Pourquoi ? Pour la simple raison que le Qatar joue un rôle unique en tant que principal médiateur entre Israël et son ennemi juré, le Hamas.
Le président américain, Joe Biden, et le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, ont tous les deux remercié le Qatar et son émir pour le rôle qu'ils ont joué dans la négociation de la libération des quatre otages. Mercredi, le conseiller à la Sécurité nationale d'Israël a lui aussi adressé ses remerciements.
Le Qatar est convaincu qu'avec du temps, de la patience et de la persuasion, il sera en mesure de négocier la libération de dizaines d'autres otages dans les prochains jours, même si toute incursion terrestre israélienne dans le territoire palestinien de Gaza rendrait la tâche beaucoup plus difficile.
On s'attend à ce que le Hamas cherche à retenir les militaires israéliens qu'il a enlevés dans l'espoir de les échanger contre des Palestiniens détenus dans les prisons d'Israël.
Mais cela comporte également de graves risques pour le Qatar.
Alors que les détails macabres de l'attaque du Hamas contre Israël sont apparus, certains se demandent pourquoi cet allié occidental au Moyen-Orient, qui accueille une base militaire américaine, offre un espace à l'aile politique d'une organisation interdite parce qu'étant jugé terroriste par le Royaume-Uni, les États-Unis et d'autres pays.
Si les efforts du Qatar s'avèrent largement infructueux à l'avenir, sa position en Occident en sera affectée et des pressions pourraient s'exercer sur lui, pour qu'il ferme ce bureau situé dans son territoire.
Le bureau du Hamas à Doha
Dire que ces négociations avec les otages sont délicates serait un euphémisme.
Israël ne s'est pas encore remis des terribles attaques du Hamas survenues ce jour fatidique du 7 octobre, lorsque des hommes armés ont franchi la barrière frontalière pour pénétrer dans son territoire, tuant quelque 1 400 personnes.
Gaza abrite 2,3 millions de Palestiniens et la branche militaire du Hamas, qui dirige le territoire depuis 2007.
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-"l existe un principe très simple : ne pas tuer d'enfants, ne pas les prendre en otage, ne pas leur lancer des bombes"
Jusqu'où les États-Unis iraient-ils pour défendre Israël ?
La bande de Gaza a été frappée par plus de deux semaines de frappes aériennes israéliennes quasi ininterrompues, qui ont tué plus de 5 000 personnes à ce jour, selon le ministère de la Santé de Gaza, dirigé par le Hamas. Les Nations unies appellent à un cessez-le-feu urgent.
Israël a juré de détruire le Hamas, qui est considéré comme une organisation terroriste par le Royaume-Uni, les États-Unis et d'autres pays. Il n'est donc pas étonnant que les deux parties aient besoin d'un médiateur.
Comment ces négociations d'otages se déroulent-elles ?
Le Qatar accueille la direction politique du Hamas, qui dispose depuis 2012 d'un bureau dans la capitale, Doha, dirigé par son chef Ismail Haniyeh.
Au milieu des gratte-ciel de verre et d'acier étincelants de la Doha moderne, des responsables du Hamas se sont assis avec des diplomates qataris du ministère des Affaires étrangères pour régler la question complexe des libérations d'otages.
On me dit que les médiateurs qataris n'en sont pas à leur premier coup d'essai.
Ils appartiennent à un département gouvernemental spécial qui supervise les relations avec le Hamas à Gaza et qui a permis au Qatar de verser des centaines de millions de dollars par an pour assurer le fonctionnement de l'infrastructure et de l'administration publique de Gaza.
De nombreux fonctionnaires qataris se sont rendus à Gaza et sont bien connus des hauts responsables du Hamas.
Contrairement à ses voisins du Golfe, Bahreïn et les Émirats Arabes Unis, le Qatar n'entretient pas de relations diplomatiques officielles avec Israël, bien qu'il ait accueilli un bureau commercial israélien dans les années 1990.
Il existe toutefois des canaux de communication indirects et, à certains moments clés des discussions sur les otages, les responsables qataris ont pu s'entretenir par téléphone avec leurs interlocuteurs israéliens.
