Des jeunes Camerounais résistent à l'attrait de Boko Haram

Djamakia Un groupe de jeunes mène des actions de sensibilisation sur la construction de la paix à Djamakia

Fri, 18 Aug 2017 Source: IRIN

Moustapha Bachir regardait un match de qualification pour la Coupe du monde dans un bar quand les djihadistes de Boko Haram sont arrivés à Amchidé, dans la région camerounaise de l’Extrême-Nord. Ils ont tué 30 personnes et incendié de nombreux foyers et commerces avant de s’enfuir.

Le jeune homme de 22 ans n’a reconnu aucun des hommes armés, car il était trop occupé à tenter de fuir. Il ne s’attendait pas non plus à les reconnaître : après tout, Boko Haram était un groupe d’insurgés islamiste largement nigérian qui prônait une solution radicale aux maux du Nigeria.

Les combattants de Boko Haram sont arrivés à Amchidé à bord de pick-up et ils ont retraversé la frontière quelques heures plus tard quand le Bataillon d’intervention rapide du Cameroun a fait son apparition.

C’était il y a trois ans, à une époque où Boko Haram était en train de devenir un problème régional, menaçant aussi le Tchad et le Niger.

L’organisation s’est implantée dans l’Extrême-Nord camerounais depuis. Tandis que Boko Haram intensifiait ses attaques, M. Bachir a commencé à entendre parler d’amis et de camarades de classe qui avaient été tués par les forces de sécurité alors qu’ils combattaient aux côtés des islamistes.

Pourquoi de jeunes Camerounais choisissent-ils de rejoindre une organisation djihadiste façonnée par le contexte nigérian ? Comment se fait-il qu’un groupe d’insurgés reconnu pour sa violence extrême parvienne encore à trouver de nouvelles recrues ?

Une question d’argent

L’Extrême-Nord est la plus pauvre des 10 régions du Cameroun. La fréquentation scolaire y est chroniquement faible et les emplois formels sont rares – surtout pour les jeunes.

Ces conditions sont semblables à celles qui règnent dans le nord-est du Nigeria, où est né Boko Haram. Les islamistes ont par ailleurs utilisé une stratégie de recrutement fondée sur des incitatifs financiers qui avait fait ses preuves dans leur pays.

« Avant que les combattants de Boko Haram ne commencent à mener des attaques violentes au Cameroun, ils sont venus dans nos communautés et ont promis des richesses et un certain statut social aux jeunes qui les suivraient au Nigeria », a dit M. Bachir. « La plupart des étudiants du niveau secondaire ont rejeté leur offre. »

« [De nombreux jeunes qui ne fréquentaient pas l’école et qui] vendaient illégalement des bidons de carburant dilué en provenance du Nigeria, faisaient le commerce de textiles de Maroua [la capitale administrative] ou pratiquaient l’agriculture ou l’élevage de bétail ont cependant accepté. On leur avait offert des motocyclettes et des places dans des écoles islamiques au Nigeria », a-t-il ajouté.

Les jeunes qui sont venus grossir les rangs de Boko Haram au Nigeria appartenaient aussi à cette classe de petits commerçants qui vivent dans des conditions précaires.

Mais les motivations de ces jeunes ne sont peut-être pas seulement économiques. Au départ, la secte de Boko Haram était considérée par ses adeptes comme un remède pieux et discipliné à la corruption de l’État nigérian. Leur message radical a par ailleurs trouvé un écho dans plusieurs pays de la région où les gouvernements sont considérés comme étant à la solde des intérêts occidentaux.

La frontière entre les deux pays est très poreuse. Les Kanouri, le groupe ethnique dont sont issus la majeure partie des combattants de Boko Haram – vivent des deux côtés. Les communautés se connaissent entre elles, ce qui facilite la pénétration et l’acceptation du message du groupe islamiste.

La situation actuelle

La première attaque de Boko Haram au Cameroun a eu lieu en mars 2014. Selon un rapport de l’International Crisis Group (ICG) paru en novembre 2016, il y en a eu au moins 510 depuis. Au départ, l’organisation organisait des raids, mais, aujourd’hui, elle a de plus en plus souvent recours aux engins explosifs improvisés (EEI) et aux kamikazes.

