Fonction publique: Joseph Le dépassé par la corruption

Joseph LE040318600 Malgré les différentes actions de bonne gouvernance, la corruption persiste.

Fri, 18 May 2018 Source: www.datacameroon.com/

Les agents publics doivent toujours aller à Yaoundé monnayer le suivi de leur carrière pourtant il existe Sigipes et d’autres outils numériques mis en place dans les administrations.

Un contraste existe dans la gestion des agents publics au Cameroun, à l’ère du numérique et des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC). En avril 2018, deux ministres ont pris des actes qui traduisent à suffisance ce paradoxe. Le ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative (MINFOPRA), Joseph Le, a mis son adresse mail (joseph.le@minfopra.gov.cm) à la disposition des agents publics qui peuvent désormais le saisir directement sur les services offerts par son département ministériel. Le ministre annonce la mise en place dans chacune des 10 délégations régionales d’un dispositif de renseignements, de collecte et de suivi des dossiers. L’objectif visé est que personne n’ait plus à venir à Yaoundé, le siège des institutions.

Pourtant, le ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary, invite les personnels de son administration à déposer dans les services centraux leurs dossiers pour les avancements, les rappels de salaire et bien d’autres requêtes relatives à leur carrière. Tout le monde doit venir à Yaoundé, même les agents affectés dans les 370 délégations régionales et départementales que compte le ministère de la Communication. Ici, comme dans plusieurs autres administrations publiques, la gestion des ressources humaines doit encore s’arrimer au numérique et aux Tic. Or depuis 2001, la gestion des personnels de l’Etat et de la solde a été déconcentrée. Certaines prérogatives étant désormais exercées par chaque département ministériel.

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Les fonctionnaires ne sont donc pas au bout de leurs peines. Eux qui, au cours de leur carrière, sont appelés à constituer divers dossiers : intégration dans la Fonction publique, prise en charge ou prise en solde par l’Etat, déclassement, mise en disponibilité, congés, sortie du territoire, demande de détachement, bonification d’échelon, avancement en grade, capital de décès et pension de reconversion, retraite anticipée, assistance financière, entretien véhicule ou encore frais de relève.

L’ère de la paperasse continue de prévaloir alors que le Cameroun implémente depuis l’an 2000 le Système Informatique de Gestion Intégrée des Personnels de l’Etat et de la Solde (SIGIPES). Il n’empêche que des fiches et des formulaires continuent d’être vendus dans le quartier des ministères. Les nombreux jeunes établis ici sont passés maitres dans la constitution des dossiers physiques. Leurs services sont évidemment payants. « Monter un dossier d’intégration me coûte 25 000 F.Cfa », confie une enseignante en poste dans un lycée de l’arrondissement de Bourha, dans le département du Mayo Tsanaga, région de l’Extrême-Nord. Son poste de travail se trouve à près de 1 300 km de Yaoundé. Rencontrée durant les congés de Pâques, cette mère célibataire passait un énième séjour dans la capitale, pour reconstituer son dossier d’intégration. Le troisième depuis sa sortie de l’Ecole normale supérieure de Maroua en janvier 2015. Voilà donc 3 ans que la jeune enseignante travaille sans salaire. Elle avait eu moins la chance que plusieurs de ses camarades qui, 7 mois plus tard, étaient déjà pris en solde. La faute aux dossiers qui se perdent dans les dédalles de l’administration.

« Les dossiers d’intégration sont déposés à l’école peu avant la sortie. C’est donc le ministère de l’Enseignement supérieur qui les achemine au ministère de la Fonction publique qui, à son tour, les envoie au ministère des Finances. Je ne saurais dire à quel niveau mes dossiers se perdent. Apres la disparition de mon premier dossier, j’ai déposé le deuxième directement au ministère des Enseignements secondaires qui m’emploie. Il y a également eu un problème. Le troisième, je l’ai déposé au ministère de la Fonction publique, et je croise les doigts pour réussir cette fois », explique la fonctionnaire.

