EXCLUSIF : L'affaire Ekane expose les guerres de clans au sommet de l'État - Sadi contre Ngoh Ngoh

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Wed, 10 Dec 2025 Source: www.camerounweb.com

Dans une enquête exclusive, Jeune Afrique révèle comment la mort de Georges Anicet Ekane en détention a fait voler en éclats l'apparence d'unité du pouvoir camerounais. La sortie imprudente du ministre de la Communication René Emmanuel Sadi, critiquant la gestion de l'affaire, a été immédiatement interprétée à la présidence comme une "faute politique" visant son rival Ferdinand Ngoh Ngoh, secrétaire général de la présidence. Contraint à un rétropédalage public deux heures plus tard, Sadi illustre les profondes divisions qui minent l'appareil d'État. Entre un comité ad hoc chargé de traquer les opposants "stratégiques", des ministres qui se désolidarisent publiquement, et des figures du RDPC qui dénoncent une mort "évitable", l'affaire Ekane devient le révélateur des fractures béantes au sein du régime Biya.

Yaoundé, 10 décembre 2025 – La mort en détention de Georges Anicet Ekane le 1er décembre a fait bien plus qu'émouvoir l'opinion camerounaise. Elle a mis à nu les guerres de clans qui déchirent le sommet de l'État camerounais, révélant des divisions jusque-là soigneusement dissimulées.

Jeune Afrique rapporte un épisode révélateur survenu dans les heures suivant la médiatisation de la mort d'Ekane. René Emmanuel Sadi, ministre de la Communication, s'est confié lors d'un échange informel avec Angie Forbin, journaliste camerounaise installée aux États-Unis, pour commenter l'affaire.

Selon le média panafricain, le ministre a alors prononcé des mots qui vont déclencher une crise interne : il évoque des "décisions prises parfois sans consulter ceux qui pourraient avoir une autre approche". Plus audacieux encore, il glisse que s'il avait eu la main, il aurait "géré cette affaire autrement".

Ces propos, apparemment anodins, constituent en réalité une critique frontale de la gestion de l'affaire Ekane. Mais surtout, ils visent indirectement ceux qui ont pris ces décisions.

Jeune Afrique révèle que la sortie de Sadi "arrive jusqu'à la présidence de la République, où siège l'un des rivaux du ministre, le secrétaire général de la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh". La réaction ne se fait pas attendre.

Selon plusieurs sources citées par le média, les propos de Sadi sont interprétés comme "une prise de distance coupable avec une partie du gouvernement" et comme une "faute politique". Le message est clair : on ne critique pas publiquement les décisions prises au sommet, même de façon détournée.

La sanction est immédiate et humiliante. Deux heures plus tard, révèle Jeune Afrique, "le même René Emmanuel Sadi publie un communiqué officiel, sur un ton beaucoup plus prudent et moins critique". Le rétropédalage public du ministre de la Communication illustre le rapport de force au sein du pouvoir : Ferdinand Ngoh Ngoh a fait plier son rival.

Cette passe d'armes s'inscrit dans une rivalité plus ancienne entre deux poids lourds du régime. René Emmanuel Sadi, ministre de la Communication depuis des années, incarne une certaine ancienneté au sein du gouvernement. Ferdinand Ngoh Ngoh, secrétaire général de la présidence depuis 2018, représente une génération plus récente mais extrêmement puissante.

Jeune Afrique souligne que Ngoh Ngoh "siège à la présidence", ce qui lui confère une proximité quotidienne avec Paul Biya. Cette position stratégique lui permet de contrôler l'accès au Chef de l'État et de filtrer les informations qui lui parviennent. Un pouvoir considérable qui en fait l'un des hommes les plus craints de Yaoundé.

La rivalité entre les deux hommes n'est un secret pour personne dans les cercles du pouvoir. Elle reflète des luttes d'influence plus larges pour le contrôle de l'appareil d'État et, in fine, pour se positionner dans la perspective d'une succession de Paul Biya, sujet tabou mais omniprésent.

Jeune Afrique dévoile l'existence d'une structure secrète mise en place après la présidentielle contestée du 12 octobre. Le média rapporte que "ce comité, mis en place après la présidentielle du 12 octobre, aurait reçu pour mission d'identifier et d'arrêter les opposants jugés 'stratégiques'".

Cette révélation est majeure. Elle confirme l'existence d'une coordination au plus haut niveau pour réprimer la contestation post-électorale menée par Issa Tchiroma Bakary et ses soutiens. Georges Anicet Ekane, président du Manidem et fervent partisan de Tchiroma, figurait manifestement sur la liste des "opposants stratégiques" à neutraliser.

Selon Jeune Afrique, ce comité ad hoc serait "placé sous l'autorité du secrétaire général de la présidence". Autrement dit, Ferdinand Ngoh Ngoh lui-même. Cette information jette une lumière crue sur la sortie de René Emmanuel Sadi : en critiquant la gestion de l'affaire Ekane, il visait directement son rival Ngoh Ngoh, responsable du comité ayant ordonné l'arrestation.

Jeune Afrique révèle également que "Paul Atanga Nji, le ministre de l'Administration territoriale, en fait partie". Cette information n'est guère surprenante : Atanga Nji s'est imposé comme le visage dur du régime, celui qui assume publiquement la répression.

