Les principaux candidats à la présidence du Nigeria nient les accusations de commerce de drogue, de blanchiment d'argent et d'évasion fiscale dont ils sont l'objet.
Les Nigérians qui voteront pour un nouveau président, en février prochain, auront le choix entre 18 candidats. Trois hommes considérés comme les principaux candidats ont été accusés séparément de trafic de stupéfiants, de blanchiment d'argent et d'évasion fiscale.
Aucun d'entre eux n'a jamais été inculpé, ce qui les empêcherait de se présenter aux élections, mais les allégations dont ils sont l'objet, très médiatisées, soulèvent des questions.
"Il s'agit de choisir entre de mauvais candidats", a déclaré Auwal Rafsanjani, directeur de la branche nigériane de Transparency International, organisme de surveillance de la corruption. Il souligne que la corruption généralisée a entraîné des niveaux dévastateurs de sous-développement et de pauvreté dans ce pays riche en pétrole.
Les trois principaux candidats sont Bola Tinubu, du parti au pouvoir, l'APC, Atiku Abubakar, du People's Democratic Party, et Peter Obi, du Labour Party.
Tous trois affirment avoir fait fortune de manière légitime et nient toute malversation.
Les dossiers Bola Tinubu
M. Tinubu, qui a exercé deux mandats de gouverneur de Lagos, l'État le plus riche du Nigeria, est probablement le candidat le plus controversé.
Son âge, son nom, son état de santé, sa profession et l'authenticité de son diplôme universitaire font l'objet d'interminables débats, mais c'est l'origine de sa richesse qui fait surtout s'interroger.
Nombreux sont ceux qui pensent que M. Tinubu, âgé de 70 ans, est l'un des hommes politiques les plus riches du Nigeria, bien qu'il n'existe aucun document officiel à ce sujet.
Un manoir situé dans un vaste complexe, dans le quartier d'Ikoyi, à Lagos, est ce qu'il y a de plus visible de sa richesse - une partie haut de gamme du centre commercial du Nigeria. C'est là, le jour des élections de 2019, que les badauds ont assisté au spectacle rare de deux véhicules blindés, semblables aux fourgons à lingots utilisés par les banques pour transporter de l'argent liquide, franchissant ses portes. Ses assistants ont nié les accusations ultérieures selon lesquelles il était impliqué dans l'achat des votes.
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Mais des questions sur sa richesse ont été soulevées. En décembre, il a déclaré à la BBC qu'il avait hérité de biens immobiliers avec lesquels il a fait des investissements.
Bola Tinubu a également déclaré par le passé être devenu "millionnaire instantanément" alors qu'il travaillait comme auditeur chez Deloitte et Touche.
Il a déclaré avoir épargné 1,8 million de dollars (1 milliard 346 millions de francs CFA) provenant de ses salaires et allocations, soit presque le même montant que celui trouvé sur des comptes liés à son nom dans un litige avec les autorités américaines en 1993.
Dans des documents rendus publics, le ministère américain de la Justice affirme qu'à partir du début de 1988, des comptes ouverts au nom de Bola Tinubu contenaient le produit de ventes d'héroïne blanche, une substance interdite.
Kevin Moss, l'agent spécial qui a enquêté sur l'opération, affirme que M. Tinubu travaillait pour le principal suspect, Adegoboyega Akande.
Il déclare que M. Tinubu a initialement admis au téléphone qu'il connaissait M. Akande, mais qu'il s'était ensuite rétracté et avait déclaré n'avoir eu aucune transaction financière avec lui.
Il y a des raisons de croire que l'argent trouvé sur les comptes bancaires en question était le produit d'un trafic de drogue, selon la justice américaine. M. Tinubu et les autres mis en cause nient ces accusations, et le tribunal n'a jamais rendu d'ordonnance définitive sur l'origine de l'argent.
Au lieu de cela, M. Tinubu, qui n'a pas été personnellement inculpé pour de l'argent, a trouvé un compromis avec les autorités qui ont confisqué 460 000 dollars (environ 277 611 570 francs CFA).
M. Tinubu a toujours nié tout lien avec le trafic de drogue et son porte-parole, Festus Keyamo, a déclaré que les fonds confisqués faisaient partie d'une confiscation civile et non d'une confiscation pénale.
L'année dernière, il a également conclu un accord à l'amiable avec le comptable Oladapo Apara, qui s'était brouillé avec M. Tinubu.
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M. Apara est l'un des fondateurs de la société Alpha Beta Consulting. Créée lorsque M. Tinubu était gouverneur, cette société a obtenu le juteux contrat de suivi des impôts dans l'État de Lagos. Un contrat qu'elle détient toujours.
