L’extradition du Nigeria vers le Cameroun des leaders séparatistes anglophones, dont Sisiku Ayuk Tabe, pose la question désormais de leur procès. Ils pourraient encourir la peine de mort.
Sous le coup d’un mandat d’arrêt international, émis par Yaoundé, ces séparatistes ont été interpellés début janvier dans un hôtel d’Abuja, la capitale fédérale du Nigeria. Ils étaient recherchés par les autorités camerounaises depuis l’éclatement de qui est appelé "une crise anglophone". Une crise qui touche les régions du nord-ouest et du sud-ouest du Cameroun. Yaoundé qualifie les séparatistes de "terroristes" parce qu’ils seraient les commanditaires d'actes de violence commis dans ces deux provinces. Des violences qui ont causé la mort d’au moins 19 militaires et policiers depuis novembre 2016.
Quelle suite après l'extradition
Selon l'un des avocats des leaders séparatistes que la Deutsche Welle a interrogé, "s'ils sont inculpés, ils risquent un procès. S'ils ont un procès et que la preuve est démontrée de façon irréfutable, il y a évidemment un risque qu'ils soient déclarés coupables. S'ils sont déclarés coupables, malheureusement, les peines qui sont prévus pour l'instant, c'est encore au Cameroun, la peine de mort".
Procès équitable?
La tension est assez forte au Cameroun à quelques mois de l’élection présidentielle d’octobre 2018. Beaucoup craignent que ce contexte fasse que les leaders anglophones incarcérés ne bénéficient pas d'un procès équitable. Pourtant, le ministre camerounais de la Communication, porte-parole du Gouvernement, Issa Tchiroma Bakary assure que tout est mis en œuvre pour donner aux personnes extradées un procès équitable, conformément au code pénal du Cameroun.
Mais le politologue Efouba Nga Sosthène, chargé de cours à l’Université de Yaoundé 2 à Soa ne croit pas aux assurances données par le porte-parole du gouvernement. Pour lui, le régime en place à Yaounde "peut se servir de cette arrestation comme d'une rente". Monsieur Efouba Nga Sosthène dit ne pas être sûr que les séparatistes "seront traités selon les principes du droit international".
Quelle issue pour la crise?
De nombreux observateurs craignent un enlisement de cette crise si les ténors de la contestation anglophone étaient jugés et condamnés à mort. Une situation qui ne fera qu’exacerber la tension déjà forte entre une partie des habitants des deux provinces anglophones et le pouvoir de Yaoundé.
Grande prise pour Yaoundé
L’officialisation de l’extradition de ces séparatistes dont le "président" auto-proclamé de l'Ambazonie (nom que les sécessionnistes donnent à leur projet de pays), Sisiku Ayuk Tabe, est une grande victoire pour les autorités camerounaises, qui se frottent les mains.
Abuja avait déjà montré des signes qu’il allait extrader "ces irrédentistes", dès leur arrestation début janvier. "C'est un coup important qui a été infligé par les autorités camerounaises qui ont pu capturer une grande partie de l'état-major de ce mouvement" , a déclaré à nos confrères de l’AFP, le politologue Mathias Eric Owona Nguini, chercheur à la Fondation Paul Ango Ela, spécialisée dans les analyses géostratégiques en Afrique centrale.
"Ils risquent la torture et des procès partiaux devant des cours militaires camerounaises", déclare pour sa part, Ilaria Allegrozzi, chercheuse à l'ONG Amnesty International. Quant à Hans De Marie Heungoup, chercheur à International Crisis Group, l'extradition des 47 séparatistes "est indubitablement une victoire tactique, mais pour la transformer en victoire politique, le chef de l'Etat camerounais devrait initier rapidement un dialogue politique au plus haut niveau sur le fédéralisme ou la décentralisation avec toutes les composantes des régions anglophones".
À l’origine de la crise, une simple grève
La crise actuelle a pris ses racines dans une grève lancée en novembre 2016 par les enseignants et avocats des deux provinces anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun. Au fil du temps, la grève s’est muée en revendications politiques et sociales. Les habitants de cette partie du pays, qui représentent environ 20% des 23 millions que compte le Cameroun, se disent marginalisés.
C’est pourquoi, ils exigent la prise en compte de leurs différentes revendications : l’effectivité du bilinguisme, la construction des infrastructures sociales de base, une plus nette représentativité des cadres anglophones dans les sphères politiques et étatiques, entre autres.
Depuis le début de cette crise, les autorités ont enregistré la mort d’au moins 19 militaires et policiers. Harcelés par les sécessionnistes armés, l’armée s’est vu obligée de déployer plusieurs contingents de blindés, pour assurer la sécurité des paisibles citoyens qui payent le prix de cette crise.
"Si un dialogue véritablement inclusif n'est pas rapidement amorcé à la suite de cette extradition, il est possible que l'extradition radicalise davantage la partie anglophone et accentue le cycle de violences en cours", prédit le chercheur Hans De Marie Heungoup, que la Deutsche Welle a joint au téléphone.