Épervier : le Tcs enquête sur une affaire de milliards à la centrale thermique de Bertoua

Centrale Thermique De Dibamba Image illustrative

Wed, 20 Jul 2022 Source: www.camerounweb.com

Pour faire face aux délestages de 2017 et aux mouvements sociaux qui en découlaient, la direction générale du concessionnaire public de l’énergie électrique au Cameroun lance ce marché. Il tourne au fiasco et les acteurs sont convoqués par cette juridiction spéciale.

Selon nos confrères du journal Essingan, en mars 2021, dans le cadre d’une « dénonciation de l’Agence nationale d’investigations financières (Anif) contre Véronique Ngo Yinda épouse Djame (celle qui, au nom de l’entreprise Assistance et services moteur d’Afrique (Asma) Sarl, avait signé le bon de commande du marché aujourd’hui querellé, ndlr) » , le tribunal criminel spécial (Tcs), a convoqué six responsables d’Eneo Cameroun SA, dont certains étaient encore en poste au moment des faits en 2017. Il s’agit du directeur des approvisionnements, Leslie Chebienka, du directeur de la production, Amadou Bivoung, du directeur central des activités techniques, Eugène Nguéha, du sous-directeur de la maintenance des centres Eneo, Jean-Louis Betoko Ambassa Echichi, du responsable de la production à l’Est, Emmanuel Bienvenue Nsangou, et du chef du projet pour la fourniture, l’installation de quatre groupes Caterpillar types 3516B de puissance en fonctionnement en base de 1,6 MW chacun, avec accessoires et pièces de rechanges, à la centrale thermique de Bertoua-TQ1143, Emmanuel Tachago.

La juridiction spéciale qui connaît des affaires de distorsion de l’orthodoxie financière pour des montants supérieurs ou égaux à 50 millions de Fcfa voulait auditionner les six mousquetaires sur leur participation présumée aux manœuvres dolosives ayant permis la soustraction d’1,2 milliard de FCFA des caisses d’Eneo. Selon les accusateurs, cette distraction de fonds publics s’est faite par « le moyen d’un marché d’acquisition de quatre groupes électrogènes neufs, de marque Caterpillar 3516B de 1 600 kilowatts (KW) chacun, pour renforcer la capacité de production de la centrale thermique de Bertoua » . A l’époque, il était spécialement question d’y remplacer quatre groupes électrogènes vétustes qui empêchaient la production optimale de l’énergie électrique dans la région de l’Est, Bertoua étant la source d’approvisionnement d’une bonne partie de cette partie du pays.

Achat foireux

L’histoire remonte au 11 mai 2017. Ce jour-là, le directeur général d’Eneo Cameroun SA de l’époque, Joël Nana Kontchou, face aux difficultés rencontrées par la centrale thermique de Bertoua, décide de passer « en urgence » et « de gré à gré » avec l’entreprise Asma Sarl le marché mentionné supra. Selon des sources internes à Eneo, « l’urgence se justifiait également par le fait qu’en plus de Bertoua, le chef-lieu de la région, les principales localités arrosées (Abong-Mbang, Batouri, Bélabo, Dimako, Doumé, Nguélémendouka) étaient en ébullition ».

Seulement, de l’avis de certains personnels en service à la centrale thermique de Bertoua, « Asma Sarl n’a pas respecté les spécifications techniques des équipements commandés ». De sorte que, lors de leur réception provisoire en juin 2018 à Bertoua, des voix s’élèvent contre « des groupes livrés par l’entreprise Asma Sarl ».

Un document de dénonciations internes révèle qu’ « Asma Sarl a plutôt fourni des groupes marins vétustes et rénovés avec des couches de peinture, inadaptés pour des centrales thermiques » .

