Etoudi 2018: à six jours du scrutin, le Cameroun retient son souffle

Election Sécessionnistes Menace La campagne électorale s'est ouverte officiellement ce 22 septembre

Mon, 1 Oct 2018 Source: camer.be

Les vents mauvais, généralement annonciateurs d’une forte tempête voire d’un cyclone politique, se sont singulièrement renforcés au Cameroun, à la veille de l’élection présidentielle du 7 octobre 2018.

Président de la république, depuis le 6 novembre 1982, Paul Biya (85 ans) sollicite un septième mandat, lors de cette élection au suffrage universel à un seul tour. Les turbulences ne manquent pas comme les inquiétudes nationales et internationales.

Paul Biya, une candidature de trop?

L’opposition à Paul Biya sera une nouvelle fois très divisée. Alors qu’en 2011, le président sortant avait dû affronter 22 candidats, le 7 octobre 2018, il n’aura plus que huit challengers: Garga Haman Adji (74 ans), Franklin Ndifor Afanwi (39 ans), Maurice Kamto (64 ans), Cabral Libii (38 ans), Serge Espoir Matomba (39 ans), Akere Muna ( 66 ans), Adamou Ndam Njoya (76 ans) et Joshua Osih (49 ans). Dans ces conditions et sans même évoquer la mobilisation de l’appareil d’État et la sensibilisation des chefferies traditionnelles, une défaite du « Sphinx »du Palais Étoudi est encore une fois hautement improbable.

La seule incertitude, qui sera très significative, est le taux de participation, en raison de l’insécurité qui sévit dans de nombreuses régions et des incitations au boycott.

On peut néanmoins se demander si cette candidature de Paul Biya n’est pas celle qui sera de trop. Une gouvernance si atypique, « hors sol » et arc boutée sur des gérontes, peut-elle encore être en phase avec la montée des périls et correspondre aux attentes d’une grande partie de la population qui vit à l’heure de la mondialisation et des réseaux sociaux ? Depuis l’indépendance, du 1er janvier 1960, et le rattachement des deux régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, le 1er octobre 1961, jamais la situation n’a paru aussi inquiétante.

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La gangrène de la vie nationale par l’insécurité

La Région de l’Extrême-Nord subit les assauts sanglants des miliciens de Boko-Haram avec leurs effets secondaires causés par la militarisation de la région, en état de siège. La presse internationale relate fréquemment les violations des libertés publiques et les atteintes à l’État de droit dans une région qui n’a pas oublié les événements de 1984 et leur répression, suite à la tentative de coup d’Etat des partisans d’Ahmadou Ahidjo.

La frontière entre le Cameroun et la République centrafricaine, longue de 800 km, est devenue un facteur de déstabilisation de la Région Est avec les innombrables bandes armées sanctuarisées en Centrafrique. Les trafics d’armes et de stupéfiants, de part et d’autre de la frontière, se sont intensifiés, avec l’effondrement de l’État centrafricain.

La mégapole de Douala (3 millions d’habitants), est le point de rencontre de tous les trafics nationaux et internationaux, de toutes les oppositions et elle est devenue la caisse de résonance du désespoir d’une jeunesse sans emploi. Les « jeunes cadets » Bamileke et Bassa, se réfugient, de plus en plus, dans le culte des héros de l’Union des Populations Camerounaises, martyrs de la lutte nationale (1955-1971), comme Félix Moumié, Ernest Ouandié et Ruben Um Nyobé.

Une guerre civile qui ne dit pas son nom

Quant à la question des deux Régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, elle a dépassé le stade du maintien de l’ordre public. C’est une guerre civile qui ne dit pas son nom. Comme souvent au Cameroun, l’emploi de la force armée et le refus du dialogue priment sur la négociation et les concessions réciproques. Depuis la fin du fédéralisme (1961-1972), The Southern Cameroons, rattachée par référendum (70 % de oui) le 1er octobre 1961 au Cameroun, a été progressivement négligée par Yaoundé et souvent méprisée dans ses valeurs.

Le centralisme jacobin a remplacé l’indirect rule, le franc CFA a succèdé à la livre, le bilinguisme a été bridé au détriment de la langue anglaise, le droit napoléonien a pris le dessus sur la common law et la plupart des hommes politiques anglophones se sont sentis cantonnés dans un rôle de faire valoir. La population est prise en otage entre les forces de l’ordre et les séparatistes. L’unité nationale pourra-t-elle être préservée dans un tel contexte ?

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Une gouvernance autocratique aux résultats décevants

La gouvernance de Paul Biya est très singulière. La dissimulation, le secret, la patience et la brutalité de la disgrâce en sont les canons. L’ancien étudiant de l’Institut des Hautes Etudes d’Outre-Mer de Paris, pratique une gouvernance à distance et par procuration surveillée. Ayant une prédilection pour les villégiatures en Suisse, Paul Biya n’éprouve pas la nécessité de s’appuyer sur un gouvernement qu’il réunit rarement en conseil des ministres.

Pour la première fois depuis le 15 octobre 2015, le dernier conseil des ministres a été réuni le 25 mars 2018, après un remaniement gouvernemental. La plupart des ministres ne rencontrent le chef de l’État que très rarement et parfois jamais. En revanche, il fait peser sur eux la menace de la Lettre de cachet, dans le cadre de l’opération Épervier, ayant certes pour objet la lutte contre la corruption et les détournements, mais elle est surtout destinée à « offrir des têtes » aux citoyens. Des dizaines de hauts dignitaires ont ainsi été embastillés dans des conditions que Louis XI aurait probablement apprécié.

Même si le FMI envisage une croissance de 4 % du PIB, en 2018, et que le prix du baril du pétrole soit en forte hausse, les perspectives économiques et financières restent moroses. Le recours aux emprunts s’accélère et les infrastructures, comme le port de Douala et le réseau routier, ne favorisent pas les échanges commerciaux. Les mauvaises pratiques financières, bien enracinées, obèrent tout développement économique durable.

L’exemple emblématique concerne l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) de football, avec la construction de stades et d’infrastructures hôtelières. En 2016, Paul Biya s’était personnellement engagé pour que le Cameroun obtienne cette importante manifestation, prévue en juin 2019.

Devant les retards importants dans les travaux, la mise sous tutelle de la fédération de football et les nombreux problèmes de management, le dessaisissement du Cameroun est de plus en plus envisagé. Une telle décision serait évidemment un revers retentissant pour l’attractivité du pays, mais aussi un cuisant échec pour un président qui n’aurait pu mener à bien un tel projet, qu’il avait personnellement endossé.

Une déstabilisation du Cameroun serait évidemment une situation aggravante pour les Etats de la Communauté des Etats d’Afrique centrale et tout particulièrement pour la République centrafricaine et le Tchad, dépendants du corridor terrestre menant à l’Océan Atlantique.

Source: camer.be