Dans le secret des accoucheuses traditionnelles Baka

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Wed, 16 Dec 2015 Source: carmer.be

Une nuit, alors que seuls résonnent les cris des hiboux nocturnes, une jeune femme enceinte à peine sortie de l’adolescence ressent des contractions. Il n’y a pas d’électricité dans le campement. Ses parents et mari courent chercher celle qu’ils appellent affectueusement « docta », en langue Baka. C’est une jeune femme, la trentaine à l’époque, qui accourt immédiatement, après avoir pris son matériel de travail. Elle entre dans la petite maison faite en feuilles mortes où est couchée la  future maman, sur un lit dont le matelas est en pailles. « Docta » commence le travail comme toujours, par une  prière intérieure. Par la suite, elle sort son matériel de travail, « un mélange d’écorces et d’herbes » qu’elle a collecté dans la forêt. Cette nuit-là, l’accouchement est difficile. Des voisins, amis et familles ayant entendu la nouvelle sont arrivés.

Les écorces et herbes de la forêt

« Docta » évoque les dieux, abandonne la jeune fille un moment et va en pleine forêt, dans la « nuit noire ». Elle ressort quelques minutes plus tard et entre à nouveau dans la chambre où se tord de douleurs la future maman. « Avec les bénédictions et pouvoirs » reçus des dieux, « docta » fait le miracle que même les proches n’attendaient plus : après des heures de travail, le « beau petit » garçon est enfin là. C’est la joie totale dans le village qui s’est réveillé en entier. Pour « docta », c’est une grâce de plus. « Dieu a toujours été là pour moi, raconte aujourd’hui, la plus grande accoucheuse traditionnelle Baka du campement Mayos. Il m’a toujours aidée». « Docta », c’est bien Angéline Andea, la femme la plus respectée du campement. « J’ai mis au monde plus de 100 enfants, ajoute-t-elle, avec humilité. Aucune des femmes que j’ai aidée n’a perdu son bébé ».

Dans la communauté des pygmées Baka au Cameroun, les accoucheuses traditionnelles sont des « reines ». Ce sont elles qui ont le pouvoir d’aider à donner des vies. Dans ces campements sans hôpital et électricité, l’accouchement s’est d’ailleurs toujours pratiqué de manière traditionnelle. A Mayos tout comme à Kwo, deux campements pygmées de l’Est du Cameroun, les enfants qui jouent dans les cours des maisons, aident les mamans à puiser de l’eau à la rivière ou certains adultes par exemple, doivent leur survie à leurs accoucheuses traditionnelles. « C’est maman Angeline qui m’a mise au monde, nous explique avec fierté, Gaston Soniga, un pygmée du campement Mayos. C’est elle qui a également mis au monde mes trois enfants ».

Maman Angéline, seule habitante vivant encore dans une hutte faite en feuilles mortes du campement, sourit devant tant de reconnaissance. « Je ne fais que mon travail. C’est dieu qui m’aide », lâche-t-elle. Comment font ces accoucheuses traditionnelles Baka, sans matériels stérilisants, sans arsenal médical, pour  mettre au monde des enfants ? Où ont-elles appris ces pratiques  ? A ces questions, Henriette Dahe, accoucheuse au camp Kwo, se fend d’un grand éclat de rire, dévoilant des rangées de dents jaunies.

« C’est ma maman qui me l’a transmis, explique-t-elle. J’ai appris au fil des accouchements également ». A la quarantaine entamée, Henriette a déjà mis au monde « plus de 20 enfants », soit l’ensemble des enfants du campement kwo. Quels matériels utilise-t-elle pour exercer à bien son « métier » ? L’accoucheuse observe un silence et nous observe, soupçonneuse. Il faut alors déployer d’énormes astuces pour la convaincre de l’innocence de notre question. « Nous avons des herbes qui sont très puissantes et qui aident la femme en contractions à mettre rapidement son enfant au monde », dit-elle. Tout commence durant la grossesse. La femme enceinte a le devoir (ou l’obligation) de se rendre chez son accoucheuse professionnelle.

Dès le 3ème mois, le traitement commence. « Il y a des lavages à faire, commence Henriette. On la lave avec des herbes mystiques pour la protéger ainsi que son enfant, des démons. Par la suite, elle doit suivre un traitement durant les mois restants ». En ce qui consiste le traitement, Henriette n’a vraiment pas envie de nous en dire plus. Mais après insistance, elle consent à nous expliquer un « tout petit peu ». « Les accoucheuses professionnelles ont des pouvoirs comme des guérisseuses. Nous aidons ces femmes à suivre l’évolution de leurs enfants dans leur ventre. Nous les faisons faire un traitement à base d’herbes et d’écorces mystiques », insiste-t-elle sans plus.   

Cinq enfants décédés en octobre 2015

Comment se passe donc l’accouchement ? Les visages de nos deux accoucheuses traditionnelles s’illuminent. Ça se voit, comme elles le disent elles-mêmes, qu’elles « adorent » leur activité. « Nous le faisons sans demander un franc Cfa en retour », lâche unanimement les deux femmes, rencontrées pourtant dans des lieux différents (campements Kwo et Mayos). Angéline Andea débute : « lorsque les contractions commencent, le mari ou un proche de la famille court m’appeler si je suis en brousse ou dans ma maison. J’entre dans ma case, j’apprête mes écorces et mes herbes et je m’en vais la voir » ».

Comme dans les hôpitaux,  Henriette Dahe a pour sa part des reflexes d’infirmière, mieux, de sage-femme. « Après avoir prié, je la oint des potions faites à base d’herbes et je lui demande de pousser. Elle pousse et parfois, l’enfant sort facilement », relève-t-elle. Après la sortie de l’enfant, la famille sort la lame de rasoir « prescrite » par l’accoucheuse. « Avec cette lame, je coupe le cordon ombilical. Je n’utilise jamais de vieille lame, jure Angéline. Après l’accouchement, je suis la maman et son enfant, avec des remèdes que je fabrique moi-même, à base d’herbes et d’écorces ». En cas d’accouchement difficile, ces accoucheuses traditionnelles Baka ont une réponse : les prières pour évoquer les ancêtres et l’entrée en forêt, pour prier les dieux. « Ça toujours marché », vante Henriette.

Conscientes de la souffrance de ces peuples, de nombreuses Organisations non gouvernementales (Ong) viennent en aide aux accoucheuses, via des formations. Angéline en a suivi plusieurs. « Ils m’ont formé sur la manière de faire accoucher une femme, l’utilisation de l’alcool et des gangs », a retenu cette femme née vers 1955. Toutefois, avec le poids de l’âge camer.be, Henriette et Angéline forment ont compris qu’elles devraient former les plus jeunes, à assurer la relève demain. Angéline en a déjà formé trois jeunes filles, toutes parties au champ lors de notre passage. Angéline pour sa part, forme Emilienne Apoma, une autre jeune femme du campement Kwo. « Je retiens tout ce qu’elle me dit », sourit cette dernière. Si aucun des enfants mis au monde par nos accoucheuses n’est « jamais décédé », au mois d’octobre dernier, une maladie inconnue a tué « près de 5 enfants » au campement Mayos. « Les enfants mouraient sans grave maladie, se souvient tristement Dieudonné Noutcheuguenou, chef du campement. Nous sommes allés à l’hôpital à Dimako pour les autres enfants malades et ils ont été soignés ». Une situation qui amène les enfants pygmées à « fréquenter pour devenir de grands docteurs du village ».

Source: carmer.be