Le comptable affirme que M. Tinubu détenait une participation majoritaire de 70 % dans la société, par le biais de procurations - et que le cabinet recevait une commission d'environ 10 % sur les recettes perçues, qu'il a estimées à 3,48 milliards (2,1 milliards de francs CFA) entre 2002 et 2018.
M. Tinubu dément, affirmant qu'il ne reçoit pas de commissions sur les impôts perçus par le gouvernement de l'État de Lagos.
M. Apara déclare avoir été mis à la porte du cabinet en 2010, à la suite de soupçons de détournement de fonds - il affirme aussi avoir entamé une longue bataille judiciaire pour obtenir la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi.
Oladapo Apara a fait valoir qu'il ne pouvait pas être licencié en tant que fondateur de l'entreprise et a demandé une compensation à M. Tinubu, ce qui a donné lieu à un procès en 2021.
En septembre 2018, le comptable a également écrit sur Twitter qu'il avait écrit à l'organisme public chargé des crimes financiers au Nigeria, accusant Alpha Beta Consulting d'évasion fiscale - la lettre qui accompagnait le tweet, qui détaillait les accusations, a été supprimée de son compte.
Alpha Beta Consulting a démenti ces accusations et a déclaré que M. Apara avait été licencié pour fraude, ce qu'il a nié.
M. Tinubu a toujours nié avoir des liens avec l'entreprise, mais il était partie prenante d'un accord non divulgué entre Alpha Beta et M. Apara en juin dernier, qui a abouti à l'arrêt des poursuites menées par les parties, l'une contre l'autre.
La BBC a interrogé M. Tinubu sur l'accord, les allégations américaines et les questions relatives à sa fortune, mais il n'a pas voulu répondre aux questions de la BBC.
Atiku Abubakar et le Sénat américain
M. Abubakar se présente comme le candidat le plus expérimenté du scrutin, pour été vice-président du Nigeria entre 1999 et 2007 - et c'est cette période qui suscite une certaine controverse.
Son ancien patron, l'ancien président Olusegun Obasanjo, l'a accusé d'avoir détourné 145 millions de dollars US (87,5 milliards de francs CFA) du Petroleum Technology Development Fund (PTDF) en 2003.
M. Obasanjo, qui n'hésite pas à partager publiquement ses opinions sur d'autres politiciens, a consacré un chapitre de son livre "My Watch", publié en 2014, aux malversations présumées de son ancien adjoint.
M. Abubakar a nié ces accusations. Il affirme que 145 millions de dollars avaient été placés dans des banques commerciales pour accumuler des intérêts, qui devaient être réinjectés dans les projets du PTDF.
M. Abubakar, âgé de 76 ans, déclare qu'il avait d'abord gagné de l'argent en cultivant des terres et en possédant des maisons dans l'Adamawa, l'État où il est né. Ancien fonctionnaire des douanes, il a déclaré avoir reconnu très tôt qu'il avait "un bon flair pour l'argent".
C'est dans les années 1980 qu'il a créé une entreprise de services pétroliers, qui l'a catapulté dans le monde des riches.
Ses opposants l'accusent d'avoir fait fi d'une loi qui interdit aux fonctionnaires de se lancer dans des activités privées autres que l'agriculture.
Le porte-parole de M. Abubakar a décrit son entreprise comme une petite activité à laquelle se livrent de nombreux fonctionnaires, comme l'utilisation de leur voiture comme taxi ou l'ouverture d'un magasin devant leur maison pour subvenir aux besoins de leur famille.
"Il a seulement investi ses revenus pour gagner des intérêts. Il ne faisait rien d'autre sous forme de travail privé comme vous l'insinuez", a déclaré Paul Ibe à la BBC.
En 2010, un rapport d'une commission du Sénat américain a allégué qu'entre 2000 et 2008, M. Abubakar, par l'intermédiaire de l'une de ses quatre épouses, a transféré plus de 40 millions de dollars US (24,1 milliards de francs CFA) de "fonds suspects" aux États-Unis à partir de sociétés écrans offshore.
Selon le rapport, au moins 1,7 million de dollars (1 milliard 26 millions de francs CFA) provenaient de pots-de-vin versés par la société technologique allemande Siemens, qui a plaidé coupable d'accusations de corruption en 2008 et a accepté de payer une amende de 1,6 milliard de dollars (965 676 280 francs CFA).
Il a également été une figure majeure du procès pour corruption de l'ancien membre du Congrès américain William Jefferson, qui, dans le rapport du Sénat, a décrit M. Abubakar comme étant "vraiment corrompu" et a déclaré qu'il avait besoin d'argent pour le soudoyer, afin qu'il approuve les transactions commerciales d'une entreprise américaine au Nigeria.
