Incendie au Parlement: l'expert sécurité incendie Nyounai Nyounai accuse

Nyounai Nyounai, Expert En Aéronautique Le nombre d’équipements de lutte est fonction des dimensions du bâtiment - Nyounai Nyounai

Mon, 20 Nov 2017 Source: cameroon-info.net

Nyounai Nyounai est un expert en aéronautique, ingénieur qualiticien et ancien enseignant à l’Ecole régionale de la sécurité incendie. Sollicité par Cameroon-info.net, il a bien voulu commenter le grave incendie qui a ravagé dans la nuit du 16 au 17 novembre 2017, une bonne partie de l’immeuble siège de l’Assemblée nationale à Yaoundé. Dans la foulée, Nyounai Nyounai fait une analyse critique qui amène à comprendre que le Cameroun vit dans un danger permanent en ce conserve les risques graves d’incendie.

1) Vous êtes un Expert en aéronautique, Ingénieur qualiticien, ancien Enseignant à l’Ecole Régionale de la Sécurité Incendie (ERSI) et surtout observateur très averti de l’actualité camerounaise. Quel commentaire vous inspire l’incendie déclaré dans la nuit de jeudi à vendredi dernier à l’Assemblée Nationale ?

L’incendie du grand bâtiment de l’Assemblée Nationale du Cameroun me rappelle trois éternels problématiques qui se posent depuis des lustres au Cameroun :

1- La non prévision du budget d’entretien ou le détournement des fonds alloués à la maintenance des infrastructures et des équipements à tous les niveaux au Cameroun.

2- La mise entre les mains des non-professionnels et très souvent des non techniciens des structures de maintenance et de leur budget.

3- La réalisation des infrastructures et l’achat des équipements par des administrateurs ou des techniciens incompétents et corrompus.

Quelques exemples :

- Dans la conception et la réalisation des bâtiments de l’Assemblée Nationale du Cameroun, les matériaux utilisés sur la façade principale sont inflammables.

- Le bâtiment est construit hors normes, sans installation interne de protection contre l’incendie et sans détection de fumée.

- Les extincteurs sont soient obsolètes soient absents de leur emplacement.

- Une absence remarquée des extincteurs sphériques généralement placés aux abords du bâtiment.

Quelques questions :

- Le système électrique était-il entretenu ?

- Y avait-il de l’eau à l’Assemblée Nationale

- Le responsable de la maintenance était-il un Ingénieur compétent ?

- Y avait-il un programme de maintenance des infrastructures et des équipements ?

- Qu’est-ce que le budget de maintenance a réalisé ces 10 dernières années ?

2) Sur le lieu du sinistre, un pompier a déclaré au micro des journalistes que, je cite « Dans un premier temps, la configuration du Bâtiment a facilité la propagation des flammes parce que les éléments de façade de l’immeuble étaient facilement inflammables. C’est la cause de la propagation rapide des flammes du 4e au 7e niveaux. Dans un second temps, l’incendie a été aggravé par le manque d’un point d’eau à proximité. Nous avons une bouche d’incendie ici mais elle n’a pas d’eau. Nous étions obligés de faire des kilomètres pour aller nous ravitailler en eau » fin de citation. Le pompier raconte une réalité. Mais ce sont des révélations graves non ?

Ces pompiers (néanmoins à féliciter) ont peur de dire la vérité chaque fois qu’il y a un incendie.

Bien sûr les matériaux de la façade principale et même de tous les bâtiments de l’Assemblée Nationale devraient être ininflammables, si nous suivions les normes relatives aux bâtiments recevant du public.

Si nous suivions les mêmes normes, les bâtiments de la dimension de ceux de l’Assemblée Nationale devraient avoir une installation de détection de fumée qui alerterait les responsables dès l’entame de l’incendie et une installation de protection contre incendie qui pourrait être déclenchée et pourrait pulvériser de l’eau dans toutes les pièces du bâtiment. Tout bâtiment recevant du public qui n’a pas ces deux installations est HORS NORMES.

Comment peut-on accuser la bouche d’incendie de l’Assemblée Nationale de ne pas avoir de l’eau alors que toutes les bouches d’incendie sont reliées directement au réseau d’eau de la ville ? Il faut tout simplement affirmer que la zone de ville où est située l’Assemblée Nationale n’avait pas d’eau.

