Arrêtés au Nigéria le 05 Janvier 2018 et extradés au Cameroun depuis le 26 du même mois, les mis en cause n’ont jamais rencontré ni leurs avocats, ni leurs familles.
Le 05 janvier 2018, l’on apprend la capture du leader séparatiste Sisiku Ayuk Tabe, ainsi que 09 de ses lieutenants à Abuja au Nigéria. Ensuite, ils seront transférés au Cameroun à peine deux semaines plus tard, soit le 26 janvier. Information confirmée par le gouvernement camerounais, par la voix de son ministre de la communication, qui parlera du transfèrement de 47 présumés terroristes. Depuis cette date, jusqu’à nos jours, soit plus d’un mois après leur arrestation, c’est le black-out total. On ne sait pas où tout ce beau monde se trouve, s’ils sont vivants ou morts.
Si le gouvernement rassure quant à leur présence et leur existence au Cameroun, personne n’a accès à eux. On se souvient qu’à peine Issa Tchiroma avait-il confirmé l’extradition de ces présumés sécessionnistes au Cameroun, qu’un pool d’avocats s’est constitué pour leur défense. Me Claude Assira, l’un de ces avocats, nous dira à ce sujet : « nous nous sommes hélas trouvés confrontés à un obstacle du fait du manque de coopération des hommes trouvés sur place (SED), lesquels estiment avoir besoin d'une autorisation préalable du commissaire du Gouvernement près le Tribunal militaire de Yaoundé (TMY) pour permettre un quelconque accès à qui que ce soit. La raison évoquée est que le Commandant qui n'était pas sur place ». Jusqu’à nos jours, rien n’a changé. Même les familles des mis en cause n’ont pas accès à eux. De plus, l’Etat qui dit avoir extradé au Cameroun 47 présumés terroristes n’a jusqu’à présent pas publié la liste officielle des 47.
La loi foulée
Issa Tchiroma, dans une de ses récentes interventions sur la Voix de l’Amérique déclare sur le sujet que tout ce qui se passe actuellement l’est en conformité avec la loi et les règlements. Il ajoute qu’il n’y a jamais eu violation des règles. « Je confirme que tous sont vivants et se portent bien. Tous bénéficient de ce que la loi de notre pays a prévu pour des personnes dans leur cas. Vous n’avez pas à vous inquiéter », chute le Mincom. Leur a-t-on signifié les charges qui pèsent contre eux ? Le gouvernement les considère comme des présumés terroristes. Mais est-ce une présomption de culpabilité ou une présomption d’innocence ? Laurent Esso, ministre de la justice garde des sceaux, lors de l’installation du président du Tcs, vendredi dernier a indiqué dans sa communication spéciale qu’il faut « sauvegarder la présomption d’innocence en mettant la personne poursuivie à l’abri des calomnies et de la médisance ; le souci de protéger l’opinion contre ceux qui seraient motivés par le goût du scandale et du sensationnel ».
Il s’appuyait ainsi sur le code de procédure pénale en vigueur au Cameroun, un code qui s’applique même en matière de terrorisme, de sécessionnisme ou d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Ce code stipule en son article que : « 238 — (1) En cas de détention provisoire, les conjoints, ascendants, descendants, collatéraux, alliés et amis de l'inculpé ont un droit de visite qui s'exerce suivant les horaires fixés par l'administration pénitentiaire, sur avis conforme du Procureur de la République ». Et ce n’est pas parce que l’affaire intéresse le tribunal militaire qu’on doit bafouer la loi qui s’y applique aussi. Puisqu’on parle de terrorisme, la loi n°2014/028 du 23 décembre 2014 portant répression des actes de terrorisme stipule dans ses dispositions générales que c’est le code de procédure pénale qui encadre la procédure même lorsque l’infraction commise ouvre la compétence du tribunal militaire. La même loi qui stipule qu’en cas de terrorisme, la garde à vue est de 15 jours renouvelable, n’interdit pas qu’un mis en cause soit en contact avec ses conseils ou sa famille. Attention, nous ne sommes pas les défenseurs d’individus dont l’objectif majeur est de faire éclater notre pays. Nous ne sommes aucunement des sympathisants de leur cause, mais, nous pensons que l’Etat diffère des groupes terroristes en ce sens qu’il est l’Etat et donc, applique la loi. Comment donc comprendre que depuis un mois que tous ces présumés terroristes sont sur le territoire camerounais, qu’ils n’aient jamais eu accès à leurs conseils ni encore moins à leurs familles ? Est-ce que l’argument selon lequel ils seraient toujours en exploitation justifie que des jours après leur extradition, qu’il n’ait pas doit au minimum prévu par la loi ? Est-ce que les conventions internationales dont le Cameroun est signataire l’autorisent ?
Comment donc comprendre cette mise en isolement alors que même les leaders du consortium qui avaient été accusés des mêmes torts n’ont pas subi pareil scénario ? En abordant nos experts cette semaine, nous leur avons posé les questions suivantes : comment comprendre qu’un Etat comme le Cameroun qui se dit un Etat de droit ait choisi de bafouer ainsi sa loi ? Au regard de tout ceci, ces mis en cause sont-ils des présumés coupables ou des présumés innocents ? Vu la gravité des accusations qui pèsent sur Ayuk Tabe et ses comparses, peut-on justifier leur isolement par le concept « de raison d’Etat » ? Quelles peuvent être les conséquences à la fois nationales et internationales de ce choix de l’Etat d’ignorer la loi et les conventions internationales en la matière ?