Lorsque Muhammadu Buhari a été élu pour la première fois président du Nigeria il y a huit ans, c'était sur la promesse qu'il contribuerait à mettre fin à l'insurrection de Boko Haram, qui a forcé des millions de personnes à quitter leur foyer dans le nord-est du pays et coûté la vie à des milliers de personnes. Huit ans plus tard, la région semble plus sûre, de larges pans de territoire ayant été repris au groupe djihadiste. Mais alors que les Nigérians s'apprêtent à élire son successeur, la situation réelle est plus complexe.
Rukaiya Goni vit à côté d'une école primaire locale qui a été incendiée par le groupe militant islamiste Boko Haram, lorsque le grouope a pris la ville de Damasak fin 2014.
Boko Haram signifie "l'éducation occidentale est interdite". Le groupe a ciblé à plusieurs reprises des écoles laïques, notamment lors de l'enlèvement de plus de 200 écolières de la ville de Chibok.
A lire aussi :
La province d'Afrique de l'Ouest de l'État islamique (Iswap), qui s'est séparée de Boko Haram il y a sept ans, devient également une menace plus importante. En 2022, elle a revendiqué le plus grand nombre d'attaques depuis sa formation, et elle contrôle un territoire d'importance stratégique autour du lac Tchad.
Il existe également des preuves que la zone d'activité du groupe s'est étendue au nord-ouest du pays, où ils ont infiltré des gangs d'enlèvement.
La Constitution interdit au président Buhari de se représenter, mais son incapacité à débarrasser complètement le pays de l'insurrection, ainsi que la propagation de la violence, ont retourné certains habitants du nord du Nigeria contre son parti, le All Progressives Congress (APC).
À Dawauru, dans la ville de Kano, l'un des plus grands marchés céréaliers d'Afrique de l'Ouest, le grossiste Mukhtar Garba Intini déclare qu'il ne votera pas pour l'APC.
"Sous l'APC, nous avons vraiment souffert, nous prions pour que le PDP revienne", crie M. Intini avec colère. Il s'approvisionne en céréales à Maiduguri et dit avoir toujours dû faire face à l'insécurité.
"La sécurité est un problème. Il y a beaucoup de nos gens qui sont allés à Maiduguri, jusqu'à présent nous n'avons pas eu de nouvelles d'eux, nous ne faisons que prier pour eux."
L'insécurité est un problème auquel les voyageurs de la région sont confrontés quotidiennement. Lorsque nous parcourons 300 km vers l'est pour nous rendre à Potiskum, dans l'État de Yobe, nous devons utiliser des véhicules blindés, car des bandes de kidnappeurs parcourent les routes.
L'homme d'affaires David Oyebamiji vit dans la ville d'Ibadan, dans le sud du pays, mais se rend chaque mois à Potiskum pour acheter des céréales et des haricots qu'il vend dans le sud. Alors qu'il envisage de voter, il affirme que l'insécurité a fait grimper l'inflation alimentaire.
"Les choses n'étaient pas aussi chères avant, mais en raison de la situation du pays - l'insécurité, le problème de Boko Haram, le prix des choses a augmenté. Les agriculteurs ne peuvent pas cultiver en toute sécurité, donc tout est cher."
Il explique qu'au cours des quatre dernières années, pendant le second mandat du président Buhari, le prix d'un sac de haricots de 105 kg a doublé.
Il ne dira pas pour qui il votera mais il a un souhait : "Pour que les affaires soient meilleures, il faut d'abord régler la question de la sécurité."
L'incapacité du président Buhari à gérer la sécurité est l'une des raisons pour lesquelles les partisans d'Atiku Abubakar, du principal parti d'opposition, le Peoples Democratic Party (PDP), pensent qu'il pourrait avoir une chance de remporter le vote du Nord cette fois-ci. Le fait qu'il soit le seul candidat principal à venir du nord l'aide.
Dolly Kola-Balogun est une femme d'affaires et une partisane du PDP qui vit dans la capitale, Abuja.
