Insécurité générale : voici le plus gros échec de Paul Biya en 40 ans de règne

Image illustrative

Tue, 25 Jul 2023 Source: www.camerounweb.com

Dans son ouvrage intitulé "AU CAMEROUN DE PAUL BIYA", Fanny Pigeaud aborde le thème de l'insécurité généralisée qui règne dans le pays, tant en milieu urbain que rural. Des "coupeurs de route" sévissent dans le nord, l'ouest et l'est du pays, détroussant et parfois tuant les voyageurs. Les braquages à main armée de domiciles, restaurants, établissements bancaires et agressions dans les taxis sont devenus courants dans la plupart des villes. Les journaux rapportent quotidiennement de nombreuses atrocités.

L'auteure souligne que même les étrangers résidant au Cameroun ne sont pas épargnés par ces violences. Des universitaires français, des diplomates marocains et des ressortissants chinois ont été victimes d'attaques meurtrières.

Les actes de banditisme peuvent également être spectaculaires, comme l'attaque de plusieurs établissements bancaires par une quarantaine d'hommes armés à Limbé, qui ont réussi à tenir la ville pendant plusieurs heures malgré la proximité d'une importante base militaire. Les enlèvements et assassinats en mer, perpétrés par des groupes mafieux, sont devenus fréquents au large de la péninsule de Bakassi.

L'indifférence générale face à ces violences est préoccupante. Les citoyens semblent être devenus insensibles aux actes de violence, y compris ceux commis par les dirigeants. L'esprit civique et les liens de solidarité se sont affaiblis, et l'irresponsabilité générale prévaut. Le non-respect des lois et des règles sociales, en particulier sur les routes, est courant. Les comportements inciviques se multiplient, souvent encouragés par l'exemple des dirigeants.

Fanny Pigeaud souligne qu'une des conséquences de cette insécurité et de cette indifférence est la méfiance envers les autorités et le système. Les Camerounais se plaignent des pratiques de l'élite dirigeante, mais peu sont prêts à modifier leurs propres comportements. Cette situation complexe a transformé la grande majorité des Camerounais en victimes et acteurs du système en place, rendant difficile toute perspective de changement en profondeur.

L'ouvrage dépeint un tableau sombre de l'insécurité qui prévaut dans le Cameroun sous la présidence de Paul Biya, illustrant les défis majeurs auxquels la société camerounaise est confrontée et qui semblent entraver tout espoir de transformation positive.

Une insécurité générale

Logiquement, l’insécurité est devenue générale dans les villes comme dans les campagnes. Que ce soit dans le nord, l’ouest ou l’est du pays, des « coupeurs de route » sévissent régulièrement et détroussent les voyageurs quand ils ne les tuent pas. Dans la plupart des villes, les braquages à main armée de domiciles, de restaurants, d’établissements bancaires et parfois d’hôtels ainsi que les agressions dans les taxis sont devenus courants. Chaque jour, les journaux se font l’écho de nombreuses atrocités. En août 2008, des « malfrats armés de pistolets automatiques, de gourdins, de machettes et “talkie-walkie” » ont attendu le retour d’un habitant d’un quartier périphérique de la capitale pour le surprendre à son domicile, a par exemple rapporté le quotidien Le Jour. « Ils ont violé sa fille de dix¬neuf ans, sodomisé celle de quatorze ans avant de s’introduire chez son locataire et voisin, puis de prendre la clef des champs avec le butin constitué de portables, d’objets de valeur et d’une somme d’argent », racontait le journal. En février 2011, un haut magistrat a été abattu chez lui à Yaoundé par quatre personnes armées devant sa femme et ses enfants.

Le mois suivant, une autre personne a été tuée dans un hôtel de la capitale lors d’un braquage par des hommes encagoulés et armés de fusils automatiques. Selon le récit du journal Mutations, les agresseurs ont d’abord maitrisé réceptionniste et veilleurs de nuit, puis se sont dirigés vers les chambres de l’hôtel, ont fracassé les portes et dévalisé leurs occupants. « Un des ceux-ci qui a tenté une résistance a été froidement abattu. Les bandits sont repartis impunément, emportant leur butin (...). Un client hardi avait tenté d’alerter les secours qui répondent (théoriquement) aux numéros d’appel 117 et 118 pour la police et pour la gendarmerie. Les deux corps se sont rejetés réciproquement la responsabilité de l’intervention, quand ils n’évoquaient le manque de logistique ou la méconnaissance des lieux du drame. » Les étrangers qui vivent dans le pays ne sont pas à l’abri de ces agressions violentes. En janvier 2007, une universitaire française, qui travaillait pour l’Institut de recherches sur le développement (IRD) de Yaoundé, a été tuée d’un coup de fusil par de présumés cambrioleurs.

