Dans l'ouvrage "Au Cameroun de Paul Biya" écrit par Fanny Pigeaud, on apprend comment certaines élites ont vidé les caisses de l'Etat pour leur plaisir personnel. Si certains ont pu s'offrir une retraite paisible, d'autres ont fini mal.
Au temps de sa splendeur, Emmanuel Gérard Ondo Ndong était appelé « sa majesté », « l’empereur », « le roi ». Alors à la tête du Fonds d’équipement intercommunal (Féicom), un établissement public chargé de gérer les fonds des communes, il distribuait l’argent comme s’il en pleuvait. Les journalistes qui avaient l ’occasion de faire un reportage sur ses activités repartaient avec
de quoi s’offrir une voiture, parfois plusieurs.
En 2006, son règne a pris fin : il a été arrêté et inculpé pour « détournements
de fonds publics ». Son procès qui a duré de longs mois a révélé des détournements massifs des fonds du Féicom à son profit, à l’avantage d’entreprises et d’autres particuliers1. Ondo Ndong n’est pas le seul à s’être servi dans les caisses de l’État : les ministres, les responsables de l’administration et des entreprises publiques ont pris l’habitude de piller les fonds publics qu’ils ont à gérer, souvent dans d’énormes proportions.
Pour beaucoup, être nommé à un poste à responsabilité signifie avant tout accéder aux ressources dévolues ou contrôlées par son administration et les capter à son profit. « Nous avons surnommé notre ministre Rapetou », racontait ainsi un employé d’un ministère en décembre 2007. « Il est entré au gouverne-
ment en septembre mais il passe déjà pour plus gourmand que son prédécesseur qui aimait pourtant beaucoup l’argent », expliquait-il. Le même ministre a été suspecté quelques mois plus tard d’avoir détourné une partie des 770 millions de FCFA (1,2 million d’euros) destinés à la couverture médiatique de la visite, en mars 2009, du pape au Cameroun : l’Agence nationale d’investigation financière (Anif) a repéré un virement suspect sur son compte personnel de 130 millions de FCFA (200 000 euros).
Le ministre s’est défendu en assurant avoir voulu « sécuriser » les fonds qui lui étaient parvenus en espèces, dans des sacs. Il a néanmoins reconnu avoir « peut-être commis une faute de gestion en allant mettre de l’argent public sur un compte privé ». Les détournements se font souvent au détriment des petits fonctionnaires, dont les primes et autres avantages sont détournés par leurs supérieurs : « Comme tous mes collègues, je n’ai jamais touché l’indemnité prévue pour m’aider à rejoindre le lieu de ma première affectation, dans le Nord du pays », racontait en 2008 un jeune enseignant. « On nous a cependant obligés à signer un papier qui disait que nous l’avions reçue », ajoutait-il, sûr que son indemnité avait atterri dans les poches de responsables du ministère de l’Enseignement secondaire. Grâce à ces pratiques, les hauts fonctionnaires sont devenus les personnages les plus riches du pays.
En 2006, des journaux ont pu ainsi dresser des listes de « fonctionnaires milliardaires ». Même les forces de sécurité sont touchées par le phénomène : une grande partie du budget débloqué pour les militaires envoyés sur le terrain de Bakassi (sudouest), lors du conflit frontalier qui a opposé le Cameroun au Nigeria entre 1994 et 2003, a été détournée et est restée au niveau de l’état-major de l’armée, à Yaoundé. Les hauts gradés stationnés à Bakassi captaient à leur tour le peu de fonds qui arrivaient sur place et ne les redistribuaient pas à la troupe. La liste des techniques utilisées pour détourner les deniers de l’État est longue : missions et marchés fictifs, primes discrétionnaires, octroi d’avantages indus, surfacturations, dépenses non prévues, violation des procédures de passation de marché, livraison partielle ou fictive des commandes, faux en écriture, cession irrégulière ou distraction de biens de l’État, décaissements sans justificatifs, non-reversement des cotisations sociales à la sécurité sociale, non-prélèvement ou non-reversement des impôts et droits de taxes par les gestionnaires de fonds publics, dépassements non autorisés des crédits budgétaires, mise en place de réseaux de recouvrement des recettes parallèles aux structures légales...
Le problème n’est pas né avec l’arrivée de Biya au pouvoir : il existait déjà sous Ahidjo. En 1979, les autorités avaient lancé une opération baptisée « Brigade rouge » pour lutter contre la DÉTOURNEMENTS ET CRIMINALITÉ 141 corruption et les détournements de fonds publics. Début 1980, l’UPC non légale déclarait : « La corruption doit cesser dans l’administration. Tous les “grands types” qui détournent des millions pour s’enrichir sur le dos du peuple doivent être frappés par des peines d’emprisonnement sévères ». Le parti d’Ahidjo, l’UNC, s’est lui-même exprimé sur la question lors de son congrès de Bafoussam en 1980, appelant « à plus de rigueur dans la gestion de l’économie » et en condamnant « énergiquement la corruption, les détournements des deniers publics, la fraude fiscale et douanière ». C’est à ce même congrès qu’était apparu le slogan « rigueur et moralisation », repris plus tard par Biya.