Qu’on ne s’y trompe. La trêve observée dans l’interpellation de voleurs en col blanc coupables de malversations financières a certainement fait croire que la lutte contre la corruption, l’enrichissement illicite et les détournements de deniers publics était à bout de souffle. Que non ! La bataille contre les atteintes à la fortune publique n’a jamais quitté le discours présidentiel. La preuve en a été donnée encore au soir du 31 décembre dernier, lors de la traditionnelle adresse du président de la République à la Nation. D’un ton martial, Paul Biya donne des insomnies à ceux de ses compatriotes qui ont développé une addiction aux pratiques qui privent le Trésor Public d’importantes recettes financières. «L’an dernier, dans des circonstances similaires, je vous avais fait part de mon souci de renforcer la gouvernance dans la gestion des affaires publiques et de maîtriser les dépenses de l’Etat. Je peux vous assurer que ce souci demeure constant et intangible. Aussi, je tiens une fois encore à rappeler que tous ceux qui s’enrichissent illicitement en spoliant l’Etat, à quelque niveau que ce soit, vont rendre des comptes», a-t-il clairement indiqué.
Il ne fait l’ombre d’aucun doute que cette mise en garde du président de la République intervient au moment où l’on observe une sorte de recrudescence, voire une multiplication des actes et pratiques de corruption. Malgré les actions vigoureuses déployées pour freiner l’avancée de cette gangrène sociale, serviteurs de l’Etat et opérateurs économiques véreux semblent muter et sophistiquer leur mode opératoire pour délester l’Etat de ses ressources vitales pourtant destinées à apporter des solutions adéquates aux attentes des populations liées aux services sociaux de base, au financement de l’économie, à améliorer le cadre de vie des Camerounais. Certains esprits retors ont même tendance à banaliser les faits de corruption ou à hypostasier ceux qui font bombance avec les biens publics. En témoignent les chiffres sans ambages du dernier rapport de la Commission nationale anti corruption (CONAC) sur l’état de la corruption au Cameroun. L’Etat du Cameroun a perdu, apprend-on, 43,947 milliards de F CFA pour des affaires de corruption et des infractions assimilées au terme des enquêtes menées au cours de l’année de référence. Une hausse de plus de 26 milliards de F CFA par rapport à l’exercice précédent.
Ce préjudice peut même être plus important d’autant que plusieurs structures étatiques et privées échappent encore au contrôle des surveillants de la fortune publique. Le rançonnement des usagers dans les administrations, l’établissement de faux titres fonciers, le monnayage de places aux concours d’entrée dans certaines grandes écoles, la vente illicite de médicaments dans certaines formations sanitaires, le détournement de fonds de certaines associations de parents d’élèves, les conflits d’intérêts dans certains marchés publics, le rackets des usagers sur la voie publique, etc., sont autant de pratiques développées par des agents publics pour délester l’Etat d’importantes ressources. Le sermon du Chef de l’Etat intervient au moment où la polémique sur la gestion des fonds destinés à la lutte contre la maladie à coronavirus et ceux affectés à la réalisation des infrastructures de la Coupe d’Afrique des Nations TotalEnergies 2021 organisée par le Cameroun, ne s’est pas encore estompée et c’est le président de la République himself qui a instruit les enquêtes afin de clarifier la gestion de ces importantes ressources mobilisées par le gouvernement.
Le rapport d’audit du Fonds spécial de solidarité nationale pour la lutte contre le coronavirus et ses répercutions économiques et sociales de la Chambre des comptes, publié le 16 novembre 2021, est assez illustratif sur le préjudice subi par le Trésor Public à travers les surfacturations, les conflits d’intérêts, les détournements, le favoritisme, et les nombreuses entorses à la réglementation. Deux autres cas de détournements présumés de fonds publics à très grande échelle défraient actuellement la chronique : la construction du complexe sportif d’Olembe et la gestion calamiteuse des lignes 65 et 94 logées au Minepat. Visiblement remonté contre la persistance de ce fléau et la résilience de ces comportements qui ternissent l’image du pays tout en obérant les efforts communs de développement, Paul Biya a, une fois de plus, sonné l’alerte.
De son message à la Nation au soir du 31 décembre dernier, on en retient principalement que la lutte montera d’un cran contre la corruption. Bien plus qu’une mise en garde, cette annonce présidentielle avait clairement des allures de menaces. Paul Biya a redit, et ce à un an d’intervalle et dans des circonstances similaires, que des jours sombres s’annonçaient pour des gestionnaires indélicats, que ceux qui s’enrichissent illicitement en spoliant l’Etat vont rendre compte, dénonçant la persistance de la corruption et de ses effets néfastes sur l’économie et l’ensemble de la société. Cette annonce doit avoir fait perdre le sommeil à plusieurs hauts fonctionnaires, directeurs généraux, gestionnaires de fonds publics et autres ministres. D’autant que le probable retour de l’Opération épervier, du nom de cette campagne mains propres qui a déjà vu l’emprisonnement de plusieurs voleurs en col blanc, fait trembler dans les sphères de la haute administration.