Fin septembre de la même année, un diplomate marocain est décédé après avoir été roué de coups dans un quartier résidentiel de la capitale. La semaine suivante, une ressortissante chinoise a été poignardée à mort près de son domicile après avoir été dévalisée par des inconnus. Aucun de ces crimes n’a été officiellement résolu. Les actes de banditisme sont parfois spectaculaires. En septembre 2008, une quarantaine d’hommes équipés d’armes de guerre et d’explosifs sont venus par la mer pour attaquer de nuit plusieurs établissements bancaires de la ville côtière de Limbé (sud-ouest). Ils ont réussi à tenir la ville pendant plusieurs heures, malgré la présence proche d’une importante base de commandement militaire. Tuant une personne au passage, ils sont repartis comme ils étaient venus. Depuis 2007, les attaques de chalutiers, les enlèvements et assassinats perpétrés par des petits groupes mafieux se multiplient aussi au large de la péninsule de Bakassi. En juin 2008, un sous-préfet et six militaires y ont été tués. Fin octobre de la même année, dix personnes, dont six Français, membres de l’équipage d’un bateau travaillant dans le secteur pétrolier, ont été enlevées par un petit groupe armé alors quasi inconnu, les Bakassi Freedom Fighters (BFF). Ils ont été libérés dix jours plus tard contre une rançon. En 2010, un nouveau gang, l’Africa Marine Commando (AMC), a à son tour pris en otage sept marins chinois sur deux bateaux de pêche au large de Bakassi, puis six autres personnes lors d’une attaque contre trois navires amarrés au large de Douala. La même année, il a attaqué une plate-forme pétrolière au large de Bakassi, causant la mort de six personnes, dont trois éléments du BIR. En février 2011, l’AMC a de nouveau fait parler de lui en kidnappant une douzaine de personnes, dont le sous-préfet d’Akwa, une localité de Bakassi, avant de les libérer dix jours plus tard contre rançon. Les victimes de ces violences subissent leur sort dans l’indifférence générale : tout comme les dirigeants, la plupart des citoyens sont devenus insensibles. La mort, en novembre 2007, d’un jeune homme, abattu par un membre de la Garde présidentielle alors qu’il tentait de traverser une rue un peu trop tôt après le passage d’un cortège de l’épouse du président, n’a ainsi suscité aucun émoi. En février 2011, les passants ont également regardé comme s’ils étaient au spectacle les forces de sécurité réprimer des militants de l’opposition qui tentaient de manifester à Douala.

Abîmés par la pauvreté, la corruption et la cupidité, les liens de solidarité sont de manière générale devenus très lâches. L’esprit civique est aussi mal en point: beaucoup de Camerounais des grandes villes ont pris le parti de se comporter comme leurs dirigeants, c’est-à-dire sans se préoccuper de suivre d’éventuelles règles de vie en société et les lois en général. « Parfois je me demande moi-même si je suis obligé d’obéir aux lois de ce pays, quand on sait que les députés qui les votent n’ont pas gagné les élections... Qui représentent-ils ? », commentait le cardinal Christian Tumi en 2007 pour expliquer le comportement incivique, et par conséquent individualiste, de beaucoup. Le non-respect des usages et des autres s’observe en particulier sur la route : rares sont les automobilistes qui sont prêts à reculer pour laisser passer une autre voiture, même si cela permet d’éviter qu’un bouchon ne se forme et de rouler plus vite ensuite. Respectant la loi du plus fort imposé par le régime, la plupart préfèrent forcer le passage, sans un regard pour les autres, quitte à provoquer le plus grand embouteillage de la ville, à la manière de Biya qui fait bloquer pendant plusieurs heures toute la ville de Yaoundé à chacune de ses sorties. De même, sont nombreux les bars, les Églises ou les enseignes commerciales qui ne trouvent aucun inconvénient à avoir des enceintes qui crachent de la musique à pleins tubes, parfois jusque très tard dans la nuit. Quant aux files d’attente dans les commerces, elles sont rarement respectées: beaucoup tentent de passer devant les autres, en jouant au besoin du coude. Un passager d’un bus qui s’inquiète auprès du chauffeur de sa conduite dangereuse est lui aussitôt rabroué : « Va donc t’acheter une voiture et conduis toimême », répond le conducteur, « Laisse-le chauffeur faire comme il veut », disent avec vigueur et mépris les autres voyageurs, ajoutant: « Si on doit mourir, on mourra ».

