«Restez sur vos gardes, prêts à riposter !», ordonne à ses hommes le commandant Kwene Bethus dans son talkie-walkie. Derrière nous, une cinquantaine de soldats camerounais qui partent en opération depuis le PC de l’opération Alpha. L’officier tient à ce que chacun soit bien à son poste. Chaque convoi militaire représente une cible de choix pour les djihadistes. Plusieurs véhicules sont équipés de mitrailleuses lourdes et un blindé ouvre le chemin.
A Kolofata, un gros village dans la zone la plus chaude de la frontière avec le Nigéria, le Bataillon d’Intervention Rapide (BIR) est en première ligne face aux terroristes de Boko Haram. Son camp a subi plusieurs assauts et tentatives d’infiltration. Un jour, les djihadistes déboulent à l’aube en profitant du brouillard. Un autre, ils lancent leur attaque pendant la retransmission d’un match de foot de l’équipe du Cameroun.
Heureusement, tous les soldats ne sont pas devant la télé. Le Commandant Bethus a laissé plusieurs hommes derrière leur mitrailleuse dans la tranchée qui ceinture le poste. Ils fauchent à coup de longues rafales les insurgés islamistes qui se jettent par vagues sur leur ligne de défense. «Ils arrivaient sur nous comme des zombies en criant Allah Akbar !», se rappelle encore avec effroi un sergent.
«Au final, on a eu le dessus», ajoute-t-il avec un air farouche. Plusieurs islamistes sont abattus dans les rouleaux de barbelés. Mais il s’en est fallu de peu que le camp soit submergé. Si cela avait été le cas, les soldats auraient été tous égorgés. Ils le savent. Aussi, ils sont sur le pied de guerre 24 heures sur 24, car les fanatiques islamistes sont prêts à mourir pour tuer le plus grand nombre de soldats.
Le BIR est une unité d’élite entrainée par des conseillers israéliens. Soucieux de diversifier sa coopération militaire, le président Biya avait anticipé la menace en faisant appel à des officiers de Tsahal pour former des soldats capables d’éradiquer la piraterie dans le golfe de Guinée. Les cargos qui attendaient à l’ancre d’être déchargés devant le port de Douala étaient alors attaqués.
Voyant la menace changer de nature, le chef de l’Etat décidait d’augmenter les effectifs de ses commandos. Aujourd’hui, ce sont eux qui barrent la route aux fanatiques de Boko Haram. Pour éviter la déstabilisation de son pays, le chef de l’Etat a augmenté les moyens de l’armée, affichant une détermination sans faille qui séduit Paris et Washington.
Il a fait déployer ses meilleures unités sur la frontière et ordonné qu’on achemine des canons de 155mm qui peuvent d’atteindre les camps de base djihadistes à 20 kilomètres à l’intérieur du Nigéria. Il a enfin accepté d’accueillir 300 militaires américains qui désignent avec leurs drones les objectifs à neutraliser.
A la tête de ses hommes, le Commandant Kwene Bethus a la charge de défendre cette muraille camerounaise contre les barbares. Son chemin de ronde, c’est une piste poussiéreuse que nous suivons à l’avant du convoi. Neuf kilomètres à haut risque pour rejoindre Kerawa, bâti à cheval sur la frontière avec le Nigéria.
Les combattants de Boko Haram s’en servent de base arrière pour attaquer le Cameroun grâce aux armes et aux munitions abandonnées par l’armée nigériane. Jusqu’à l’élection du nouveau président nigérian en mai 2015, les soldats nigérians fuyaient devant les hordes islamistes. Du coup, ce groupe est devenu en 3 ans une véritable armée du djihad bien équipée.
Une femme se fait sauter devant un étal. Bilan : 6 morts
Une semaine avant notre passage, une mine a été détectée. Ce sont les villageois qui ont averti le commandant quelques minutes avant l’arrivée de son convoi. L’officier veut me montrer l’endroit où les terroristes avaient enfoui la mine.
A l’arrêt, nous sommes plus vulnérables. Alors, au cas où des djihadistes seraient cachés dans la brousse, il déploie ses hommes autour. Le trou est gros comme l’ogive d’une roquette. «C’était une sous-munition d’une bombe», m’explique le Lieutenant Thierry Engbwee Omgba. Il me raconte que des bombes Beluga ont été récupérées par les islamistes après la prise de plusieurs bases aériennes au Nigéria.
