Le secrétaire général de la présidence camerounaise est un poste clé du pouvoir, mais aussi un rôle à haut risque. C'est ce que révèle un article de Jeune Afrique sur l'apprentissage des habitudes de Paul Biya par Ferdinand Ngoh Ngoh, l'actuel secrétaire général de la présidence.
Propulsé numéro deux d'un palais dont il connaissait un tantinet les couloirs pour y avoir brièvement travaillé entre 1997 et 1998, Ferdinand Ngoh Ngoh a dû passer par un apprentissage des codes du milieu, et d'abord de la typographie des correspondances. Les noms communs et les pronoms personnels désignant "le chef" commencent par une majuscule, sous peine de finir à la corbeille. Paul Biya n'apprécie pas d'être contredit, même par son plus proche collaborateur. Personne ne téléphone au chef de l'État. Il appelle. Dans le traitement des affaires, aucun dossier n'est urgent, tout peut attendre. Le président n'aime pas les anglicismes et il est fortement recommandé d'éviter les documents de plus d'une page de format A4 : le patron ne lit pas de rapports sous forme de pavé. Il travaille en outre dans une atmosphère quasi monacale où l'on chuchote plus qu'on ne parle. Les collaborateurs subissent une fouille à l'entrée de son bureau et leur portable est saisi. Seul le contre-amiral Joseph Fouda échappe à ce rituel.
Cependant, la fonction de secrétaire général de la présidence n'est pas sans attrait. Le président lui octroie une délégation permanente de signature. Un pouvoir considérable, d'autant que le fauteuil présidentiel est souvent inoccupé. Quand il est présent, le président se montre également paternel et patient lors de l'initiation de son binôme. Il le met en confiance et lui apprend à éviter les pièges de la fonction que lui-même occupa de 1967 à 1975, sous Ahmadou Ahidjo.
Mais le travail des secrétaires généraux est aussi de prendre des coups, servir de fusible et, aussi, d’endosser le rôle du méchant. Paul Biya veut retirer au consortium mené par le groupe français Bolloré Africa Logistics le contrat de concession du terminal à conteneurs du Port autonome de Douala ? Ngoh Ngoh se charge du sale boulot et d’annoncer la nouvelle aux intéressés. Le chef de l’État ira ensuite jusqu’à feindre de le désavouer auprès du ministre français des Affaires étrangères d’alors, Jean Yves Le Drian, lequel plaide lors d’une audience le 23 octobre 2019 pour Bolloré Africa Logistics. À l’issue de la rencontre, Biya signe un décret annulant l’appel d’offres désignant l’entreprise suisse Terminal Investment Limited (TIL) comme nouvel adjudicataire du terminal.
Mais la présidence fait aussitôt fuiter le document et « l’ingérence française » provoque un tollé. Depuis lors, une régie à capitaux publics assure la gestion du terminal à la place des entreprises étrangères. Le président Biya a ainsi réussi à chasser Bolloré, tout en préservant ses bonnes relations avec Paris.
La même année, quand il fait créer les task force pour rattraper les retards des chantiers de la Coupe d’Afrique des nations et pour faire face au Covid, le président est tout aussi conscient qu’il fait prendre un risque à son collaborateur. Celui-ci devra plus tard endosser les fautes de gestion et autres surfacturations relevées par un rapport de la chambre des comptes. L’affaire lui vaudra même un mandat d’amener délivré à son encontre par le tribunal criminel spécial. Bien qu’il ait fait annuler la procédure, Paul Biya n’a pour autant pas autorisé son collaborateur à s’expliquer, que ce soit devant un tribunal ou devant l’opinion nationale. Ferdinand Ngoh Ngoh ne peut pas, le cas échéant, laver son honneur.
La plupart des secrétaires généraux de la présidence finissent par se refermer sur eux-mêmes. Ou par commettre des erreurs. C'est le cas de Laurent Esso, qui fit arrêter deux journalistes fautifs de l'avoir menacé de publier de faux documents, tentant ainsi d'exercer un chantage. L'un d'eux, Bibi Ngota, décède en garde à vue, confortant la réputation de férocité du plaignant. Certains autres de ces grands chambellans successifs, enivrés par tant de pouvoir, perdent pied, deviennent arrogants, méprisants et paranoïaques, à l'instar de Titus Edzoa. Rétrogradé ministre de la Santé, il démissionna un mois après en déclarant dans le même temps sa candidature à la présidentielle.
En conclusion, le secrétaire général de la présidence camerounaise est un rôle à haut risque, qui nécessite une grande capacité d'adaptation et une grande résistance aux pressions. Les secrétaires généraux sont souvent exposés aux critiques et aux attaques, et doivent endosser le rôle du méchant pour préserver l'image du président. Leur pouvoir est considérable, mais ils sont aussi soumis à de nombreuses contraintes et risques, notamment judiciaires.