Epervier: l’ancienne Minedub, son marabout et les 3 milliards

L’ex-ministre a nié tous les faits devant les enquêteurs

Sat, 25 Dec 2021 Source: Kalara

L’ex-directeur des Ressources financières au ministère de l’Éducation de Base explique devant le TCS comment son ancienne patronne lui demandait de décaisser de grosses sommes d’argent tantôt «pour ses besoins personnels», tantôt pour le paiement de «son marabout» ou des prestataires criés au volet. L’ex-ministre a nié tous les faits devant les enquêteurs.

M. André Marie Blaise Mbarga veut faire entendre 18 témoins devant le Tribunal criminel spécial (TCS) pour prouver son innocence clamée dans la bataille judiciaire qui l’oppose à l’État du Cameroun. La présentation de la liste des témoins allégués a aussitôt arraché un gros sourire au président du tribunal «18 témoins ! Ça alors ! C’est énorme. Choisissez, nous allons arrêter le nombre à 3 ou 4 témoins», a indiqué le juge. «Nous allons le faire en fonction de l’évolution des débats», a réagi Me Mayo, l’avocat de l’accusé, le sourire en coin.

Cet échange, qui s’est déroulé le 30 novembre 2021, a meublé la première audience du procès intenté contre M. Mbarga, ex-directeur des Ressources Financières et Matérielles du ministère de l’Éducation de Base (Minedub), mis en jugement pour un supposé détournement de 3 milliards de francs. La procédure est renvoyée au 11 janvier 2022 pour que le parquet convoque le Minedub, partie civile dans le procès.

L’acte d’accusation (ordonnance de renvoi) dressé par le juge d’instruction à l’issue de l’information judiciaire, que Kalara a consulté, résume les faits au centre du procès. Les ennuis judiciaires de M. Mbarga découlent d’une «fiche spéciale tenant lieu de rapport d’enquête» concoctée par la Direction générale à la Recherche extérieure (Dgre). Le document met en cause le directeur des Ressources Financières et Matérielles du ministère de l’Éducation de Base pour «détournement de deniers publics». La Dgre, faut-il le préciser, est un service spécial chargé principalement du contre-espionnage.

Sur instructions…

Selon l’accusation, M. Mbarga avait «abandonné son poste de travail en 2016 sans crier gare sous le fallacieux prétexte qu’il était harcelé et menacé par des prestataires qui réclamaient le paiement illico presto de leurs factures». Face à la situation, l’inspecteur général des services au- Minedub était chargé d’auditer sa décennie de gestion à la direction des Ressources Financières et Matérielles, soit la période allant de 2007 à 2016. Selon l’accusation, l’audit en question avait permis de constater «de nombreuses insuffisances et irrégularités dans la gestion» de l’accusé, notamment la gestion des bons de commandes (marchés), des fonds des caisses d’avance et ceux issus de différents déblocages.

Au détail on fait le reproche à M. Mbarga d’avoir payé à hauteur d’un peu plus de 1,3 milliard de francs des marchés passés entre 2009 et 2012, sans pièces justificatives. Idem pour l’utilisation d’un montant de 879,5 millions de francs provenant de divers décaissements.

En 2016, le Minedub avait créé une «caisse d’avance» dotée d’une somme de 800 millions de francs destinée aux dépenses liées à l’organisation des examens officiels de cette année-là. M. Mbarga était le régisseur de’ cette caisse. La gestion de cet argent est aussi jugée problématique. Pendant les enquêtes, en dehors de M. Mbarga, deux témoins à charge ont indexé Mme Alim Adidja épouse Youssouf, la ministre de l’Éducation de Base au moment des faits, comme responsable de la survenance de certains griefs à l’origine du procès.

Louis Parfait Ebuna raconte en effet qu’il avait été désigné en 2015 «billeteur» lors du recrutement des instituteurs des écoles publiques vulgairement appelés «maîtres des parents d’élèves». Il était donc chargé de payer les divers frais liés à cette opération. Une enveloppe de 100 millions de francs avait été décaissée en son nom propre.

Somme qu’il avait sécurisée dans son coffre-fort. «Curieusement, quelque temps après, dit-il Mme le ministre m’a verbalement instruit de remettre cet argent à M. Mbarga. «Après beaucoup d’hésitation», avoue te témoin, il s’est finalement exécuté en remettant la somme de 90,4 millions de francs au concerné qui, «au moment de sa fuite, n’avait pas encore déchargé le reliquat». Même son de cloche pour Jean Marie Ekouma Balla. Ce dernier raconte à son tour qu’il était billeteur au cabinet de h même ministre et c’est. «sur instruction» de la concernée qu’il a remis 139 millions de francs à M. Mbarga, sans autres détails.

Pour sa défense, M. Mbarga a réfuté tous les griefs retenus contre sa personne pendant l’information judiciaire. Il explique avoir laissé toutes les pièces justificatives dans son bureau lors son départ critiqué. De plus, à ses yeux, il lui- était impossible de procéder à des dépenses irrégulières compte tenu des différents niveaux de contrôles.

Marabout du ministre

S’agissant, entre autres, de la somme totale de 228 millions de francs évoquée par M. Elouna et M. Ekouma Balla, l’accusé ne nie pas avoir perçue ladite somme de ses anciens collègues, résume le juge d’instruction. Pour sa défense sur ce volet, M. Mbarga affirme cependant qu’il a remis cet argent au ministre Alim Adidja elle-même tantôt «pour ses besoins personnels», tantôt à sa demande à «un individu présenté comme son marabout». Concernant la gestion des 800 millions de francs de la caisse d’avance, M. Mbarga reconnaît que cette somme n’a pas été totalement utilisée pour ce à quoi elle était destinée, en l’occurrence l’organisation des examens officiels de 2016.

Si 97 millions de francs ont servi au paiement des frais d’examen, il a en revanche prélevé et payé 150 millions de francs comme acompte (avance) à l’imprimerie Nationale pour la facture d’un marché de livraison des imprimés d’un montant initial de ‘225,6 millions de francs. Paiement d’ailleurs confirmé par le directeur général de cette entreprise. Le reste des fonds, indique L’accusé, «a servi au paiement en priorité des prestataires, Moulongo Oscar et Bomba Yene Pierre», «sur instruction» de sa patronne.

Le juge d’instruction a rejeté la défense de l’accusé au motif que l’abandon de son poste «ne peut être compris que si l’on admet qu’ayant mauvaise conscience relativement à la gestion de la fortune publique à lui confiée, il a délibérément décidé de s’en aller à la dérobée». Le 27 octobre 2017, Mme Alim Adjidja s’était expliquée sur les récriminations faites contre sa personne devant les enquêteurs. Pendant son audition, l’ex-ministre a clamé son innocence en arguant «qu’elle ignore la destination prise par ces fonds, car n’ayant pas été associée ni de près ni de loin à leur gestion» qui incombait au directeur Mbarga. Ce dernier est en détention provisoire à la prison de Kondengui où il attend d’être jugé.

Source: Kalara