« La plupart des attentats-suicides ont été commis par des jeunes filles. Entre juillet 2015 et octobre 2016, ces attaques ont fait au moins 290 morts et plus de 800 blessés », indique le rapport de l’ICG.

Selon les médias gouvernementaux, les violences auraient fait 2 000 morts et déplacé 200 000 personnes. L’interruption du commerce le long de la frontière nord du pays aurait en outre entraîné des pertes de revenus de 18 millions de dollars.

Paul Biya dirige le pays depuis 35 ans depuis la lointaine capitale, Yaoundé. Sa présidence a été marquée par des allégations de corruption et de violations des droits de l’homme.

La mauvaise gouvernance et la négligence historique de l’État de l’Extrême-Nord, largement musulman, viennent ajouter au déficit de représentation évoqué par certains groupes ethniques, et notamment par les Kanouri.

« Ces groupes se sentent exclus de la gouvernance locale et nationale », a dit un professeur de l’Université de Maroua qui a refusé d’être nommé. Dans ce contexte, Boko Haram est apparu à certains comme une réponse directe à la marginalisation.

Adder Abel Gwoda, maître de conférences à la même université et cofondateur de l’ONG African Positive Peace Initiative, a dit que le gouvernement n’avait pas tenu compte des signes précurseurs.

Il y a plusieurs années, M. Gwoda a présenté aux autorités une étude montrant que 600 jeunes hommes avaient quitté la ville septentrionale de Mora pour le Nigeria en 2012 après avoir été recrutés par Boko Haram. Son étude a été ignorée jusqu’à ce qu’une famille française soit kidnappée par Ansaru, une branche de Boko Haram, en 2014.

« Après le kidnapping, un général de l’armée m’a appelé pour suggérer la mise en œuvre d’un processus de déradicalisation », a dit M. Gwoda à IRIN.

M. Gwoda a décidé de mettre l’accent sur la fourniture d’une aide sociale par son mouvement de jeunes, Youth Dynamics for the Development and Emergence of Cameroon.

L’organisation fournit des vivres et des intrants agricoles aux communautés déplacées et vulnérables installées le long de la frontière et organise des examens médicaux en collaboration avec les travailleurs de la santé gouvernementaux.

« Nous avons choisi d’adopter une approche humanitaire de la déradicalisation. Je me disais que les villageois ne nous écouteraient pas si nos messages dissuasifs étaient trop durs », a expliqué M. Gwoda. « Au lieu de parler de Boko Haram, nous leur disons que l’avenir est dans l’éducation. »

La mobilisation des jeunes

Des dizaines de groupes de jeunes poursuivant des objectifs de développement et de justice sociale semblables se sont mobilisés dans l’Extrême-Nord. Local Youth Corner Cameroon en fait partie.

« Les agents de radicalisation s’appuient sur les doléances du peuple, les échecs du gouvernement et la religion pour concevoir des messages en vue de recruter des jeunes », a dit le fondateur de l’association, Achaleke Christian.

« Le message que nous cherchons à faire passer, c’est que la violence n’est pas la solution à ces problèmes... Nous [exhortons] aussi le gouvernement à jouer son rôle en éradiquant les causes structurelles de la radicalisation. »

M. Christian a ajouté que l’augmentation du nombre de groupes de la société civile dirigés par des jeunes prouve que le problème ne vient pas de la jeunesse. Ces groupes sont si nombreux que son organisation est en train de les répertorier pour suivre les plus actifs d’entre eux.

Toumba Haman, 21 ans, a survécu à l’attaque d’Amchidé. Certains de ses amis et voisins ont volontairement rejoint Boko Haram : « Ils ont été facilement convaincus parce qu’ils étaient pauvres et mal éduqués. »

M. Haman tente aujourd’hui d’agir pour changer les choses. Avec un groupe d’amis de l’université, il a créé une association exhortant les jeunes à poursuivre leurs études au lieu de décrocher pour chercher des petits boulots ici et là.

Ils soutiennent que l’éducation peut permettre aux jeunes de développer des moyens de subsistance durables et de résister aux efforts de recrutement de Boko Haram.

Dans le village de M. Haman, 10 jeunes seulement ont fini leurs études secondaires. « Nous voulons y retourner et encourager nos pairs à aller à l’école. J’ai le sentiment que je dois quelque chose à ma communauté. »

Source: IRIN