Sous le prétexte des poursuites judiciaires contre Essimi Menye, pour l’achat de 50 hectares de terres par son frère, est planifié un projet de déstabilisation des deux officiers généraux et du secrétaire d’Etat à la Défense (SED) par le biais d’éventuelles accusations de biens mal acquis auprès de la liquidation de l’ex-SCT.
Parmi les ministres sortis du gouvernement le 02 octobre 2015, aucun n’est autant attendu en prison qu’Essimi Menye. Si l’on s’en tient à la sentence avant jugement véhiculée dans des journaux dont la proximité avec des « donneurs d’ordre » crève l’œil, l’une des deux affaires qui vaut des déboires judiciaires à l’ex-ministre de l’Agriculture et du Développement rural (Minader), porte sur la liquidation de la défunte Société camerounaise des tabacs (SCT) ; entreprise d’économie mixte admise en procédure de privatisation/liquidation le 17 Juillet 1994.
Il a fait l’objet de deux auditions par les enquêteurs du tribunal criminel spécial (TCS) dans un bureau du ministère de la Justice, les 13 et 27 janvier 2015, alors même qu’il est encore aux affaires. Pour l’instant, le dossier demeure au stade de l’instruction.
Mais la saga judiciaire d’Essimi Menye promet plus que des rebondissements. « La surenchère et le grossissement des traits dans l’exposition de certains éléments de l’affaire Essimi Menye procèdent des faits intentionnels de manipulation et d’instrumentalisation de l’appareil répressif de l’Etat pour assouvir les ambitions de certains réseaux engagés dans la bataille de contrôle de ce qu’ils désignent « l’après Biya » » observent les services spécialisés dans une synthèse globalement consacrée aux lendemains du réaménagement gouvernemental du 02 octobre 2015.
A en croire ces fins limiers, tout en se gardant d’obstruer « l’évolution normale » des affaires pendantes devant les juridictions contre certains dignitaires de son régime, le président de la République a pris soin d’initier des enquêtes pour démêler les ressorts de certaines affaires. Il en ressort que l’affaire SCT recèlerait des risques de déstabilisation. « Ils vont se servir jusqu’au bout du cas Essimi Menye comme écran de fumée afin de déstabiliser le moment venu certaines personnalités, acteurs clés de l’appareil sécuritaire et de Défense du pays. Il n’échappe à personne que certains hommes de confiance du chef de l’Etat qu’on finira un jour par discréditer et impliquer dans des scandales de toute sorte, sont des acquéreurs réguliers de terres arables et autres biens immobiliers du patrimoine de la liquidation de cette société. Il y a même des groupes de pression, des ONG aux ordres qui vont prendre le relais pour proférer des accusations de biens mal acquis contre eux, et donc contre le président de la République » explique une source sécuritaire. Dans le viseur de la machination apparaissent les officiers généraux Fouda Joseph et Ivo Desancio, ainsi que le secrétaire d’Etat à la Défense en charge de la Gendarmerie, Jean Baptiste Bokam.
En effet, la liquidation de l’ex-SCT a lancé un appel d’offres pour la cession de ses centres tabacoles en vue de la relance de la culture de tabac. Au terme de l’opération, Jean Baptiste Bokam, natif de la région de l’Est qui abrite ces installations industrielles, avait acquis trois centres. D’autres acquéreurs sont pointés dans la liste. Il s’agit de la FPTC, la SETEC ayant pour promoteurs feu Philémon Adjibolo, ancien Pca de la SCT et Janvier Mongui Sossomba, actuel président de la Chambre d’Agriculture, Siegfried Etame Massoma, gouverneur de l’Est à l’époque et la SETAC.
Les noms des deux officiers généraux sont plutôt localisés dans un rapport sur la vente des immeubles bâtis et non bâtis appartenant à l’ex-SCT, dans le site de Batschenga. Le représentant local du liquidateur fait état au 31 décembre 2007 de la « cession d’environ 620 Hectares concédés à 201 personnes ayant acquis des cases en ruines et des terrains nus ou agricoles pour une valeur de 216 288 000 FCFA (Deux cent seize millions deux cents quatre-vingt-huit mille) ». Parmi les acquéreurs, il y a, entre autres, les généraux Ivo Desancio, directeur de la sécurité présidentielle (5 000 m2) et Fouda Joseph, conseiller spécial du chef de l’Etat, Emile Andze Andze (3 000 m2), Jean Robert Mengue Meka, ancien secrétaire général du ministère des Travaux publics (100 Hectares de terres agricoles). Le frère cadet d’Essimi Menye, Salomon Ombe, acquière alors en 2011 auprès de la commission de liquidation de la SCT un espace agricole à hauteur de 50 millions de FCFA. D’une superficie de 50 hectares, ce terrain n’a jamais été mis en valeur en raison du décès de son propriétaire quelques temps après. C’est cette transaction qui vaut curieusement des poursuites judiciaires aujourd’hui à Essimi Menye.
