Douala ce 09 Juillet 2023. Il est exactement 19h. C’est l’heure de pointe chez les conducteurs de mototaxis communément appelés "ben‐ skin". A Bonamoussadi, quartier du 5ème arrondissement de la ville, qui doit sa réputation aux multiples espaces de divertissements qui s’y trouvent (glaciers, centres commerciaux, manèges, galerie, snack bar, restaurants etc.), les engions à deux roues vont dans tous les sens, créant un vacarme avec les klaxons et bruits des leurs moteurs.
En plein carrefour survient à vive allure une moto. Un jeune homme au volant tente d’arracher brutalement le téléphone d’une jeune dame traversant en pleine chaussée et distraite par un coup de fil. Le coup échoue grâce à l’intervention d’un client d’un kiosque voisin, qui s’est hâté d’alerter cette dernière d’une voix forte : « attention noirs‐noirs derrière vous ! », a-t-il crié à haute voix. La dame sursauta et se reconcentra, puis esquiva le véhicule qui venait dans le même sens. Prise de panique, la dame emprunta aussitôt un taxi. Elle ne sera pas une victime de plus des « Noirs‐noirs », une caste de « benskiners » qui a envahi la ville de Douala et qui s’est spécialisée dans les agressions à bords de motos.
« L’arrivée des noirs‐noirs dans la ville nous plonge dans une insécurité avancée. Avec le phénomène des microbes qui s’est passé récemment, nous sommes inquiets de la récidive, il faut encore que nous subissions les Noirs‐noirs. Avec tout ça, nous sombrons dans la peur avec ces hors la loi. C’est stressant ! » se plaint Bernard Foping, témoin de la tentative d’agression. Les noirs-noirs doivent leur appellation à leurs collègues motocyclistes pour la plupart autochtones de la ville. « Nous les appelons ainsi à cause de leurs visages bien noirs pour la majorité et nous les distinguons facile‐ ment au travers de leurs styles vestimentaires, ils portent tous des bonnets pointus avec des lunettes de soleil et ils sont grands de taille » explique, Benjamin Toko, conducteur de moto. Ces nouveaux travailleurs de motos sont présentés comme des personnes originaires des régions septentrionales du pays. Âgés entre 16 et 25 ans, on leur reproche de se servir de leurs motos pour commettre des actes répréhensibles comme les agressions à mains armées, le vol, les viols, les meurtres et les braquages.
PRUDENCE
Un phénomène qui sème la peur dans les esprits des populations de Douala ; mais surtout, jette le discrédit sur une activité qui prospère dans la capitale économique du pays parce qu’étant le mode de transport le plus prisé. Dans quelques agences de voyages, les passagers, habitants ou non de la ville sont préalablement briefés sur les dangers auxquelles ils pourraient faire face s’ils empruntent une moto conduite par un noir-noir. « Dès que je suis arrivée pour ma première fois à Douala le chauffeur de bus m’a recommandé de ne jamais monter sur la moto de l’un deux, sinon je risque de me faire dépouiller et même tuée. J’ai pris peur et depuis c’est resté ancré dans ma tête », atteste Annabelle Messina, étudiante.
On joue la carte de la prudence. « Je fais vraiment le tri en ce qui concerne mon choix sur la moto ici à Douala, c’est vrai que le danger se trouve partout, mais ces gars, je les évite au maximum, je préfère prendre 30 min voire une heure, pour me trouver une moto au lieu de monter sur les leurs. Parfois je subis les embouteillages avec le taxi et la chaleur qui étouffe, pourvu que j’arrive où je vais en paix, surtout quand je rentre les soirs avec ma recette », déclare Claudine, commerçante au marché Cité des palmiers.
VICTIMES COLLATÉRALES
Autre quartier, même situation d’insécurité. New-Bell ce matin du 10 Juillet. Le lieu-dit mosquée est un refuge par excellence des ressortissants de la partie septentrionale du pays, désormais présenté comme le fief de ce gang nouveau. La cohabitation est de plus en plus tendue avec les autres communautés et surtout avec les autochtones. On se plaint des disparitions d’enfants, de viols sur mineures et d’agressions.
« Nous sommes obligés de faire avec eux ici puisque nous sommes tous Camerounais, mais cela n’empêche pas que nous soyons en plein temps plongés dans la peur ou dans l’in‐ quiétude lorsque ton enfant va en com‐ mission ou lorsqu’il se fait tard et tu n’as pas encore les nouvelles d’un membre de ta famille qui est sorti. Leur présence dans le quartier n’est pas trop rassurante. J’ai moi‐même été victime deux fois de suite », rapporte Polycarpe, habitant de New-Bell. Pour autant, ce n’est pas tout le monde qui jette la pierre aux conducteurs de motos, encore moins aux ressortissants du Grand-nord face à cette situation. « Il y a les bons et les mauvais partout, ce n’est pas seulement à Douala, moi je ne fais pas tout le temps le tri. Lorsque je suis sur une moto et que c’est un ‘’babana’’ comme on les appelle souvent, je lui demande tout simplement de conduire prudemment. La seule chose que je redoute le plus c’est leur mauvaise conduite. Pour le reste, certains sont parfois très gentils », relativise Mélanie, cadre d’administration.
Mais le mal est déjà fait. Cette hostilité qui a bien failli coûter la vie à l’un deux. Saïdou, 19 ans, motoman, originaire de Mokolo, localité située dans l’Extrême-Nord, a été victime d’une vindicte populaire qui a failli lui coûter la vie, il y a près de trois mois. « Je déposais un client que j’avais porté au marché Nkololoun pour Bépanda omnisports, à mon retour j’ai involontairement heurté le rétroviseur d’une voiture que je voulais dépasser, le conducteur à bord de son véhicule était au télé‐ phone lorsqu’il a commencé subitement à crier sur moi et m’accuser de tentative de vol, la population a commencé à se défouler sur moi avec des bâtons et clés de roue, heureusement la police m’a sorti de là et on s’est expliqué au Poste. Mes oncles m’ont immédiatement emmené à l’hôpital, mais je suis sorti de là avec une oreille amputée et des cicatrices sur le dos et au genou gauche », confie Saïdou qui « continue de faire la moto [car] c’est mon gagne‐pain [et] j’ai mes parents au village »