"Je ne soutiens pas l'APC car je pense qu'ils ont échoué en tant que parti politique au niveau national. Ils n'ont pas réussi à s'attaquer à l'insurrection dans le nord-est, et maintenant il y a d'autres problèmes, notamment les enlèvements contre rançon."
Elle pense que le grand nombre de jeunes qui se sont inscrits sur les listes électorales pourrait jouer en faveur de M. Abubakar, même si, à 76 ans, il est le plus âgé des trois principaux candidats. Quelque 40 % des 10 millions d'électeurs nouvellement inscrits ont moins de 35 ans.
"Plus de jeunes sont engagés cette fois-ci. Dans le sud, ils sont plus pro-Obi mais les jeunes du nord sont plus pro-Atiku."
Plus de la moitié des électeurs inscrits, soit environ 49 millions de personnes, vivent dans le nord du Nigeria et, traditionnellement, le taux de participation est plus élevé dans la région que dans les villes du sud comme Lagos. La conquête des électeurs du nord pourrait contribuer à l'obtention du ticket.
Les 1,6 million de personnes toujours déplacées à l'intérieur du pays dans l'État de Borno, en raison de la lutte contre Boko Haram, constituent une autre mise en cause des performances du parti au pouvoir.
Hawa Goni, 25 ans, a quitté son village de Dikwa, dans l'État de Borno, il y a sept ans. "Boko Haram tuait les maris et kidnappait les gens, c'est pourquoi j'ai décidé de fuir avec mon mari", explique-t-elle.
Après un court passage à Maiduguri, elle a essayé de déménager vers le sud, à Lagos, la plus grande ville du Nigeria, dans l'espoir d'une vie meilleure, mais cela n'a duré qu'un an. "C'était trop difficile, très cher", me dit-elle. "Nous n'y arrivions pas".
Aujourd'hui, elle est de retour à Maiduguri, mais l'aide a été coupée au camp où elle vit, dans le cadre d'une campagne du gouverneur de l'État, membre de l'APC, visant à encourager les personnes déplacées à rentrer chez elles et à devenir moins dépendantes de l'aide.
Les conséquences ont été dévastatrices : son bébé de neuf mois, Amina, souffre de malnutrition et dépend des rations alimentaires d'urgence fournies par une clinique du camp gérée par le gouvernement et soutenue par le PAM. Elle reçoit une pâte hautement nutritive à base de cacahuètes pendant six mois, afin de l'aider à prendre du poids.
Des groupes de défense des droits et des groupes de réflexion ont critiqué la décision du gouvernement de l'État de fermer les camps, affirmant qu'elle a plongé plus de 200 000 personnes dans une souffrance et un dénuement accrus.
Aucun des principaux candidats aux élections ne mentionne directement Boko Haram ou Iswap dans leur manifeste. Ils ont cependant des suggestions sur la manière de s'attaquer aux djihadistes de manière plus générale.
Bola Tinubu, de l'APC au pouvoir, veut créer des "bataillons antiterroristes hautement entraînés et disciplinés avec des unités de forces spéciales". Il veut également "gagner les cœurs et les esprits" des communautés touchées par l'insurrection en leur offrant un soutien d'urgence et économique.
M. Abubakar, principal candidat de l'opposition, veut faire face à l'insurrection en utilisant "des approches alternatives de résolution des conflits, telles que la diplomatie, le renseignement, l'amélioration du contrôle des frontières, les institutions traditionnelles et les relations de bon voisinage". Il souhaite également apporter plus de développement au nord-est.
Peter Obi, du parti travailliste, propose d'accroître la coopération régionale pour sécuriser les frontières, et de "poursuivre les criminels, les bandits et les terroristes pour mettre fin à l'impunité".
Aucun des principaux candidats ne donne de détails sur le coût de ces initiatives, ni sur la manière dont ils les financeraient.
Mais quel que soit le remplaçant du président Buhari, il devra disposer d'un plan clair s'il veut tenir les promesses qu'il a faites il y a huit ans. La présence continue de groupes d'insurgés et leur propagation à d'autres parties du pays pourraient constituer une menace pour la stabilité de la nation la plus peuplée d'Afrique.