Expropriations du peuple Sawa : le Prince Rene Duala Manga Bell dépose une lettre sur la table de Paul Biya

Le Prince Rene Duala Manga Bell

Mon, 16 May 2022 Source: www.camerounweb.com

L’épineux problème d’expropriation des terres du peuple Sawa est en train de prendre d’autres tournures. Le Prince Rene Duala Manga Bell vient de saisir Paul Biya à travers une lettre ouverte.



LETTRE OUVERTE DU PRINCE RENE DUALA MANGA BELL AU PRÉSIDENT PAUL BIYA SUR LES EXPROPRIATIONS DU PEUPLE SAWA

Excellence, Monsieur le président de la République,

Je vous renouvelle mes hommages convenus et, alors que vos lourdes charges à la tête de notre pays ne vous laissent aucun répit et qu´il ne manque pas de préoccupations plus urgentes, permettez-moi, Excellence Monsieur le président, de saisir votre plus haute autorité d´une question qui tient d´une extrême délicatesse pour la paix en mon Canton à Douala. Les institutions de la République que vous incarnez se livrent depuis avant les indépendances à un jeu de massacre organisé sur les terres de mes ancêtres.

Depuis la pendaison de mon grand-père, Rudolf Douala Manga Bell, condamné à mort et pendu par le colon allemand le 7 août 1914, pour avoir osé revendiquer le simple droit de vivre sur les terres de ses ancêtres, l´Etat du Cameroun a perpétué des braquages en règle dans l´espace vital des Sawa à Douala, sous administration française et sous les régimes successifs depuis les indépendances. Le prétexte était tout trouvé : expropriation pour cause d´utilité publique. Une excuse agréable à tous, lorsque le développement économique de notre pays est en jeu. Mais la violence et l´iniquité commencent lorsque, au moment où les terres expropriées il y a cinquante ou cent ans, perdent la cause d´utilité publique et sont revendues au titre des domaines privés de l´Etat.

Qu´il me soit permis, Excellence Monsieur le président, d´insister sur un détail d´importance. Tous les terrains arrachés dans la ville de Douala n´ont jamais fait l´objet d´une quelconque indemnisation. La plus petite justice aurait voulu que ces terres soient rétrocédées, au nom du droit élémentaire de préemption reconnu aux dépositaires ancestraux.

Tel n´aura pas, hélas ! été le cas. Les ministres successifs de l´Urbanisme et de l´habitat, ou encore des Affaires foncières et des Domaines plus récemment, ont passé outre toutes vos instructions et n´en continuent pas moins aujourd´hui de vous discréditer aux yeux de la communauté internationale.

En 1996, le président de la République du Cameroun a pris un décret pour annuler les ventes de gré à gré de terrains à Douala. Et quelques mois plus tard, un décret d´application de la mesure. Nous sommes au Cameroun en situation d´échec au pouvoir souverain du chef de l´Etat. Je vis en mon canton, je constate que vos décrets sont restés lettres mortes.

Plus récemment encore, le 11 juillet 2008, j´ai vécu une scène de destruction à la pelleteuse d´un domaine sur la descente de la Cathédrale à Douala, un terrain évalué à cinq mille mètres carrés, vendu sous le boisseau à 5 000 francs Cfa le mètre carré. Se disputent ce terrain trois braves citoyens, un hiérarque du Rdpc à Douala, un député du même parti converti homme d´affaires ou capitaine d´industrie, et l´actuel président de la Chambre de commerce et d´industrie du Cameroun.

Or, le Ngondo, l´assemblée traditionnelle du peuple sawa dont vous avez reçu l´extrême onction, souhaite exploiter ce site pour y ériger son siège permanent et définitif. J´en fais ma grande ambition au moment où je reprendrai la présidence du Ngondo, dès la fin de cette année. Le peuple sawa ne se fera pas l´insulte de n´être pas en mesure de rassembler 25 millions de francs Cfa pour un site en plein Douala pour la cause des Sawa qui représentent, vous le savez, le cinquième des peuples du Cameroun.

