"Il n'est plus nécessaire pour exprimer ses opinions de prendre le maquis, de vivre en exil ou de quitter sa famille", écrit le président camerounais sur ses réseaux sociaux. Un message qui interroge au regard de la réalité de l'exil politique au Cameroun.
Dans un message publié ce matin sur ses comptes officiels Facebook et X, le président Paul Biya a choisi de mettre l'accent sur la liberté d'expression au Cameroun. "Il n'est plus nécessaire pour exprimer ses opinions de prendre le maquis, de vivre en exil ou de quitter sa famille", écrit le chef de l'État, accompagnant sa publication des hashtags #PaulBiya, #OneAndIndivisible et #Cameroun.
Cette déclaration, qui intervient à cinq mois de la présidentielle d'octobre 2025, contraste pourtant avec la réalité vécue par de nombreux Camerounais contraints à l'exil politique sous son régime.
Paradoxalement, c'est bien la gouvernance de Paul Biya qui a contraint plusieurs citoyens camerounais à prendre le chemin de l'exil. De nombreux activistes, opposants politiques et membres de la société civile ont quitté le territoire national par crainte de persécutions ou de violence liée à leurs opinions politiques.
Cette diaspora forcée s'est constituée au fil des décennies de règne du président camerounais, notamment en raison du manque de liberté d'expression et des restrictions imposées aux activités politiques d'opposition. Les manifestations pacifiques sont régulièrement interdites et dispersées par les forces de l'ordre, parfois au prix de bavures meurtrières.
Parmi ces exilés figurent des profils variés : activistes des droits de l'homme, leaders d'opinion, membres de partis politiques d'opposition, journalistes et intellectuels. Tous partagent une crainte commune : celle d'être persécutés pour leurs convictions politiques ou leurs critiques du régime en place.
Ces Camerounais de la diaspora, installés principalement en Europe et en Amérique du Nord, continuent souvent leurs activités politiques depuis l'étranger. Ils utilisent les réseaux sociaux et les médias internationaux pour faire entendre leur voix et critiquer les dérives qu'ils dénoncent dans leur pays d'origine.
L'absence d'alternance politique depuis 1982 et les accusations récurrentes de corruption ont alimenté cette vague d'exil volontaire, certains préférant quitter le pays plutôt que de subir les pressions du système politique en place.
Cette émigration forcée a des conséquences profondes sur les individus concernés. L'exil entraîne souvent une perte d'identité et une rupture douloureuse avec le pays d'origine, ainsi qu'une difficile adaptation à une nouvelle culture et à un nouveau mode de vie.
Cependant, cette diaspora politique contribue également au développement d'une conscience camerounaise à l'étranger. Elle joue un rôle important dans les débats politiques nationaux et peut exercer une influence sur l'évolution politique du Cameroun à travers les médias sociaux et les réseaux internationaux.
Le message de Paul Biya s'inscrit dans l'intensification de sa stratégie de communication à l'approche de l'élection présidentielle. Depuis février, ses comptes officiels ont considérablement accéléré leur rythme de publication, passant de deux ou trois messages par mois à près de trois par semaine.
Cette publication intervient dans un contexte où les tensions persistent dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, et où l'opposition, menée notamment par Maurice Kamto, tente de mobiliser cette même diaspora que le président affirme ne plus être nécessaire.
En affirmant que l'exil n'est plus nécessaire pour exprimer ses opinions, Paul Biya semble vouloir rassurer et peut-être inciter au retour ceux qui ont quitté le pays. Cependant, cette déclaration contraste avec la réalité du terrain, où les libertés publiques restent encadrées et où l'espace démocratique demeure restreint.
Le choix du hashtag #OneAndIndivisible (Un et Indivisible) accompagnant ce message révèle une volonté de rassemblement au-delà des clivages, mais soulève la question de la crédibilité d'un tel appel dans le contexte actuel.
Un défi de réconciliation
Pour que ce message trouve un écho favorable auprès de la diaspora camerounaise, il faudrait que des garanties concrètes soient données sur l'exercice des libertés fondamentales et l'ouverture de l'espace démocratique. Sans cela, cette déclaration risque d'être perçue comme un simple exercice de communication électorale.
La question reste posée : les Camerounais de l'exil politique seront-ils convaincus par ce message d'apaisement, ou y verront-ils une contradiction avec leur expérience personnelle du système politique camerounais ?