Après les coups de feu entendus dans la nuit du jeudi au vendredi 15 octobre, les activités ont repris dans la ville, mais la tension demeure, alors que les populations continuent de faire le deuil.
Les activités économiques et commerciales ont repris dans la ville de Buea au lendemain des manifestations du jeudi 14 octobre 2021, consécutives à l’assassinat d’une fillette qui se rendait à l’école en compagnie de sa mère. Vendredi matin, la société Hygiène et salubrité du Cameroun (HYSACAM) a mobilisé des véhicules pour enlever les débris qui encombraient la chaussée le long de l’unique voie de raccordement du centre-ville à la gare routière sise au lieu-dit Mile Seventeen.
Devant une station d’essence au quartier Molyko, non loin de l’entrée du campus universitaire, des agents de cette société s’affairent au nettoyage. Quelques heures plus tard, des femmes d’une communauté religieuse de Munya, le quartier où résidaient la défunte et sa génitrice, sont sur le lieu du crime pour le dépôt d’une gerbe de fleur, précédé par des prières pour le repos de l’âme de la petite innocente arrachée brutalement à la vie.
La cérémonie est présidée par un pasteur d’une église de réveil. Le pasteur et les femmes de la communauté ecclésiale sont tout de noir vêtu. Arrey Bessem, une enseignante à l’université de Buea, en fait partie. Les tenanciers de commerces situés aux alentours du stade omnisports de Molyko sont à leur poste de travail. S’ils n’ont pas été témoins oculaires des scènes et épisodes ayant précédé le départ du coup de feu, presque tous ont fermé leur boutique ce jeudi-là, peu avant 8h, pour converger vers l’endroit où la petite a été tuée par balle dans une voiture.
Le drame s’est produit à environ cent mètres du stade de Molyko, le long d’un embranchement de route goudronné qui mène au marché central de Buea. Quelque cent mètres après le marché, cette servitude débouche sur une intersection d’où l’usager a le choix entre l’embranchement desservant le lycée de Bokova et celui allant jusqu’à Munya, un quartier situé à la périphérie de l’arrondissement de Buea, le long de la route de Kumba via Muyuka.
Les gendarmes impuissants
Quand retentit le coup de feu qui provoque l’incident mortel suivi des manifestations populaires, Innocent Nkaïn se trouve à sa briqueterie située à un jet de pierre du lieu du crime. Il fait partie des premières personnes qui y accourent, alertées par la voix colérique d’une femme. Cette voix est celle de Lisette, qui vient de perdre sa fille mortellement atteinte par une balle tirée par un gendarme. Selon Innocent et plusieurs autres personnes ayant déboulé au même moment, Lisette a empoigné l’un des gendarmes à l’origine du drame. Le ton haussé, elle lui demande de la tuer à son tour, après avoir constaté que sa fille est en train de se vider de son sang.
Enondiale Tchuengia Carolaise a le crâne ouvert et la moelle cervicale disloquée et hors de la boîte crânienne. Le gendarme à qui Lisette s’est accrochée se défend comme il peut. Ce n’est pas lui qui a appuyé sur la gâchette, mais son collègue qu’il pointe du doigt. Le tueur a, dans la foulée, engagé une cabale malheureusement sans issue. Car, coincé en face de la barrière d’une maison en chantier, qu’il n’a pas eu le temps d’escalader pour trouver refuge au stade de Molyko, il y est vite rattrapé par des badauds à sa poursuite.
Désarmé, il est ramené sur le bord de la route, puis jeté dans une rigole et battu à mort par une foule en furie dont l’effectif s’est accru en un laps de temps. Des témoignages convergent également sur le fait que le béret rouge a été lynché en présence de policiers et de ses autres frères d’armes qui soit étaient impuissants, soit ont baissé la garde face à l’horreur et à l’indignation. En effet, au moment où les autorités militaires et le sous-préfet de Buea arrivent sur le lieu, le corps de Caro est encore dans la voiture personnelle – et non un taxi comme nous l’avons affirmé dans notre livraison de vendredi dernier.
N’ayant pas pu rencontrer Lisette, la mère de la petite Enondiale, ni le chauffeur de la voiture personnelle et l’un des gendarmes à l’origine de l’incident, nous ne sommes pas en mesure de vérifier ou corroborer les témoignages relatifs aux scènes conflictuelles ayant précédé le coup de feu. Au moment où nous arrivons à la résidence de Lisette au quartier Munya, elle ne s’y trouve pas. « Elle est partie dans la nuit à 1h », nous indique un proche parent de la mère éplorée, sans indiquer le lieu où la dame a migré. Il se présente comme un des oncles de la défunte fillette. Selon lui, la femme de son frère lui a raconté que le véhicule qui accompagnait l’enfant à l’école a été stoppé au niveau du marché de Molyko.
Depuis les États-Unis où il s’est réfugié il y a peu, à la suite de la guerre dans son village Munya, « l’époux » de Lisette avait décidé de délocaliser l’école de ses enfants. Dans la foulée, il avait sollicité les services de ce chauffeur pour accompagner les enfants à l’école tous les jours et apprendre la conduite à sa femme.
Chasse à l’homme
Alors que ses trois enfants à bord accusent un retard par rapport à l’heure du début des classes, Lisette sur un ton de supplication promet au gendarme tueur qu’elle repassera par là à son retour de l’école. Mais le béret rouge insiste pour que Lisette aille voir son « chef ». En jargon courant, qu’elle passe à la caisse. Le conducteur n’obtempérant pas, les deux gendarmes les prennent en chasse à bord d’un taxi qu’ils ont probablement hélé. Ils rattrapent le fugitif et, comme dans un film d’action, ils leur barrent la voie pour les contraindre à s’arrêter. La voiture personnelle fait des slaloms avant de s’immobiliser.
Mais il est trop tard, car l’un des gendarmes, devancé par la voiture prise en chasse, a déjà ouvert le feu, tuant la fillette, bien que son collègue l’aurait dissuadé de tirer. Après les manifestations qui ont ponctué la journée de deuil, suivies de l’inhumation de l’enfant, des coups de feu ont été entendus à certains endroits de la ville de Buea dans la nuit de jeudi à vendredi, selon plusieurs témoins auriculaires.