Le média panafricain rapporte d'ailleurs ses propos sans ambages sur l'affaire Ekane : "Si l'on considère qu'un malade ne peut pas être interpellé, alors tous les malades pourraient agresser, vandaliser, tuer, et on ne pourrait plus les poursuivre."

Plus choquant encore, Jeune Afrique cite cette phrase d'Atanga Nji qui a scandalisé : Ekane n'a pas vocation à devenir un martyr : "Seul Jésus-Christ est mort pour sauver le monde". Une déclaration d'une insensibilité rare, prononcée alors que la famille et les sympathisants de l'opposant décédé sont en deuil.

Mais le plus révélateur des divisions internes, ce sont les critiques émanant de figures historiques du parti au pouvoir. Jeune Afrique rapporte que "plusieurs figures du pouvoir contestent cette version officielle".

Le média cite Michel Ange Angouing, ex-ministre de la Fonction publique, qui "a été l'un des premiers à s'émouvoir de cette mort 'évitable'". Une position courageuse pour un ancien membre du gouvernement.

Plus inattendu encore, Jeune Afrique révèle que Christophe Mien Zok, "patron de la propagande du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir) a rendu un hommage inattendu" à Ekane : "Son décès n'aurait pas dû intervenir dans les circonstances que l'on connaît. Les alertes n'ont pas manqué."

Que le responsable de la propagande du parti au pouvoir critique publiquement la gestion d'une affaire politique sensible en dit long sur l'ampleur des divisions. Pascal Charlemagne Messanga Nyamding, ancien du Comité central du RDPC, a même "renchéri en affirmant que 'le SED était parfaitement au courant de son état de santé'", selon Jeune Afrique.

Ces prises de position publiques de cadres du RDPC constituent un événement rare dans un système où la discipline partisane est habituellement de rigueur.

Jeune Afrique révèle un autre élément significatif des tensions internes : "Le ministre délégué à la Défense, Joseph Beti Assomo, a très vite écarté toute responsabilité." Cette prise de distance rapide suggère que le ministre a voulu éviter d'être associé à une affaire qu'il pressentait explosive.

Cette attitude contraste avec celle du secrétaire d'État à la Défense, Galax Yves Landry Etoga. Selon Jeune Afrique, "plusieurs sources affirment que l'ordre serait venu du secrétaire d'État à la Défense, Galax Yves Landry Etoga, qui aurait activé une directive émanant d'un comité ad hoc placé sous l'autorité du secrétaire général de la présidence, dont il est proche".

Cette proximité entre Etoga et Ngoh Ngoh explique pourquoi le premier aurait été l'exécutant des directives du second. Elle révèle aussi l'existence de réseaux de loyauté qui traversent l'appareil d'État et qui peuvent court-circuiter la hiérarchie officielle.

Jeune Afrique pose la question essentielle : face à ces divisions internes, "le gouvernement, miné par la guerre des clans à Yaoundé, saura-t-il – et voudra-t-il – faire front commun ?"

La réponse semble négative. Entre un ministre de la Communication contraint au rétropédalage public, un ministre délégué à la Défense qui se désolidarise, et des figures du parti au pouvoir qui critiquent ouvertement, l'unité affichée du régime apparaît comme une façade fissurée.

Cette absence d'unité se manifeste même dans la communication officielle. Jeune Afrique note que la mise au point de René Emmanuel Sadi "est intervenue après un premier communiqué, laconique mais très calibré, publié par le ministère de la Défense via son chef de la communication, le capitaine de vaisseau Cyrille Serge Atonfack Nguemo".

Deux ministères, deux communiqués, deux tons différents : l'image d'un pouvoir coordonné et maître de sa communication est sérieusement écornée.

Face à la pression de l'Union européenne qui a rappelé au Cameroun "son obligation de protéger l'intégrité des acteurs politiques", Jeune Afrique rapporte que le pouvoir "a dénoncé le 5 décembre une 'ingérence inadmissible' et un 'discrédit injustifié' jeté sur l'État camerounais".

Cette réponse agressive contraste avec une autre information révélée par le média panafricain : "Plus discrètement, le pouvoir envisagerait d'apporter un soutien financier à la famille Ekane pour organiser les obsèques du défunt."

Cette tentative d'apaisement financier suggère que, malgré la posture martiale affichée publiquement, le pouvoir est conscient de la gravité de la situation. Mais Jeune Afrique précise immédiatement : "Mais les proches de ce dernier ont déjà refusé."

Ce refus prive le régime d'une porte de sortie honorable et maintient la pression politique et morale sur un gouvernement déjà divisé.

Au final, l'affaire Ekane révèle une réalité que les observateurs du Cameroun connaissent mais qui est rarement documentée aussi précisément : le pouvoir camerounais est miné par des guerres de clans qui opposent des barons du régime dans une lutte féroce pour l'influence et le contrôle de l'appareil d'État.

La mort d'un opposant en détention, au lieu de souder le régime face à la critique, a au contraire exacerbé ces divisions. Chacun cherche à se positionner, à se protéger, à affaiblir ses rivaux, quitte à se désolidariser publiquement de décisions prises collectivement.

Les révélations de Jeune Afrique mettent en lumière un système politique fragmenté où la cohérence de l'action gouvernementale est sacrifiée sur l'autel des ambitions personnelles et des rivalités de clans.

Source: www.camerounweb.com