C’est parce que les pompiers peuvent ne pas trouver de l’eau tout de suite sur le site, il est recommandé d’avoir un stock d’eau dans les camions qui permette d’entamer la lutte contre l’incendie aussitôt. Le nombre d’équipements de lutte est fonction des dimensions du bâtiment (hauteur et volume). Dans le cas de l’Assemblée Nationale il fallait au moins un camion-échelle d’une portée minimum de 40 m, 3 à 4 camions de 11000 litres d’eau ou de produit d’extinction. Or nous n’avons vu que les camionnettes rouges de moins de 5000 litres qui ne sont appropriés aujourd’hui que pour les cases. Heureusement que nous avons vu les camions jaunes arrivés avec un important stock de produit d’extinction. Mais ... shut … il ne faut pas en parler.

3) Dans une autre interview diffusée ce samedi sur l’antenne de la Radio d’Etat, Hilarion ETONG, Vice-président à l’Assemblée Nationale, a rendu hommage aux pompiers qui se sont investis à fond pour éteindre l’incendie. Mais, il avoue que les pompiers ont été à un moment, impuissants devant la propagation des flammes à cause du manque d’un point d’eau proche du lieu du sinistre. N’est-ce pas c’est la preuve qu’en matière de prévention et de gestion des catastrophes, le Cameroun est mal loti, pour ne pas dire qu’il est en danger ?

Quels sont les pompiers qu’il a félicités ? Ceux des camionnettes rouges ou ceux des camions jaunes ?

C’était normal que les pompiers de la ville en rouge, rencontrent des difficultés, sans eau et avec des camionnettes de 5000 litres. Le système de réapprovisionnement en eau à la bouche d’incendie est aussi obsolète, il met plus de temps que ne l’exige les normes de sécurité. Dire que le Cameroun est en danger c’est une vérité de La Palice lorsqu’on est permanemment hors des normes règlementaires, il faut tout simplement rechercher le niveau de dangerosité. Heureusement que Dieu a abandonné les autres et est venu s’installer à 90% sur notre territoire.

4) Et pourtant, lors de la célébration du 20 Mai, par exemple, on voit pendant le passage du corps national des Sapeurs-pompiers un déploiement impressionnant du matériel et équipements qui laissent croire qu’ils sont prêts à parer à toute éventualité…

C’est de la pipette, ces camionnettes rouges sorties le 20 Mai avec des pneus badigeonnés de chaux.

Le matériel adéquat de lutte contre incendie d’une ville comme Yaoundé se mesure à partir des dimensions (hauteur et volume) du plus grand immeuble (ex : l’immeuble Shell de 15 étages) et de sa proximité à un relief particulier (eaux, montagnes). Les pompiers de Yaoundé devraient donc posséder comme matériel, au moins, un camion-échelle d’une portée minimum de 64 m et 5 camions d’une contenance de 11000 litres chacun et ayant une lance de 80 m.

5) Vous qui connaissez très bien les édifices et les institutions de cette République, est ce que les mesures de protection contre incendie y existent ?

Il ne faut pas être sorti de Polytechnique pour constater que nos bâtiments recevant du public ne respectent aucune norme de protection contre incendie :

- Il n’y a pas d’installations internes de protection contre l’incendie ni de détection de fumée. Lorsqu’elles existent, soient qu’elles ne fonctionnent pas pour manque d’entretien ou de détournement du budget de maintenance soient qu’elles manquent d’eau.

- il n’y a aucune accessibilité pour les personnes handicapées. Si elles se retrouvent à l’intérieur de nos bâtiments publics, elles y sont prisonnières.

6) Pour terminer, un conseil à donner

Les Etablissements recevant du public (ERP) comme les bâtiments de l’Assemblée Nationale, sont soumis au moment de leur construction et au cours de leur exploitation, à 2 types d’obligations :

- Des obligations relatives à la sécurité

•Les constructeurs, propriétaires et exploitants de ces ERP doivent respecter les mesures de prévention et de sauvegarde propres à assurer la sécurité des personnes et des biens

- Des obligations d’accessibilité à l’établissement

•L’accès aux personnes handicapées et à mobilité réduite doit être facilité.

Il convient donc de :

- vérifier que les locaux sont bien compatibles avec l’activité envisagée,

- évaluer le coût des travaux d’adaptation qui seront rendus nécessaires pour satisfaire aux obligations sécuritaires et d’accessibilité (budget de maintenance).

Pour ces ERP il faut en permanence :

- les examiner sous l’angle ‘’accessibilité’’

- les examiner également sous l’angle ‘’sécurité incendie’’ pour les 1ère à la 4ème catégories et la 5ème catégorie, avec locaux de sommeil (compétences des responsables).

Source: cameroon-info.net