne se font qu’à Sangmelima uniquement.

Un argument supplémentaire pour faire le procès des illustres élites du Sud et non moins proches de Paul Biya à l’instar de Ferdinand Léopold Owono, décédé depuis le 10 juin 2010. Aux dires des ressortissants du Sud, l’ancien ministre d’Etat, natif de Ngoazip n’a rien apporté à la région si ce n’est son immense ranch qu’il a légué à sa famille.

Le scandale des élites attentistes

Idem pour Pierre Désiré Ehgo, l’ex Directeur général de la Caisse nationale de prévoyance sociale (Cnps) dont la carrière a été bousillée parce que cité dans l’opération Épervier. Bénéficiaire de la grâce présidentielle en février 2014, sa remise en liberté après 15 années derrière les barreaux, ne l’a pas vraiment aidé dans le sens de la reconquête des cœurs auprès de sa communauté.

Scénario identique pour Jean Foumane Akame de regretté mémoire. La mort du très influent et célèbre conseiller du président de la République, a plongé le Sud et ses nombreuses affaires dans le chaos. Orpheline de l’un de ses plus dignes et respectables fils, la région s’enfonce davantage. Remy Ze Meka, lui, est au tribunal du peuple pour n’avoir songé qu’à développer des activités personnelles qui n’ont rien à voir avec l’intérêt général.

Secrétaire général des services de la Primature sous Simon Achidi A.cbll, celui qu’on surnomme « Bad boy » s’est arrogé plus de 100 000 hectares de terres pour la culture de l’hévéa à son propre compte. Après plus d’une dizaine d’années d’exploitation, la forêt vierge est détruite et le sol empoisonné au grand dam des populations qui ne‘demandaient qu’à être associées à ce vaste projet.

Dans la foulée, Pierre Meba Mvondo, quatrième garçon et dernier-né de la fratrie, le cadet du Chef de l’État qui a par ailleurs reçu 700 millions de Fcfa en guise d’indemnisation relatif au projet de construction du barrage hydro-électrique de Mekim implanté sur le Dja et Lobo, n’a jamais songé à mûrir un projet générateur de revenus pour ses frères. Jouissant pleinement de son statut de membre de la famille présidentielle, lui parler de développement est peine perdue.

Autre scandale, la construction de la Cathédrale Saint Joseph de Sangmelima. Conçue pour faire plus de 500 ans, ce lieu de culte occupe 7 hectares et présente une architecture futuriste. Alors qu’elle est encore inachevée, l’on annonce la construction d’une imposante mosquée à Mvomeka. D’aussi importants et colossaux investissements qui ne vont rien changer au quotidien des populations qui croupissent dans la misère. Au banc des accusés, les élites ne sont prêtes qu’à financer à hauteur des milliards de Fcfa, les meetings et les campagnes de propagande à la gloire de Paul Biya.

Sortir des clichés, construire la Nation

C’est donc tous ces clichés que feu Charles Ateba Eyene a tenté de résumer et mettre en lumière dans son ouvrage à succès « tes paradoxes du pays organisateur ». Pourtant, aucune ethnie, aucune province, n’a le droit de se considérer comme «pays organisateur», fût-elle l’ethnie du président de la République ou la région ayant le plus de membres dans les différents corps de l’État.

Autrement dit, ce n’est pas à la province ou à l’ethnie que revient la mission de diriger le Cameroun, mais bien évidemment au gouvernement. C’est dire que l’initiative de la gestion des affaires républicaines incombe aux partis politiques vainqueurs des élections qui forment le gouvernement.

Pire, le système d’exclusion et de haine tribale entretenue par les élites du Sud elles-mêmes, déshonore aujourd’hui le Cameroun à un moment où, sous nos yeux, émergent en Asie et en Amérique latine, et à une vitesse éclair, des pays que nous aurions aidés il y a trente ans.

Face à cette honte qui est désormais nationale, il est urgent de trouver des solutions institutionnelles pour la survie et la relève. Non celles du Sud mais du Cameroun entier. Espérons que l’émergence et l’abnégation des jeunes dynamiques à l’instar de Louis Paul Motaze, ministre des Finances, changeront la donne.

Source: Le Messager