Laurent Esso voudrait-il régler son compte à certains hauts dignitaires dans l’ombre de cette affaire enclenchée contre Essimi Menye ? Vrai ou faux, c’est un dossier sur lequel s’investit particulièrement le ministre d’Etat en charge de la Justice, Garde des sceaux. Il a, à plusieurs reprises, sollicité le visa présidentiel pour ouvrir des enquêtes judiciaires sur celui qui était encore son collègue du gouvernement. Paul Biya s’était toujours gardé d’y répondre favorablement. Dans le cadre du dossier SCT, le rapport que lui adresse le procureur général près le TCS le 21 mai 2014 fait état de ce qu’il est « reproché au nommé Essimi Menye d’avoir dans le cadre de la liquidation du patrimoine de l’ex- société camerounaise de tabac, enjoint le liquidateur de vendre une plantation de 50 hectares à son petit frère aujourd’hui décédé. Cette vente aurait été réalisée par la procédure de gré à gré en violation des dispositions de la loi n° 99/016 du 22 décembre 1999 portant statut général des établissements publics et des entreprises du secteur public et parapublic » explique Emile Zephyrin Nsoga à Laurent Esso.
Essimi Menye n’aurait guère cependant de soucis à se faire à en croire des acteurs du dossier. « Le dossier d’instruction ne compte presque pas d’éléments sur lui. On cherche en vain l’instruction de vente du terrain de gré à gré adressée au liquidateur » indiquent-ils. Sous anonymat un haut magistrat en service au TCS avoue sa gêne sur le fait que « des manœuvres se multiplient en ce moment pour occulter certains pans de la gestion de la liquidation de l’ex-SCT qui recèlent des scandales financiers devant intéresser la justice en détournant les regards ailleurs ».
Bradage au profit de Paul Fokam
Les terres constituaient le plus grand patrimoine de la SCT. Elles ont été bradées à vil prix. Le plus grand pillage s’est déroulé à Yaoundé au profit de Paul Fokam Kamogne par le truchement de sa banque, CCEI Bank. La liquidation lui a cédé trois immeubles urbains bâtis d’une superficie globale de 17 039 m2 un temps hypothéqués auprès de la SNI, à 1,5 milliards de FCFA. En face du collège de la Retraite, CCEI Bank a acquis une propriété objet du titre foncier numéro 588 d’une contenance de 1530 m2 pour 200 millions de FCFA, et une deuxième sur laquelle est bâtie la PFK Institute au quartier Emana à 300 millions de FCFA. La CSPH a quant à elle déboursé un milliard de FCFA pour les 5564 m2 qui abritent son siège au carrefour Warda. Or, d’après un promoteur immobilier, dans la zone de Warda le mètre carré s’achetait au début des années 2000 à près de 500 000 FCFA et s’acquiert actuellement à 750 000 FCFA. A la même époque à Emana, le mètre carré se vendait à 25 000 FCFA contre près de 40 000 FCFA aujourd’hui.
Sur le site de Batsenga, à 60 Km au nord de Yaoundé, le 15 Mars 1999, Ahmadou Oumarou, le liquidateur, donne mandat à Fritz Njewa Eyango pour « agir en lieu et place de la liquidation de la SCT dissoute en Juin 1998 ». En sa qualité de représentant du liquidateur, il doit s’occuper du recouvrement des loyers, de la renégociation des contrats de location et de la protection du patrimoine de la défunte SCT dans ce centre.
Son mandat ne parle pas de vente. Il va pourtant se mettre à brader les terres. L’acte de cession est souvent matérialisé sur des feuilles volantes. Les 2 400 hectares de la station SCT de Batschenga sont vendus de gré à gré et à vil prix. Pour certaines cessions, d’aucuns parlent de 30 Francs CFA le mètre carré. C’est le cas du titre foncier numéro 617 de 1554 m2, cédé à la SNI, qui était aussi actionnaire privilégié de la défunte SCT.
Mafia autour de la liquidation au profit des acteurs connus
Au moment où s’ouvre la liquidation, la commission en charge de cette opération estime que le patrimoine de la SCT est difficilement évaluable. « Le mauvais état des archives très fortement endommagées par les intempéries et actes de vandalisme perpétrés pendant la longue période d’agonie de l’entreprise, voire leur destruction, a énormément compliqué les travaux de reconstitution des actifs résiduels et du passif », note le rapport de clôture de liquidation.
Au moins il relève que « à l’ouverture de la liquidation, le passif de la société s’élève à près de cinq milliards de FCFA, dont 1,3 milliard à titre d’arriérés de salaires et de droits dus au personnel et 350 millions de FCFA au titre d’arriérés dus aux planteurs de l’Est. » La thèse d’une évaluation pénible du patrimoine de la SCT ne convainc pas nombres d’observateurs.
Pour d’aucuns, le flou a été délibérément entretenu tellement le patrimoine de la SCT aiguise des appétits. Une preuve : le 15 Janvier 1996 déjà, le ministre de l’Economie et des Finances demande au directeur général de la SCT « de prendre toutes les dispositions légales existantes pour la préservation du patrimoine de la SCT ». Dans sa correspondance, Justin Ndioro dénonce « la signature illégale d’un contrat de location gerance entre la SCT représentée par son Pca (Philémon Adjibolo) et la Sabat SA (cette société a comme promoteurs, entre autres, l’ancien ministre Hubert Nkoulou) en date du 20 Décembre 1995 ».
Officiellement, la société est morte faute d’argent pour soutenir ses campagnes agricoles. La saison 1993-1994 marque donc sa cessation d’activités. Mais un haut cadre de l’ex-SCT subodore un complot. Il indique qu’avant que la société ne mette la clé sous la porte, l’équipe managériale de l’époque travaillait déjà en intelligence avec un certain Meerafeld Söhne, acheteur de tabac de la SCT,pour la création d’une autre société dénommée Setac, ayant vocation à faire concurrence à la SCT.