M. Jefferson a été reconnu coupable en 2009 et condamné à treize ans de prison, une peine qui a été réduite par la suite.
M. Abubakar a nié à plusieurs reprises tout acte répréhensible et ni lui ni sa femme, aujourd'hui divorcée, ne font l'objet de poursuites pénales aux États-Unis.
"Atiku Abubakar n'est pas jugé pour corruption ou toute autre faute, que ce soit au Nigeria ou dans un pays étranger", a déclaré M. Ibe. "Il ne peut être inapte à exercer une fonction publique que lorsqu'il est inculpé par un tribunal. Ce n'est pas le cas."
Peter Obi et les Pandora Papers
Peter Obi, qui a également exercé deux mandats de gouverneur - dans l'État d'Anambra, dans l'est du pays -, ne cache pas son immense richesse, qu'il affirme avoir acquise grâce à ses activités bancaires et à l'importation de divers biens au Nigeria.
Surnommé "M. Propre" par ses partisans parce qu'il est l'un des rares hommes politiques nigérians à ne pas être accusé de détournement de fonds publics, beaucoup ont été surpris lorsque son nom est apparu en 2021 dans les Pandora Papers. Il s'agissait d'une fuite de près de 12 millions de documents qui révélaient la richesse cachée, l'évasion fiscale et, dans certains cas, des soupçons de blanchiment d'argent par certains des riches et puissants du monde.
Le journal nigérian Premium Times, l'un des journaux ayant contribué à l'enquête Pandora Papers, affirme que les documents montrent qu'en 2010, lorsque M. Obi était gouverneur d'Anambra, il a créé une société portant le nom de sa fille, dans les îles Vierges britanniques, pour éviter de payer des impôts.
L'utilisation d'un paradis fiscal n'est pas illégale, bien que la création de comptes bancaires à l'étranger en tant que fonctionnaire ne soit pas autorisée au Nigeria.
Premium Times a déclaré que cela montrait que M. Obi n'avait pas déclaré ses actifs et qu'il n'avait pas démissionné de la société Next International, enregistrée au Royaume-Uni, dont il était le directeur lorsqu'il est devenu gouverneur, s'engageant ainsi dans des affaires privées, ce qui n'est pas autorisé pour les fonctionnaires. Sa démission a été enregistrée quatorze mois après le début de son mandat.
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L'homme de 61 ans n'a jamais été inculpé pour ces révélations.
M. Obi a déclaré à la BBC qu'un procès de mise en accusation avait examiné les allégations concernant ses affaires en 2006 et avait conclu qu'il avait agi dans le respect de la loi.
Il ajoute qu'il avait établi une fiducie sans droit de regard pour superviser ses arrangements commerciaux, y compris les avoirs offshore de la famille. "Une fiducie sans droit de regard est autorisée par la loi", a-t-il déclaré.
M. Obi a également été accusé de conflit d'intérêts après avoir investi 20 millions de dollars (12 milliards 70 millions de francs CFA) de fonds publics, alors qu'il était gouverneur, dans une brasserie dont sa famille détient des parts via Next.
Il nie ces allégations, affirmant que cet investissement a grandement profité à l'État d'Anambra au fil des ans.
Des critiques ont également été formulées, concernant l'investissement d'Anambra dans la Fidelity Bank, dont il a été président.
"L'État d'Anambra a investi dans la Fidelity Bank, où j'ai des intérêts, car il s'agit d'une société cotée en bourse", a-t-il déclaré à la BBC, rejetant toute idée selon laquelle les révélations sur ses finances remettraient en question son aptitude à exercer ses fonctions.
L'héritage du président Buhari
La semaine dernière, une querelle sur la corruption a éclaté entre le camp de M. Abubakar et celui de M. Tinubu. Chacun accuse le candidat de l'autre d'avoir siphonné des fonds publics par le biais de sociétés mandataires connues sous le nom de "special purpose vehicles" (SPV) lorsqu'il était en fonction, affirmant que cela les rend inéligibles. Le porte-parole de la campagne de l'APC de M. Tinubu a déclaré qu'il allait porter l'affaire en justice.
Les deux hommes nient ces allégations, mais la question domine désormais les débats au Nigeria.
La lutte contre la corruption n'a pas été un sujet de discussion majeur au cours de cette campagne électorale.
Cela contraste fortement avec les promesses frénétiques de lutte contre la corruption qui ont permis l'élection de Muhammadu Buhari en 2015.
L'homme de 80 ans quitte ses fonctions cette année, mais les analystes estiment qu'il n'a pas fait grand-chose pour s'attaquer au problème pendant son mandat.
"Les Nigérians entretiennent peut-être une familiarité avec la corruption et ont remarqué que rien de fondamental ne change", a déclaré M. Rafsanjani.