ENQUÊTE : Les dessous opaques de la Ferme présidentielle camerounaise

Derrière les images bucoliques diffusées par le palais se cache une réalité bien moins idyllique. Notre enquête révèle que la Ferme du Sud, présentée comme un modèle de développement agricole, serait en réalité au cœur d'un système complexe mêlant conflits d'intérêts, gestion familiale et financements troubles.

Les productions de ce domaine présidentiel suivraient des circuits méticuleusement organisés. Selon plusieurs sources concordantes, les résidences officielles bénéficient en priorité des denrées produites, tandis que le surplus est écoulé sur les marchés locaux à des prix élevés. Quant aux ananas transformés, ils emprunteraient des filières d'exportation aux contours particulièrement opaques.

La direction de cette entreprise agricole a toujours été l'apanage des proches du couple présidentiel. Pendant deux décennies, un cousin de Chantal Biya en aurait tenu les rênes, avant que la succession ne passe à son beau-frère. Ce n'est qu'après des mouvements de mécontentement parmi les ouvriers que la gestion aurait été confiée à un technocrate, tout en restant sous étroite surveillance familiale.

Les conditions de travail sur ce domaine soulèvent par ailleurs de sérieuses questions. Nos investigations indiquent que les quelques trois cents employés, recrutés essentiellement dans les villages alentour, vivraient dans des baraquements sommaires et percevraient des salaires inférieurs aux standards légaux. L'accès aux soins médicaux resterait particulièrement limité pour ces travailleurs agricoles.

Plus troublant encore, le statut juridique de cette propriété privée semble brouiller les frontières entre bien public et affaire familiale. Plusieurs experts s'interrogent sur les mécanismes permettant à une entreprise personnelle de bénéficier de nominations officielles par décret présidentiel, de subventions publiques déguisées et d'exonérations fiscales avantageuses.

Dans un Cameroun en proie à de graves difficultés économiques, où une partie importante de la population peine à subvenir à ses besoins alimentaires de base, cette ferme présidentielle cristallise les contradictions d'un système où l'intérêt général semble trop souvent confondu avec les avantages réservés à une élite. Malgré nos multiples demandes, le palais présidentiel n'a fourni aucune réponse à ces interrogations légitimes.