Pour chaque dossier d’intégration constitué, l’enseignante passe environ 2 semaines à Yaoundé. Dans son cas comme dans celui de beaucoup d’autres agents publics, il faut venir dans la capitale s’enquérir de son problème et, au besoin, fouiller soi-même dans les milliers de documents non archivés. Il faut se déplacer car, les outils numériques mis à la disposition des agents publics ne sont pas toujours d’une grande aide. Il y a la plateforme Sigipes qui prend en charge le personnel de 37 administrations publiques. Cette interface permet à chaque agent immatriculé de s’informer sur l’évolution de son dossier, avec la possibilité de savoir dans quel bureau celui-ci se trouve. Mais rien de plus. Il a été impossible d’accéder aux statistiques de fréquentation de cette plateforme. Les chiffres sont tenus au ministère de la Fonction publique. En plus de la plateforme Sigipes, plusieurs ministères disposent aujourd’hui d’un site web et d’une page Facebook. C’est le cas du ministère des Enseignements secondaires ou encore de celui de la Fonction publique. En plus de son personnel, ce département gère la carrière de l’essentiel des quelque 322 000 individus réels ou fictifs que compte le fichier solde de l’Etat, selon les dernières données avancées par le ministère des Finances.

Pourcentages

A l’ère du numérique, des groupes Whatsapp existent même au sein de certaines administrations, permettant que des responsables échangent avec leurs collaborateurs de l’arrière-pays. Pourtant, la gestion des effectifs continue de souffrir d’un déficit de transparence, et favorise la corruption ainsi que l’arnaque. « Le mal se trouve au ministère de la Fonction publique et au ministère des Finances. Il faut avoir un correspondant qui se charge de suivre votre dossier en votre absence. Cette personne est capricieuse et exige des gratifications. Parfois, il faut aussi payer un démarcheur qui va déposer votre dossier à votre place », explique un agent des Eaux et Forêts en poste à Yokadouma dans la région de l’Est.

Sur les délais de traitement des dossiers, il faut payer pour être rapidement servi. « Pour mon dossier d’avancement, le fonctionnaire qui m’a reçu m’a dit que le traitement prendrait entre 6 et 7 mois. Puis il a ajouté que si j’ai un parrain à qui je laisse un pourcentage, tout peut se faire en 15 voire 10 jours », raconte un cadre de la délégation régionale des Transports de l’Est à Bertoua. Sur les pourcentages à laisser, la mercuriale est connue dans le milieu. 10% du rappel des primes d’avancement. Entre 10 et 20% du rappel du salaire. Des adresses sont même connues au ministère de la Fonction publique et au ministère des Finances, notamment au service de la solde.

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Dans ces deux administrations, le sujet impose le silence. Le ministère des Enseignements secondaires, avec pas moins de 80 000 personnes. Un communiqué du 21 avril 2018 informe le personnel que l’avancement d’échelons et de classes sont désormais automatiques à l’exception du changement du grade. Une source à la direction des ressources humaines indique qu’il y a une réelle volonté d’alléger les procédures, de limiter les déplacements à Yaoundé, de réduire le contact humain et combattre la corruption. Mais la reforme fait face aux réseaux de corruption qui, bien qu’affaiblis, résistent et se métamorphosent.

Le Pr Viviane Ondoua Biwolé, experte en management public, constate « l’échec » de la réforme du Sigipes. Occupant le poste d’inspecteur général du ministère de la Fonction publique de 2009 à 2010, elle diagnostique une « faible maitrise des exigences de la gestion des ressources humaines au sein de l’administration publique camerounaise. » L’experte note que la technologie ne peut être efficace sans une véritable culture de gestion des ressources humaines. Or, ce n’est pas encore le cas au Cameroun car, explique-t-elle, parmi les 37 administrations publiques intégrées au Sigipes, seules 6 présentent un organigramme avec une Drh (Direction des ressources humaines Ndlr).

Dans 29 administrations, cette direction est fondue dans l’immense direction des affaires générales. Quant au Dr Tchoffo Zoteye, expert en gouvernance, il regrette que l’Etat n’ait pas pu tenir l’échéance de 2016 pour le lancement de la phase 2 du SIGIPES. « Vivement que SIGIPES II soit mis en œuvre, afin d’améliorer la traçabilité dans la gestion et le suivi des carrières », conclut-il.

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