Courbées sur les décombres de ce qui était leur maison, mère et fille amassent des sacs de gravats de béton qu’elles s’en vont entreposer sur le trottoir, trente mètres plus loin.
« Qu’est-ce qu’on peut faire d’autre ? », commente un voisin, à la fois triste et énervé. Comme ces gens qui ne veulent pas qu’on parle d’eux dans les médias, le quartier connu sous le nom de Scdp, du nom de l’entreprise publique distributrice de produits pétroliers voisine, va être rasé. Avant l’arrivée des pelleteuses et bulldozers, certains ont dès lors entrepris de partir et démonter, pierre par pierre quelquefois, leur maison.
Le long du boulevard de la Réunification, ce triangle-rectangle de quelque quatre hectares se trouve à la lisière de Douala I, carrefour qui sépare la ville ancienne des arrondissements de Douala III et V. L’issue y semble inéluctable pour beaucoup. « C’est la débandade depuis que les premiers voisins ont pris les chèques qu’on a donnés en dédommagement, se lamente une commerçante, installée sur le dernier pâté de maisons à détruire. Dès lors que la sommation a été faite en septembre [2015] de partir avant la fin d’un délai de huit jours, la plupart pense que c’est fini. Moi-même, j’attends le jour de la casse. »
En réalité, depuis 2013 quand un recensement a été réalisé pour dresser un état d’occupation des lieux, l’affaire semblait déjà pliée. Les dédommagements n’ont pas convaincu quelques-uns de ceux qui les ont reçus. « Quand on dit dédommagement, qu’est-ce qu’on paie en réalité ? Je suis arrivé ici en 1960 et j’ai acheté un lopin de terre à une famille autochtone. Combien vaut cette terre actuellement ? Pourquoi payer seulement la maison comme si on était des gens sans droits ? », se lamente M. Tagny, qui a abandonné sa maison pour louer un deux pièces, comme nombre de victimes. Durant plus un demi-siècle, témoigne-t-il : « On n’a pas eu de problème jusqu’à ce que l’on parle d’un particulier qui réclamait tout ce terrain. Après, ce sont les autorités qui sont intervenues... ».
Pourtant le danger du voisinage est incontestable. Au sommet du triangle, les occupants des constructions les plus proches des réservoirs de carburant doivent parcourir 50 mètres seulement pour toucher les énormes châteaux d’essence ou de gasoil. Les camions de transport s’alignent le long du mur d’enceinte et manœuvrent pratiquement sur les cours des maisons alentour. « Le moindre incident peut créer des problèmes mais comment expliquer que la barrière de protection puisse s’étendre jusqu’au bord de la route ? », s’interroge notre commerçante dont la famille a occupé les lieux peu après 1950. Elle perdra maison et commerce. D’autres y ont investi plus : de grands immeubles, des bureaux de Pme, boulangerie, pharmacie, ateliers d’artisans… Eux tardent d’autant plus à partir.