Nous sommes dans un village de l’Est Cameroun. Un samedi après-midi. Jean Daniel E. devrait inhumer son épouse décédée trois semaines plus tôt à Bertoua. Tout le décor est planté : les tentes occupées par les parents et amis. Face au prêtre qui lit la messe. L’endroit prévu pour le cercueil est vide. La belle-famille de Jean Daniel l’a « arraché » alors que le cortège funèbre se dirigeait vers le village de l’époux éploré.
Après une violente dispute entre les familles des deux mariés au sujet de la dot qu’exigeaient les parents de la défunte. « Dès le lendemain du jour du décès de notre belle-fille, son papa avait envoyé sa première fille nous prévenir qu’une dot serait versée pour inhumer le corps de sa fille », rapporte l’un des frères du veuf. « Nous étions tous étonnés. D’abord parce que nous avions déjà versé entièrement cette dot du vivant de notre belle-fille. Ensuite, c’était la première fois qu’on entendait pareille hétérodoxie », poursuit notre interlocuteur. Pour autant, malgré les contestations du veuf, sa famille s’est pliée à cette « exigence » en pensant inhumer le corps de l’épouse dans la dignité. Que neni ! C’était sans compter avec la roublardise du chef de famille.
« Ce qui est arrivé à Jean Daniel E. fait désormais partie du business qui se développe autour de la mort », explique Esdras Nke, sociologue. « Désormais, au-delà de l’exigence faite à la famille du veuf d’assurer toutes les charges liées aux obsèques (habillement de la défunte, cercueil, frais de morgue et de corbillard, prise en charge de la chorale, location des bus de transport, frais de collation), la belle-famille ajoute cette fameuse dot du cadavre », observe l’homme.
« Cette pratique qui a pris de l’ampleur avec la cupidité des acteurs de nos sociétés modernes n’était au départ qu’un jeu entre les deux familles, celle de l’homme, après avoir exposé les conditions de décès de leur belle-fille, remettait à la famille de cette dernière un cadeau symbolique pour, disait-on alors, essuyer les larmes de ses parents. C’était au cours d’une cérémonie traditionnelle appelée « Nsili awou » chez les Béti », se rappelle un sexagénaire du village de Jean Daniel E. La pratique a toujours cours dans les Régions du Centre, du Sud et de l’Est Cameroun.
Et les sommes déboursées vont souvent au-delà du million de FCFA. Sans que cela apaise les tensions. Le phénomène s’étend désormais « à toute femme qui décède ». Aux mères célibataires d’abord. Lors des obsèques de l’une d’elles, ses frères et soeurs traquent ses potentiels amants à qui ils extorquent de l’argent sous prétexte de cette fameuse dot qu’ils n’ont jamais versée. Par ailleurs, et cela est incompréhensible, les enfants exigent désormais à leurs oncles paternels de leur verser une dot pour leur défunte maman. U point de décider du lieu d’inhumation de la défunte, généralement dans son village, si la famille paternelle ne satisfait pas leur désirata.