Il y a quelques semaines encore, la résidence de Lobe Bebey Bell à Bali a été prise pour cible. L´illustre ancêtre a assuré la régence de la chefferie de mon canton entre 1932 et 1950. A en croire une certaine information, le terrain aurait été vendu à un acquéreur incertain par un improbable parent du chef défunt. Jusqu´où les infamies, les profanations et les iconoclasmes ne pourront prospérer plus loin ? Aucun peuple, aucune civilisation au monde ne saurait tolérer que les sièges de ses institutions traditionnelles soient adjugés au premier aventurier. On en serait alors à négocier aux enchères le Palais de Versailles de Louis XIV, à commencer par l´Elysée à Paris, la Maison-Blanche à Washington, ou même le Palais de l´Unité à Etoudi. Ce n´est surtout pas à Bafoussam, à Foumban, à Garoua ou ailleurs dans le sud Cameroun qu´on s´aviserait de négocier des terrains d´une chefferie. Mais au prochain tour, à Douala, la ville du Cameroun où rien n´est interdit, quelques grands commerçants achèteront, à Douala, le mausolée de Rudolf Douala Manga Bell. Un titre foncier sur le théâtre de la pendaison du Roi, cinquante ans au moins avant que le Cameroun n´ait eu un certain Ernest Ouandié.

Le Cameroun en serait tout beau, comme un vilain pied de nez aux intellectuels du continent qui travaillent à réécrire l´histoire, sur l´instant zéro du 18 juillet 1884. Face au plénipotentiaire Nachtigal de l´empereur allemand Guillaume Premier, un chef de file, le King Bell, aux côtés de Dicka Mpondo, le King Akwa, a signé l´acte de naissance du Cameroun.

Que tous les prétendants à ce terrain pour lequel mon grand-père a été pendu veuillent bien attendre que je ne sois plus de ce monde et que j´aie le cauchemar de me retourner du fond de mon caveau parce que mes enfants n´auront pas eu le courage de se lever pour défendre ce qui est à eux.

Excellence, Monsieur le président, le peuple sawa et moi-même vous saurons infiniment gré de toutes les mesures d´urgence que vous voudrez bien prendre pour assainir cette situation qui devient potentiellement explosive. Vous aurez acquitté un respectable tribut à la Résolution 61/295 des Nations unies du 13 septembre 2007 sur les droits des peuples autochtones. Pour mémoire, qu´il vous convienne de repenser cette disposition de la Résolution, que le Cameroun a signée et doit avoir ratifiée.

Article 28 : Les peuples autochtones ont droit à réparation, par le biais, notamment, de la restitution ou, lorsque cela n´est pas possible, d´une indemnisation juste, correcte et équitable pour les terres, territoires et ressources qu´ils possédaient traditionnellement ou occupaient ou utilisaient et qui ont été confisqués, pris, occupés, exploités ou dégradés sans leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.

Excellence, Monsieur le président, j´ai l´honneur de revendiquer, au nom du peuple sawa en général et du peuple douala en particulier, la restitution du terrain dont il est question. Pas pour le compte du Prince René Douala Manga Bell, mais au nom du Ngondo.Assurément, vous aurez posé là la première pierre de la mise en ?œuvre des mesures sur la protection des minorités et des populations autochtones que nous avons votées pour notre Constitution en 1996. Vous en aurez l´onction de toute la communauté internationale.

J´ai 82 ans passés, je n´ai plus la vigueur de mes 23 ans lorsque j´étais soldat au front du Tonkin pour la guerre d´Indochine pour le compte de la France en 19...

Monsieur le président, je me fais la violence au quotidien de m´entretenir avec cent ou mille sujets, de mon canton, ou de tous les autres cantons du grand village de Douala. Je n´ai pas l´excuse de quelques escapades à dix mille lieues, seule ma capacité de persuasion me permet de tenir face à une lame de fond qui tient d´une volonté populaire et qui a ses allures d´insurrection.

Je vous renouvelle les assurances de mon peuple à demeurer le peuple accueillant qu´il a toujours été et que Douala restera cette formidable terre hospitalière pour tous les hommes du monde. Je vous prie d´agréer, Excellence Monsieur le président de la République, l´expression de ma déférente et respectueuse considération. Et que vive le Cameroun !

Douala, le 14 juillet 2008

Prince René Douala.

Source: www.camerounweb.com