Centre hospitalier de recherche et d’application en chirurgie endoscopique et reproduction humaine (CHRACERH), il est 11 heures. Le soleil darde ses rayons sans modération. Les bruits de marteau brisent le silence de cimetière qui règne dans l’enceinte de ce centre hospitalier de référence, en matière de chirurgie endoscopique et de reproduction. A l’accueil, deux vigiles s’attèlent à filtrer les entrées et les sorties des usagers. « Que désirez-vous madame ? », interroge l’un d’entre eux. « J’aimerai rencontrer le Dr François Suzanne », répond-t-elle. Après quelques secondes de silence, il réagit, un peu embarrassé, « qui vous l’a recommandé ? Je ne pense pas qu’il soit encore ici (au Cameroun). Vous savez, c’est un saisonnier, il exerce dans cet hôpital quand on le sollicite mais cela fait des semaines qu’il ne vient plus ». Par entêtement, nous insistons pour prendre un rendezvous avec lui pour ses prochaines interventions. Au service de renseignement dans le Hall climatisé de la bâtisse, qui nous éloigne de la canicule externe, une jeune dame nous fait savoir qu’il faut être recommandé par un hôpital ou un médecin de renom pour faire partie des patients de ce gynécologue chirurgien français. « Dr François Suzanne n’est pas permanent ici puisqu’il s’occupe de la chirurgie plastique mammaire », renseigne-telle en nous instruisant de prendre attache avec le service d’enregistrement et de rendez-vous. Dans ce bureau, la femme chargée d’enregistrer les patients demande avec un ton condescendant « pourquoi cherchez-vous le Dr François Suzanne ? » après explication, elle ajoute avec hésitation et d’un ton apaisé « Je ne maitrise pas son agenda. Il faudrait d’abord vous faire suivre par un médecin d’ici qui verra s’il y a nécessité qu’il vous suive parce qu’il ne réside pas au Cameroun. En plus, il n’est pas permanent au CHRACERH ». « Est-ce qu’on rencontre le type de médecin aussi facilement. C’est un grand. Il ne consulte pas n’importe comment et n’importe qui. Si c’est urgent va rencontrer le directeur », lance une dame en blouse blanche. A la direction, aucune information n’est donnée sur lui ou sur son agenda car seul le directeur (cependant indisponible) est capable de donner avec exactitude le planning de ce gynéco français nommé à la prestigieuse université Stanford (Californie).
« Un malade » au service des Camerounais
Dans les arcanes du CHRACERH, le personnel vante ses prouesses et ses mérites. « Le Cameroun a la chance de bénéficier de l’expérience d’un aussi grand gynécologue. Aucun gynécologue camerounais ne lui atteint la cheville », raconte l’un d’entre eux tout survolté. Et pourtant, ce gynécologue réputé d’environ 69 ans, avait été écroué par la justice française pour agression sexuelle sur cinq de ses patientes, il y a plus de dix ans. « François Suzanne prenait des clichés de ses patientes dénudées qui n’avaient rien à voir avec son travail... Désorientées, et face à une telle sommité, plusieurs se sont laissé abuser. Lui parle de « documents professionnels » pour des conférences. De grands chirurgiens ont jugé l’intérêt médical de ces images « très limité ». La justice aussi », relate en 2007 le site français Le Point .fr. En clair, le gynécologue et chirurgien clermontois de renommée mondiale avait été condamné à deux ans de la prison ferme, radié de l’Ordre des médecins français et interdit d’exercer alors qu’il avait 59 ans. Il avait déjà été condamné en 2000 à deux ans avec sursis pour « des faits analogues sur une patiente ». Mais après avoir purgé sa peine, François Suzanne a continué d’exercer dans d’autres pays, comme au Cameroun (CHRACERH), sans toutefois être inquiété. Mais comment « ce malade » comme le qualifiait une de ses victimes a-t-il fait pour travailler librement dans notre pays ? Selon des sources médicales, ce médecin est recommandé par une haute autorité du gouvernement. Donc, il est impossible pour l’Ordre des médecins du Cameroun ou tout autre médecin qui désire garder son poste de s’opposer au recrutement de ce Français. « Nous l’exploitons juste pour son expertise afin qu’il puisse aider nos sœurs. Il est vieux aujourd’hui et je ne pense pas qu’il puisse encore commettre les mêmes fautes. Il a des problèmes avec l’Ordre des médecins de la France mais pas du Cameroun. S’il continue d’abuser les patientes, qu’elles se plaignent et nous allons prendre nos responsabilités », explique un médecin sous anonymat.
Toujours en service
En effet, François Suzanne n’est pas, à en croire des sources concordantes, employé du CHRACERH puisqu’il ne fait pas partie des effectifs de cet hôpital réputé pour ses fécondations in vitro et sa chirurgie plastique. C’est dire que celui à qui la France doit la première intervention dans le domaine de la reconstruction mammaire immédiate, avec prélèvement de la paroi abdominale dans le traitement du cancer du sein, intervient juste pendant les campagnes avec l’accord des dirigeants. Ainsi, il s’occupe de la chirurgie endoscopique et de la chirurgie plastique mammaire. Ce qui ne plait pas à certains Camerounais. « Il n’est pas raisonnable qu’un médecin avec une carrière aussi sale puisse venir aisément exercer au Cameroun. C’est néocolonialisme. Pourtant, il y a des gynécos camerounais meilleurs que lui, qu’on n’exploite pas. Nous avons toujours ce complexe d’infériorité, le Blanc connait plus que nous. Ce qui n’est pas logique. Il est temps de sortir de ce dogme et faire confiance à nos frères noirs », martèle un observateur en furie. Quoiqu’il en soit, des indiscrétions laissent croire qu’il reviendra au Cameroun dans quelques mois, question de réunir ses patientes à opérer.