Guerre de clan à Etoudi : la fuite d’un décret confidentiel de Paul Biya qui met Ngoh Ngoh dans la tourmente

Ngoh Ngoh est considéré comme le Vice-président

Mon, 17 Oct 2022 Source: L'expression N°112

Pas de transfert de pouvoir de gré à gré entre Biya et Ngoh Ngoh

Un décret présidentiel tenu confidentiel jusqu’alors, met en ébullition le microcosme politique camerounais. Rien de nouveau sous le ciel à la lecture de ce document daté du 5 février 2019. Ainsi donc, le ministre d’Etat secrétaire général de la présidence de la République, qui assiste le président de la République dans l’accomplissement de sa mission, dispose d’une délégation permanente de signature. Sa publication sur les réseaux sociaux, dans un contexte où l’on évoque de plus en plus ouvertement la succession de Paul Biya, y compris dans son camp, n’est pas dénuée d’enjeux politiques, au moment où certains au Cameroun s’empressent déjà à classer Ngoh Ngoh parmi les dauphins pour une éventuelle succession de Paul Biya.

L a formule est désormais connue de tous les Camerounais et fait partie du vocabulaire populaire : les « très hautes instructions du président de la République ». La raison ? L’expression est contenue dans les correspondances officielles par lesquelles le ministre d’État, secrétaire général de la présidence de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh, transmet directement aux ministres, les directives attribuées à Paul Biya, pour le traitement de certains dossiers de la République. Ces documents, souvent réputés confidentiels, sont autant l’objet de fuites sur les réseaux sociaux que d’analyses des conflits politiques au sein du système. Nombreux sont ceux qui évoquent et convoquent le décret présidentiel du 5 février 2009, accordant délégation permanente de signature au secrétaire général au nom du chef de l’État, pour tenter d’expliquer l’utilisation des « très hautes instructions » depuis quelques mois déjà. Ce type de texte présidentiel n’est pas inédit. Sa publication sur les réseaux sociaux, dans un contexte où l’on évoque de plus en plus ouvertement la succession de Paul Biya, y compris dans son camp, n’est pas dénuée d’enjeux politiques. La découverte d’un décret présidentiel qui donne pouvoir de signature au secrétaire général de la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh, a dans tous les cas rouvert le débat sur la capacité réelle du chef de l’Etat à gouverner. Le politologue Joseph Keutcheu trouve une explication. « De fait, la délégation de signature dont bénéficie le SGPR est un capital, une puissance, une réserve de force qui vaut son pesant d’or dans le marché de la succession au Cameroun. Le pouvoir quasi monopolistique qu’elle octroie à son détenteur ne peut qu’inquiéter les autres agents dudit marché. Conscient de ce pouvoir, le SGPR en joue parfois à temps et à contre-temps. Via la répercussion des «hautes instructions» du PR, il s’insinue régulièrement dans la fabrique des politiques publiques. Ne nous y trompons pas, ce qui est le plus souvent en jeu, audelà des politiques publiques concernées, c’est la monstration et la démonstration du talent de l’agent, c’est la mise en scène de la capacité du ministre-compétiteur à tenir un rôle politique plus grand, celui d’homme d’État ». Pour l’universitaire Viviane Ondoua Biwolé, experte en questions de gouvernance, « l’instruction est un outil de gestion utilisé par un chef hiérarchique dans ses fonctions d’autorité vis-à-vis de ses collaborateurs. En ce qui concerne le ministre d’État, secrétaire général à la présidence de la République (SGPR), il ne peut donner des instructions qu’à ses collaborateurs du secrétariat général et, par délégation, aux membres du gouvernement dont la structure est rattachée à la présidence de la République (Contrôle supérieur de l’État, Défense, Marchés publics, entre autres). Pour les autres ministres placés directement sous l’autorité du Premier ministre, l’orthodoxie voudrait qu’il demande au secrétaire général des services du Premier ministre (son homologue) de transmettre au Premier ministre (qui n’est pas sous son autorité hiérarchique) les instructions du président de la République (en application d’une délégation) à relayer aux ministres ».

Un pouvoir déjà utilisé dans le passé

Les mémoires d’un ancien secrétaire général de la présidence de la République permettent de saisir davantage la délégation de signature. Dans « Le Secrétaire général de la présidence de la République au Cameroun. Entre mythes, textes et réalités», Jean Marie Atangana Mebara, explique qu’en tant qu’«assistant», «il reçoit, du président de la République, une délégation permanente de signature de certains actes administratifs, qui n’est pas une délégation de pouvoirs. Pour une délégation de pouvoirs, il faut un acte spécial, ‘expressément pris’.» Concrètement, il s’agit «de signer certains actes administratifs, comme de signer les actes d’intégration ou de nomination de certains personnels de la sûreté nationale, ou de signer des courriers en son nom». A contrario, l’ancien membre du gouvernement se souvient que le président de la République lui avait suggéré de lui déléguer ses pouvoirs. Il relate cet épisode : «je crois en 2003, quelques jours avant un voyage à l’étranger, le président m’a instruit de préparer un projet de décret m’accordant une délégation spéciale de pouvoirs. Il m’a alors révélé que le président Ahidjo lui en délivrait toujours avant tout déplacement à l’étranger, particulièrement quand il allait passer son check-up médical. Il m’a indiqué que je devrais trouver dans les archives de la présidence, un de ces textes et m’en inspirer». Et l’ancien Sgpr (aujourd’hui emprisonné) de révéler : «non seulement je n’ai effectué aucune recherche, mais j’avoue que je ne comprenais pas le sens de cette instruction». Pour Jean Marie Atangana Mebara, le président Paul Biya «voulait peut-être tester sur un appétit du pouvoir».

Prérogatives clarifiées

D’après le décret n°2011/408 du 09 décembre 2011 portant organisation du Gouvernement, le SG/PR est dirigé par un secrétaire général (SG) assisté par 02 SG adjoints. Le Sg assiste le président de la République dans l’accomplissement de sa mission. A cet effet, il reçoit du président de la République toutes directives relatives à la définition de la politique de la Nation; suit l’exécution des décisions prises par le PR ; coordonne l’action des Administrations rattachées à la Présidence ainsi que précisées aux articles 5 et 37 du décret suscité ; instruit les dossiers que lui confie le président de la République et suit l’exécution des instructions données. Dans le même temps, il assure la mise en forme, en liaison avec le SG des Services du Premier ministre ou des ministres concernés, des projets de loi à soumettre à l’Assemblée nationale et au Sénat ; … veille à la réalisation des programmes d’action approuvés par le président de la République et impartis aux chefs de départements ministériels et aux Services relevant de la Présidence ; prépare les conseils ministériels, en liaison avec le Sg des Services du Pm, les conseils restreints, les conseils et commissions présidés par le président de la République ; assure l’enregistrement des actes réglementaires signés et des lois promulguées par le PR, ainsi que leur publication au Journal Officiel ; assure la tenue et la conservation des archives législatives et réglementaires ; exerce le rôle de conseil juridique de la présidence de la République et des Administrations rattachées.

Source: L'expression N°112