Inconnu du grand public jusqu’à peu, Jean Gakam est désormais au centre d’un vaste scandale qui secoue les plus hautes sphères militaires du Cameroun. Accusé de corruption, de blanchiment d’argent, et de financement du terrorisme, le banquier, autrefois discret, fait face à des allégations qui révèlent un réseau complexe d’intrigues au sein de l’appareil sécuritaire du pays.
L’affaire débute véritablement en octobre 2023, lorsque le colonel Olivier Ekani, chef du Poste de commandement opérationnel (PCOPS) à Yaoundé, reçoit un rapport explosif de deux agents de renseignement. Alain Ekassi, ancien garde du corps du journaliste assassiné Martinez Zogo, et son collègue Patrice Eyebe, accusent Jean Gakam, haut responsable d’Afriland First Bank, d’être impliqué dans un trafic d’armes et de financer les activités des groupes séparatistes dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.
Les accusations sont graves. Gakam, banquier de renom, se trouve directement lié à une des crises les plus sensibles que traverse le Cameroun : la guerre d’Ambazonie. Selon les agents de renseignement, il aurait utilisé son poste pour blanchir de l’argent et soutenir financièrement des réseaux armés dans une région marquée par des violences meurtrières depuis 2017.
Face à ces révélations, le colonel Ekani décide d’ouvrir une enquête. Gakam est interpellé et interrogé, mais rapidement relâché après que le capitaine Mengouem, chargé de l’investigation, conclut à l'absence de preuves. Cependant, les soupçons refont surface peu après. Patrice Eyebe revient avec une nouvelle accusation : Jean Gakam aurait versé 25 millions de F CFA pour enterrer l’affaire. Cette révélation jette le trouble et pousse le colonel Ekani à reprendre les investigations, mais il est contraint d’abandonner l’affaire sur ordre de ses supérieurs.
Ces interférences alimentent la théorie selon laquelle Jean Gakam ne serait pas qu’un simple banquier, mais bien une figure clé dans un réseau de corruption et d’escroquerie s’étendant au cœur même de l’armée. Sa libération et la mise à l'écart de ceux qui enquêtent sur lui – notamment la mutation du colonel Ekani à Maroua – renforcent le sentiment d'une protection accordée à Gakam par des hauts gradés.
En juillet 2024, le ministre de la Défense, Joseph Beti Assomo, ordonne une nouvelle enquête, sur instruction du président Paul Biya. Cette fois, c’est le lieutenant-colonel Hervé Béranger Samnick de la Sécurité militaire (Semil) qui prend la tête de l’investigation. Alain Ekassi, l’un des premiers accusateurs de Jean Gakam, est interpellé. Il prétend avoir été victime de sévices pendant sa détention, affirmant que le banquier dispose d’une vaste influence au sein des forces de sécurité, accusant également plusieurs hauts responsables militaires de collusion avec Gakam.
Les allégations d’Ekassi contribuent à accroître les tensions au sein de l’armée. L'enquête déclenche des frictions internes, notamment une altercation entre Émile Joël Bamkoui, chef de la Semil, et son adjoint, Hervé Béranger Samnick, autour de l'implication supposée de ce dernier dans le réseau de corruption. Ce bras de fer souligne l’ampleur des ramifications de cette affaire, qui ébranle la crédibilité de l’armée camerounaise.
Mais alors que les enquêtes se poursuivent, Jean Gakam prend la fuite. Après avoir quitté le pays, il demeure introuvable, laissant derrière lui une traînée de questions sans réponses. Était-il vraiment impliqué dans le financement des groupes séparatistes ? Ou est-il une victime d’un système gangréné par la corruption ?
Pour l’heure, Jean Gakam reste une figure énigmatique dont l’implication réelle dans le scandale Mbapou – du nom du « faux contre-amiral » Joseph Fouda, autre protagoniste clé – fait l’objet de débats intenses.