Au cours d’une audience marquée par un incident, l’ancien ministre a continué à démontrer, preuves à l’appui, que l’accusation était cousue de fil blanc. Le représentant du ministère public, les trois avocats du ministère des Finances, leurs confrères du ministère de la Justice et de la Crtv n’ont posé aucune question à l’accusé-témoin. Mais l’ancien Directeur des impôts n’a pas encore clôturé son interrogatoire pour cause de maladie.
Les deux derniers rendez-vous de M. Polycarpe Abah Abah au Tribunal criminel spécial (TCS) ont fait chou blanc. L’ancien ministre des Finances, qui avait l’occasion de clôturer sa prise de parole en répondant aux ultimes questions de ses propres avocats suivies de celles éventuelles des juges, ne s’est pas présenté au Palais de justice les 27 et 30 juin 2022. La faute à un état de santé chancelant, qui l’a obligé à rester alité à la «prison secondaire» de Yaoundé où il est incarcéré. Les parties ont donc pris rendez-vous pour le 17 juillet prochain, si la situation évolue positivement. Ce sera peut-être enfin l’occasion pour le tribunal d’en finir avec la phase des auditions des accusés où l’ancien Directeur des impôts est poursuivi en coaction avec l’ancien directeur général de la Crtv, M. Amadou Vamoulké, entre autres. Les faits portent sur un présumé détournement global d’environ 4 milliards de francs. Dernier accusé de cette procédure pénale à se retrouver dans le box des témoins après ses deux compagnons d’infortune dont Mme Menyeng Meyoa Antoinette épouse Essomba, ancien cadre de la Crtv, M. Abah Abah a jusqu’ici écœuré l’accusation (ministère public) et les parties civiles (Crtv et ministère des Finances – Minfi). Ces dernières se sont constamment montrées agacées non seulement par la stratégie de défense que l’ancien ministre s’est choisie en allant dans les plus petits détails des informations qu’il porte à l’attention des juges, au risque de donner l’impression de se répéter. Ayant été échaudé dans le premier volet de l’affaire Crtv dans lequel il était poursuivi puis condamné en compagnie de feu Gervais Mendo Ze devant le TCS, ses «éléments de preuve» ayant tous été rejetés par le tribunal, l’ancien ministre s’est cette fois-ci organisé pour échapper à un quelconque piège du parquet.
«Ineptie»
Lors de la dernière apparition de Polycarpe Abah Abah au TCS, le 13 juin 2022, la tension était si vive qu’une bonne partie de l’audience a été consacrée à la gestion d’un incident. L’ancien ministre était interrogé par les avocats de son coaccusé Amadou Vamoulké. Et comme c’est de règle, ces derniers ont posé à l’ancien ministre des questions de nature à mettre en exergue les informations favorables à leur client. L’une de ces questions a particulièrement irrité le représentant du ministère public. Maître Pondi, conseil de l’ancien DG de la Crtv, demandait à M. Abah Abah si les témoins sélectionnés par le parquet pour asseoir son inculpation et celle de Vamoulké s’étaient exprimés devant le tribunal. C’est alors que M. André Tchoussi, magistrat occupant le banc du ministère public, est intervenu pour proposer au collège des juges d’écarter cette question des débats, jugeant qu’elle rallonge inutilement le procès. L’interposition de Maître Wamba, un autre avocat de M. Vamoulké, pour demander que la question soit maintenue, a été qualifiée «d’ineptie» par le ministère public. Le tollé soulevé par cette intervention a été à un doigt de conduire tous les avocats présents à quitter la salle d’audience. Ils ont exigé le retrait des excuses du magistrat le retrait de son mot. Après de longs échanges, les parties ont fini par s’entendre sous la houlette des juges et le calme est revenu pour la poursuite du contre-interrogatoire. La perte de sang-froid momentanée du représentant du ministère public est compréhensible : au tout début du procès public, la liste des témoins du ministère public avait été rejetée, parce que présentée tardivement au tribunal et aux autres parties. Depuis, l’accusation repose principalement sur deux documents (pv d’enquête préliminaire et rapport du Consupe) qui, eux-mêmes, ont fait l’objet de vives contestations. Le procès-verbal de l’enquête policière utilisé par le parquet au cours du procès avait fait l’objet d’un complément très explicite sur les faits reprochés aux accusés, de même que le rapport du Consupe avait donné lieu à la saisine du Conseil de discipline budgétaire et financière qui avait finalement acquitté les mis en cause. Or, en engageant les poursuites, le parquet général près le TCS a toujours dissimulé ces documents complémentaires. Ces rappels ne sont pas de nature à redorer le blason du TCS, qui apparaît encore dans ce procès comme un instrument de règlement de comptes…
Nkodo Laurent
Il n’empêche, l’ancien ministre des Finances a poursuivi de façon imperturbable son témoignage avec la minutie qu’il s’impose depuis le début. «Je veux rappeler que la présente procédure part d’un contrôle effectué par le Consupe et qui portait sur la gestion de feu Mendo Ze (2004) et sur la gestion de Vamoulké (2005 à 2006). La mission de contrôle n’avait retenu aucune irrégularité contre moi alors que j’avais reçu une demande de renseignement de la part de ce contrôle. Le rapport de ce contrôle a été admis comme pièce à conviction et nulle part dans ce rapport n’apparaît une irrégularité à moi imputée. Aucun plainte contre moi, ni de la part du Minfi, ni de la part de la Crtv, ni de la part de qui que ce soit…» Et dans la poursuite de son contreinterrogatoire, M. Abah Abah est revenu sur le montant de la somme qu’il est accusé d’avoir détournée en coaction avec M. Vamoulké. «Les virements ordonnés par Vamoulké et des collaborateurs de l’administration financière de la Crtv sont au nombre de dix pour un montant de 530 millions de francs, et non de 595 qui est de l’accusation sans preuve», a-t-il précisé. Et d’ajouter : «Le destinataire de ces sommes était l’Etat du Cameroun à travers son démembrement qu’est la DGI du Minfi. Ces sommes ont été transférées à cette administration. Dame Obelabout et dame Mballa Hélène, billeteur de la DGI, ont reconnu sur procès-verbal admis comme pièce à conviction avoir décaissé les fonds sur ordre de Nkodo Laurent, directeur général des impôts de l’époque, qui a reconnu sur procès-verbal d’enquête préliminaire admis comme pièce à conviction, avoir utilisé ces fonds pour le paiement des fournisseurs de la DGI et pour le fonctionnement de cette institution et toutes les pièces justificatives se trouvent à la DGI du Minfi». Le parquet et les trois avocats du Minfi, l’avocat du ministère de la Justice et l’avocat de la Crtv étaient supposés prendre le relai de la défense de M. Vamoulké pour contre-interroger à son tour le ministre Abah Abah. Il n’y a eu aucune question venue de ce côtélà. Le représentant du ministère public à l’audience a déclaré, pour le compte de toute l’accusation, qu’il n’entend poser aucune question au témoin Polycarpe Abah Abah. Est-ce une manière de capituler face à la démonstration minutieuse de l’ancien Directeur des impôts ? Il faudra attendre la phase des réquisitions finales du parquet et des plaidoiries des avocats pour le savoir. Probablement les 17 et 19 juillet 2022. Rappelons qu’il est reproché à M. Abah Abah et Amadou Vamoulké d’avoir viré 595 millions de francs de concert en faisant virer ladite somme dans un compte privé.