Le comble, c’est qu’elles ont été vendues avec des avions Alpha Jet par la France et l’Allemagne au début des années 80 ! En ouvrant les bombes, les djihadistes découvrent les 150 sous–munitions que chacune contient. L’équivalent de grenades défensives capables d’envoyer des éclats à 50 mètres… Et qui sont depuis entre les mains des islamistes de la région.
Le convoi s’ébranle, le blindé en tête. Nous arrivons enfin au village de Kerawa sur la frontière du Nigéria. C’est l’un des points d’infiltration des djihadistes pour pénétrer au Cameroun et étendre leur territoire dans l’Afrique francophone. Les habitants du village sont rassemblés sur la place.
Il a été le théâtre de plusieurs attentats kamikaze. Le dernier a été perpétré dix jours à peine avant notre arrivée. Une femme s’est fait sauter devant un étal. Bilan : six morts. Un second kamikaze essaye de se glisser parmi les blessés, paniqués, regroupés devant le poste de l’armée. Repéré, il actionne sa ceinture d’explosif, provoquant la mort de 3 personnes de plus. «Ces terroristes sont sans scrupules, me dit le Commandant.
Ils n’hésitent pas à utiliser des enfants. Aussi, on est obligé de prendre en compte qu'un vieillard ou même une femme enceinte peut être un kamikaze.» Les villageois haïssent ces islamistes qui les prennent sans cesse pour des cibles. «Ce sont des tueurs qui assassinent les hommes, enlèvent nos jeunes filles et nuisent au pays.
Contrairement à ce qu’ils racontent, ce ne sont pas des musulmans. Aucune religion ne commande de tuer des gens ; Ce sont des malfaiteurs ; Il faut en finir avec eux», s’insurge un villageois du comité de vigilance local, chargé de signaler à l’armée tout individu suspect. «Les inconnus, on doit les contrôler en prenant des précautions, ajoute son voisin armé d’une machette. Si on le soupçonne d’être un kamikaze, on ne doit pas lui parler à moins de 20 mètres et fuir s’il s’approche».
Les derniers mètres vers la frontière avec le Nigéria sont les plus dangereux. Le Commandant choisit d’avancer entre les maisons. Lui et ses hommes pourraient s’y réfugier pour riposter, au cas ou nous serions pris pour cibles par des combattants de Boko Haram. «Vigilance maximale. En cas de présence ennemie, utilisation de toutes nos capacités», annonce l’officier à la radio.
Les soldats se sont déployés en ligne. Certains sont allongés, la crosse de leur fusil mitrailleur dans le creux de l’épaule. D'autres se protègent derrière le tronc d’un eucalyptus. Tous ont le doigt sur la détente de leur arme prête à ouvrir le feu.
Je marche dans les pas du lieutenant. Il pénètre dans le lit de la petite rivière asséchée qui marque la frontière. Le Nigeria commence ici. Le silence est pesant. Le soleil écrasant. A une trentaine de mètres, les bâtiments de la douane sont criblés de balles. De l’autre côté, les maisons semblent désertes.
Mais il ne faut pas s’y fier. Boko Haram peut s’y cacher. Une femme marche lentement avec un baluchon sur la tête. «Il reste quelques civils» me souffle le commandant. En fait, l’armée du Nigéria ne vient jusqu’ici que de temps en temps.
Elle monte parfois des opérations conjointes, mais ce sont les soldats camerounais qui sont en première ligne. Face à nous se dresse la forêt de Sambissa, le repaire de Boko Haram distant d’une vingtaine de kilomètres où sont peut-être détenus quelques-unes des lycéennes de Chibok. Le commandant ne veut pas rester davantage à découvert.
Il vient d’être averti à la radio que des hommes armés rodent dans la brousse pas loin d’ici. Une bonne dizaine de motos, le moyen de locomotion favori des terroristes seraient en train de couper à travers champs, juchés à deux sur leurs engins.
Au minimum une vingtaine d’hommes pourraient nous tomber dessus. Des complices dans le village pourraient les avoir renseignés sur notre présence. Le commandant craint que les djihadistes ne tentent quelque chose. Il préfère que nous reprenions la piste avant la nuit.