Dans cette note d’informations, intitulée « Achat foireux de quatre groupes électro- gènes Caterpillar à la centrale thermique de Bertoua » , on peut lire que « des employés ayant refusé de signer le procès-verbal (PV) de test de ces groupes livrés par Asma Sarl lorsqu’ils étaient arrivés à la centrale Eneo de Bertoua » . Ils excipent de ce que « leur fréquence est de 60 Hertz (Hz) alors que celle admise au Cameroun est de 50 Hz, la vitesse de rotation de 1 500 tours/minute (tr/mn) et la tension de 400 volts (V) ». Des informations confirmées par plusieurs sources dans le cadre de cette enquête. Elles sont formelles : « Ces groupes électrogènes avaient été déjà utilisés au moins pendant 10 ans et ne pouvaient plus tenir pour plus d’un an. »

Distraction présumée de 1,2 milliard de FCFA

Dans le PV évoqué supra, les

« frondeurs » ont pris le soin de noter que « ce document ne fait pas foi de PV définitif, qui lui sera établi sous réserve des résultats des essais en situation réelle » . Ils avaient pris le soin d’en faire part à Asma Sarl en indiquant que « le présent PV est signé pour permettre l’installation, les essais dans le système électrique du groupe référencé à la première page et statuer par rapport aux réserves formulées dans la lettre adressée à Asma Sarl le 18 avril 2018

»
. Et pour cause, comme les

réserves prédisaient, « en situation réelle, ces équipements n’ont pas tenu trois mois » .

Selon toute vraisemblance, toutes ces jongleries ont impacté les finances d’Eneo. En effet, soufflent des sources internes, « Eneo Cameroon SA a perdu 1,2 milliard de FCFA parce qu’il a déboursé 4 milliards de FCFA au lieu d’1,8 milliard de FCFA, à raison de

450 millions de FCFA par groupe électrogène Caterpillar à Tractafric »
. Une information qu’aucune des sources approchées à Eneo n’a pu confirmer. Toujours est-il que, dans « un élan de colère », des personnels d’Eneo saisissent l’Anif pour dénoncer « une distraction [présumée] de fonds consécutive au non-respect des indications d’un marché » . Certainement après avoir mené des investigations, l’agence en charge de traquer l’enrichissement illicite au Cameroun décide de transmettre le dossier au TCS vers lequel les regards des dénonciateurs restent tournés.

Contrat de performances

Entre-temps, pour ne pas pénaliser les populations de la région de l’Est, le top management d’Eneo, se souvenant que le barrage de Memvele va bientôt entrer en fonction pour arroser tout le Sud, vont « enlever » quatre groupes électrogènes de la centrale thermique d’Ebolowa. Pour les installer à Bertoua. « Cet autre tour de passe-passe se justifie par le fait qu’en plus du non-respect des spécificités techniques inscrites sur le bon de commande validé le 29 juin 2017 par Joël Nana Kontchou, les équipements livrés avaient chacun sa spécificité technique. Ainsi, l’on avait constaté que les pièces n’étaient pas interchangeables. Lorsqu’un groupe électrogène tombait en panne, on ne pouvait pas en changer la pièce défaillante par une autre d’un autre groupe qui, lui, était déjà hors d’usage » , souffle une source à Eneo. De fil à aiguille, tous les groupes livrés par Asma Sarl étaient tombés en désuétude. Poussant ainsi le concessionnaire public de l’énergie électrique au Cameroun à se tourner vers les groupes d’Ebolowa. Qui, eux aussi, ont montré des limites. La lumière est alors venue d’Aggreko présenté par son site web comme « le leader mondial de la location des groupes électrogènes dans des situa- tions d’urgence » . Avec cette entreprise britannique basée à Glasgow en Ecosse, Eneo a signé un contrat de performances pour la location de quatre groupes électrogènes. « Avec Aggreko, nous n’avons plus de problèmes. Cette entreprise s’occupe de tout, surtout de la maintenance de ses équipements, et n’attend que le règlement de ses factures » , indique une source technique à Eneo.

Source: www.camerounweb.com