Une tâche complexe
De nombreux facteurs entrent en jeu. Le Hamas semble avoir peu à gagner de la libération de ses otages, mais l'organisation, acronyme arabe du Mouvement de résistance islamique, a déjà été critiquée pour l'enlèvement de femmes et d'enfants. Selon un prince saoudien de haut rang, Turki al-Faisal, cela va à l'encontre des préceptes de l'islam.
Certains analystes pensent que le Hamas veut se débarrasser de ces otages, et peut-être aussi de tous les étrangers, le plus tôt possible. "C'est une mauvaise image pour eux", déclare Justin Crump, du cabinet de conseil stratégique Sibylline.
Il souligne que le fait de cacher à Israël la localisation d'un si grand nombre d'otages, de les nourrir et de les soigner pendant une guerre, doit constituer un défi logistique majeur pour le Hamas.
Peres, une personnalité controversée
Toutefois, les responsables qataris affirment que la libération des otages permet au Hamas de gagner du temps.
Avec tant de familles en Israël et ailleurs, qui cherchent désespérément à obtenir la libération de leurs proches par des moyens pacifiques, la pression monte sur le gouvernement israélien pour qu'il retarde son incursion terrestre dans la bande de Gaza, annoncée depuis longtemps.
Il est largement admis que lorsque celle-ci commencera, les discussions s'arrêteront.
Le défi de la restitution
Ensuite, il y a la mécanique des libérations.
Comme on pouvait s'y attendre, le Hamas les a cachés dans des tunnels souterrains. Les quelques personnes libérées ont été remises au Comité international de la Croix-Rouge.
Mais le déplacement de 50 personnes ou plus, comme nous l'avons mentionné, nécessiterait une pause dans les frappes aériennes presque incessantes. Le Hamas voudrait transformer cette pause en cessez-le-feu.
Mais le gouvernement israélien de Benjamin Netanyahu s'est engagé à poursuivre cette guerre jusqu'à la destruction du Hamas et est donc réticent à accorder un quelconque répit au groupe.
Ce n'est pas la première fois que le Qatar apparaît comme un médiateur utile.
Pendant des années, elle a abrité une ambassade talibane de facto lorsque le groupe militant n'était plus au pouvoir en Afghanistan. Je me souviens avoir fait un reportage à ce sujet en 2013, lorsque les talibans ont exaspéré le gouvernement afghan à Kaboul en hissant leur drapeau blanc à l'intérieur de leur enceinte à Doha.
Bien que les États-Unis et leurs alliés soient en guerre contre les talibans, cela arrangeait Washington d'avoir une porte pour les rencontrer et discuter, ce qui a abouti à l'accord de paix controversé de 2020 qui a conduit au retrait chaotique de l'Occident de Kaboul l'année suivante.
Les habitants de Doha avaient l'habitude de souligner le spectacle extraordinaire de commandants talibans corpulents, à la barbe épaisse, vêtus de leur shalwar kameez, emmenant leurs épouses faire du shopping dans les dernières boutiques de mode occidentale des centres commerciaux climatisés de Doha.
En Irak et en Syrie, les Qataris ont utilisé leurs contacts privilégiés dans le domaine du renseignement pour obtenir la libération de certains otages détenus par l'autoproclamé État islamique (ISIS).
Désamorcer la crise qui règne à Gaza
Plus récemment, cette année, le Qatar a négocié le retour à leurs familles de quatre enfants ukrainiens qui auraient été enlevés par la Russie, à la suite d'une demande ukrainienne pour que le Qatar fasse office de médiateur avec Moscou en leur nom.
Tout cela fait du Qatar un partenaire précieux pour de nombreux pays, dont certains se sont métaphoriquement rapprochés de sa porte pour solliciter son aide, afin de faire sortir leur population de Gaza.
Mais avant même cette crise, le Qatar marchait sur une curieuse corde raide sur le plan diplomatique.
Sa sortie du conflit dépendra en grande partie de sa capacité à désamorcer la situation de crise qui règne à Gaza et à mener à bien ses efforts pour obtenir la libération du plus grand nombre d'otages possible.