Fatigués de l'exil, plusieurs milliers de réfugiés quitte le Cameroun

Réfugié, Femme, Aïcha Du camp de réfugiés de Minawao – où vivent près de 60 000 réfugiés nigérians

Sat, 14 Oct 2017 Source: lepoint.fr

Face aux violences qui continuent de sévir, ils ont souvent dû rebrousser chemin et se faire une raison : le retour ne sera pas pour tout de suite.

Au rythme des rumeurs d'apaisement

La parole de ceux qui en sont revenus est rare : la plupart préfèrent le silence.

Amaka**, mère de famille d'une trentaine d'années, a accepté de partager cette douloureuse expérience. C'était au mois de mai, ce moment de l'année où le climat est le plus difficile à vivre dans la région de l'extrême nord du Cameroun, avec des températures pouvant monter jusqu'à 40 degrés. Ce jour-là, le débat était animé entre Amaka et son mari Jonah** : elle voulait partir. Après presque trois années d'exil, elle voulait quitter Minawao et simplement rentrer chez elle, de l'autre côté de la frontière, pour retrouver son village martyr de Pulka, situé à quelques encablures de Maiduguri dans l'État de Borno.

Face à lui, ce jour-là, le père de famille avait ses deux épouses, toutes deux originaires de là-bas, et toutes deux bien décidées à suivre toute la communauté de Pulka : « Lui ne voulait pas que nous partions. Il disait que la paix n'était pas revenue, que la vie y était pire qu'ici. Mais je voulais revoir mon village, et toute la communauté Pulka réfugiée ici voulait tenter, et beaucoup disaient qu'au contraire la paix y était revenue », se souvient Amaka.

Après avoir tenu tête à leur Jonah, les deux coépouses firent leurs affaires – pas grand-chose – et emmenèrent leurs neuf enfants à bord d'un camion loué pour la circonstance grâce aux économies de toute la communauté, et qui devait leur permettre de faire la première partie du chemin jusqu'à Banki, située juste de l'autre côté de la frontière. « Arrivés à Banki, nous avons attendu quinze jours sans rien faire. Puis des voitures sont arrivées pour nous emmener à Pulka », raconte d'un ton monocorde Amaka. Elle ne saurait dire à qui appartenaient ces voitures : au gouvernement ? À une ONG ?

Qui sait. Ces dernières années, dans le drame de son existence, Amaka s'est souvent contentée d'aller là où on lui disait d'aller, en espérant y trouver un peu de réconfort. Ce dont elle se souvient de cet épisode, c'est que ces gens-là leur « ont donné des biscuits ». Du camp de réfugiés de Minawao – où vivent près de 60 000 réfugiés nigérians – à Pulka, il n'y a qu'une centaine de kilomètres à vol d'oiseau. Pourtant, c'est un autre pays, un autre monde : celui où Boko Haram sème la terreur.

« Il n'y avait plus de maisons, plus rien »

« En fait, à Pulka, il n'y avait plus de maisons, plus rien. Tout avait été détruit. (…) Alors, les humanitaires nous ont expliqué qu'il n'y avait plus d'eau non plus, et nous ont amenés à Gwoza », situé à une vingtaine de kilomètres de là. L'histoire de ce lieu raconte à lui seul ce que des gens comme Amaka ont fui. C'est de cette petite localité que celui qui fut le leader de Boko Haram, Abubakar Shekau, avait proclamé un « califat » en 2014.

L'ancien fief de Shekau sera sans doute à jamais hanté par les violences qu'il a subies : alors qu'il était contraint à la fuite en mars 2015, il avait ordonné que toutes les femmes de Gwoza soient rassemblées et tuées, selon des témoignages recueillis à l'époque par l'AFP. Désormais à Gwoza se dresse un camp de déplacés internes où vivent près de 35 000 autres victimes de la guerre. En tout, un peu moins de 580 000 Nigérians ont fui leurs habitations pour trouver refuge sur des sites de déplacés tels que celui-ci.

« Nous avions quitté le Cameroun, où nous étions réfugiés, pour rentrer dans notre village et nous nous retrouvions de nouveau réfugiés dans un autre village de notre propre pays. On ne voulait pas ça », dit la jeune femme en hissant un de ses enfants par le bras pour le mettre sur ses genoux. Elle poursuit : « Nous étions bien traités à Gwoza. On nous donnait à manger et il y avait des soins pour les enfants… mais nous étions comme des prisonniers. On nous interdisait de sortir pour aller chercher du bois ou aller au champ à cause de Boko Haram qui pouvait nous attaquer à tout moment. »

En attendant la paix

Il est difficile d'avoir une estimation fiable sur le nombre de familles qui ont ainsi fait l'aller-retour entre le site de Minawao et le Nigeria. Mais la situation est préoccupante pour l'Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR), qui considère encore que, pour le moment, la situation ne permet pas d'organiser un retour dans des conditions minimum de sécurité et de dignité : « L'objectif aujourd'hui est de sensibiliser par tous les moyens la population nigériane sur les risques qu'elle encourt dans pareille entreprise », souligne Geert Van Casteel, adjoint au représentant du HCR au Cameroun, soulignant qu'en mars dernier « les gouvernements nigérian et camerounais ont signé avec (eux) un accord tripartite et se sont engagés à organiser le retour volontaire des réfugiés, lorsque les conditions seront réunies ».

Au mois d'août, quelques mois après avoir tenté de retrouver son village, Amaka s'est fait une raison et a repris le chemin de Minawao, ce petit bout de plaine désertique où la vie est rude mais où il est possible d'aller chercher du bois et de cultiver un petit carré de terre, si loin et si proche de chez elle. Assise sur une natte à même le sol, sous un petit abri de terre cuite au toit de paille, Amaka semble attendre. Elle n'est pas très sûre de son âge, « environ 35 ans », mais ce dont elle est sure, en revanche, c'est qu'elle a déjà passé trop de temps à fuir.

** Les noms ont été changés pour protéger les témoins.

Source: lepoint.fr