Esclavage au Koweit: témoignages poignants des ressortissants camerounais

Travailleuses Maltraitées Koweit Le gouvernement a promis de rappatrier les victimes avant le 10 octobre

Mon, 1 Oct 2018 Source: camer.be

Contrainte à "l'esclavage" loin de son pays, cette Camerounaise porte la voix de la dizaine de ses compatriotes captives dans ce pays du golfe persique et supplie le gouvernement d'accélérer le processus de leur rapatriement.

Vous êtes retenues au Koweït depuis plusieurs jours. Pouvez-vous nous expliquer ce qui se passe exactement ?

Je suis Mlle Crescence Fouda Ngah, je suis retenue au Koweït. Là où je me trouve actuellement, nous sommes nombreuses. Chacune a son cas, puisque nous ne sommes pas venues ici le même jour. J’ai quitté le Cameroun en décembre. A mon arrivée au Koweït le 20 décembre 2017, à l’aéroport, j’ai senti qu’il y avait danger, parce que c’est à cet instant qu’on m’avait retiré mon passeport. Et jusqu’aujourd’hui, je n’ai jamais revu ce passeport.

A l’aéroport, c’est un monsieur qui était venu me chercher et il m’a amenée dans une maison qu’il qualifiait de bureau ou agence quelque chose de ce genre. Après lui, une dame est venue à ma rencontre, c’était elle qui m’achetait. Elle m’a emmenée chez elle. Nous ne nous entendions pas. Elle m’a interdit d’utiliser le téléphone. Je n’ai pas supporté cette situation et je me suis enfuie. Quand je fugue, je vais vers des amis qui m’ont conduite en Russie. Une fois en Russie, sans passeport, rien ne marchait.

Je suis repartie au Koweït pour récupérer mon passeport, afin de rentrer en Russie. Ce qui n’était d’ailleurs pas évident. Des Camerounaises m’ont proposé de travailler sans papier. Mais sans papier, on n’est pas à l’abri. En travaillant, j’ai été agressée trois fois en un mois. Ce qui m’a pratiquement surprise, je ne savais pas qu’on agressait aussi dans ces pays. Je me suis renseignée auprès d’un Camerounais, il m’a indiqué l’endroit où je me trouve actuellement, le Chelta qui est comme un centre pour réfugiés.

Quand je suis arrivée, les responsables de la sécurité m’ont repoussée. Ils disaient ne pas vouloir des Camerounais. Ils m’ont renvoyée ailleurs. A ce moment-là, j’ai rappelé le Camerounais qui m’avait donné des renseignements et il m’a dit de ne pas bouger, de rester là et d’insister, en pleurant.

Effectivement, je l’ai fait et ils m’ont admise. Ils ont fait appel au directeur qui m’a fait entrer. J’ai été enregistrée. Et là, j'ai retrouvé des Camerounaises qui étaient là depuis deux mois et plus. A ce jour, je suis ici depuis deux mois. Le monsieur qui a ce centre nous a expliqué que nous devions profiter de cette période pour partir du Koweït. On va nous envoyer à la déportation qui correspond à la prison. Quand nous avons entendu cela, les filles et moi, nous nous sommes entendues et avons lancé la vidéo pour demander de l’aide à nos frères africains et à notre gouvernement.

La vidéo a bien sûr fait de l’effet. Les gens ont même commencé à nous appeler de partout. Certains nous demandent comment faire pour vous aider ? Parce que nous souffrons. Actuellement ça ne va pas. Nous avons des soucis même pour nous nourrir. Avant nous mangions matin et soir, maintenant depuis notre vidéo, tout a changé. Nous avions pourtant fait nos laissez-passer depuis mais, le monsieur qui prenait nos informations pour envoyer en Arabie Saoudite à l’ambassade nous extorquait de l’argent. On l’appelait, il ne prenait plus nos appels. Le lendemain de la publication de cette vidéo, nos laissez-passer nous sont parvenus. Nous en avons fait 11 mais, nous avons reçu seulement 10. Moi, je suis déjà épuisée, je ne sais même pas de quoi je parle. Je reçois plus de 300 appels par jour. Les gens appellent et posent les mêmes questions, comment faire pour vous aider ? Qu’est-ce que nous allons leur dire.

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Ici, c’est comparé à une prison, nous ne sortons pas. Il nous reste quelques jours pour qu’on nous amène à la déportation. Nous avons peur, nous demandons à notre gouvernement s’il peut nous sortir de ce lieu le plus tôt possible.

Nous comprenons votre ras-le-bol mais, le gouvernement s’est engagé à tout faire pour votre rapatriement, c’est quand même une promesse qui devrait vous donner un peu de réconfort ?

Oui, je comprends. Mais moi, je ne suis pas réconfortée. Parce que nous avons peur. Il nous reste pratiquement trois jours. Nous avons peur ! On nous a dit qu’on nous amènera dimanche. On va nous punir pour la vidéo que nous avons faite. De surcroît, toute personne qui entre à la déportation s’y rend sans téléphone. On nous fouillera. On y entre sans vêtements de rechange. Une fille nous a d’ailleurs raconté une histoire très horrible. Des rumeurs ont circulé que nous sommes déjà au Cameroun, demandant aux gens de nous attendre à l’aéroport. Pourtant, nous sommes encore au Koweit. Avant cette vidéo, c’était passable, à présent c’est pire.

Comment se passent vos journées ?

Avant le tournage de la vidéo sur notre captivité, les vigiles venaient nous appeler chaque matin, comme dans les prisons. Quand il est l’heure de prendre le petit déjeuner, on appelle « africa » ! Et tout le monde se lève. Ceux qui n’ont pas d’appétit n’y vont pas et d’autres y vont à leur place. Dès qu’on a déjeuné, nous rentrons dans notre chambre. Nous ne sortons pas. La seule source de distraction c’est le téléphone pour ceux qui en ont. Lorsqu’il est midi, on nous rappelle et nous allons manger. Dès que c’est fini, nous regagnons notre chambre. On continue de regarder nos téléphones ou à dormir.

Depuis la publication de cette vidéo, les choses ont changé. Nous avons peur. Nous marchons depuis lors en groupe pour aller manger. Hier par exemple, quand ils nous ont appelées pour aller manger, la vigile s’est placée au niveau de la porte pour nous empêcher d’entrer. Nous leur avons dit que si nous ne mangeons pas, nous allons mourir. Nous avons passé du temps-là devant la porte, puis, ils nous ont laissé entrer et ont chronométré.

Ils ont donné cinq minutes à chacune d’entre nous, en grondant « Yala yala yala » !! Notre repas est déjà séparé de celui des autres. Nous n’avons même pas pu achever notre repas à ce rythme-là. Nous n’avions pas d’appétit. Un jour, on nous a annoncé que nous allions rentrer. On se disait enfin le gouvernement nous a aidées ! Nous allons être libérées. Nous avons été contentes. Depuis que les filles ont compris que ce n’était pas le cas, nous sommes tellement stressées. Certaines s’évanouissent. Plusieurs parmi nous sont entrées dans le coma. Elles ne reçoivent pas de soins.

Regrettez-vous votre choix d’être allée vers ce pays-là ?

Quelle question ! Je regrette amèrement ! Je regrette ce que je venais faire ici. Ce que je veux enfin dire c’est que beaucoup de gens se plaignent de nous. Ils nous accablent, mais nous remercions infiniment nos frères et sœurs, le gouvernement aussi. Malgré que certaines personnes utilisent notre situation à des fins politiques. Nous nous comptons sur tout le soutien de tous les Camerounais et le gouvernement. Mes sœurs et moi voulons être au pays avant l'élection présidentielle du 7 octobre prochain. S’il vous plaît nous sommes en danger.

Source: camer.be