La société camerounaise, sans plus de repères, multiplie ainsi les incongruités et semble souvent marcher sur la tête. L’irresponsabilité générale a de graves conséquences comme l’a montré l’affaire rocambolesque qui a coûté la vie à un militaire de la marine nationale en juillet 2006, au large de Douala. À l’origine de ce drame : sept fûts remplis chacun de 800 litres de chlore dont un industriel de Douala cherchait à se débarasser. Pour 240 000 FCFA (environ 366 euros), des sapeurs-pompiers ont accepté de se charger de leur « neutralisation » : en fait de neutralisation, ils sont juste allés les déposer à l’entrée de Nkapa, un village situé à quelques kilomètres de Douala. Mais les habitants de la localité se sont rapidement rendu compte de leur nocivité : des émanations toxiques s’échappaient des bidons, en état de corrosion avancée, détruisant la végétation sur un rayon de 15 mètres. Sous la pression de Nkapa, relayée par la presse, le gouvernement a mis en place au bout de plusieurs mois un comité technique réunissant le ministère de la Santé et de l’Environnement et de la Protection de la nature (Minep) pour étudier le problème. Consultée, une société spécialisée dans le traitement des déchets industriels a recommandé la destruction sur place les bidons, le transport du chlore étant une opération dangereuse. Une autre solution a cependant été choisie, vraisemblablement parce qu’elle était moins coûteuse : les autorités ont chargé la marine nationale de verser le chlore au large de Douala, sans tenir compte des conventions internationales signées par le Cameroun sur la prévention de la pollution des eaux de mer. Sur le bateau, au moins un des fûts a explosé, tuant un militaire et en blessant au moins une dizaine d’autres. Dans les jours qui ont suivi, la presse privée a tiré à boulets rouges sur le ministre du Minep, Pierre Helé. « La décision saugrenue des autorités de déverser le chlore de Nkapa en haute mer démontre la négligence avec laquelle certains responsables s’acquittent de leurs tâches, a écrit le quotidien La Nouvelle Expression. Sous d’autres cieux, Pierre Helé et les siens auraient non seulement rendu immédiatement leur tablier, mais auraient fait l’objet d’enquêtes judiciaires pour dégager les responsabilités des uns et des autres. (...) On se demande si ceux qui ont pris cette décision se préoccupent un tant soit peu du bien-être des Camerounais. » « Le Cameroun semble échapper à toute catégorie de l’entendement. Ce qui arrive à ce pays relève de “l’inimaginable”, de “l’incroyable” et de “l’impossible”. Tout se passe, en définitive, comme si, sous le règne de M. Paul Biya, le Cameroun tout entier avait basculé dans le “hors-norme”, la “déraison” ou la “folie” », s’alarmait en 1998 le théologien et sociologue Jean-Marc Éla . Mais le fonctionnement des Camerounais est devenu tel que, même s’ils se plaignent des pratiques imposées par l’élite dirigeante, peu d’entre eux sont en réalité prêts à modifier les leurs. « Les Camerounais, avons-nous remarqué dans leurs conversations quotidiennes dans les taxis et les lieux publics, aspirent tous au changement de la morale publique dans le pays. Malheureusement, personne n’est prêt à se débarrasser de ses mauvais penchants pour qu’advienne un Cameroun de justice, de fraternité, d’épanouissement des citoyens », soulignait en 2008 l’hebdomadaire catholique L’Effort camerounais

. Le professeur Éboussi Boulaga a fait le même diagnostic en 2007 : « Notre modèle est le chauffeur de taxi qui n’aimerait pas se trouver devant des policiers devenus subitement intègres. Il lui faudrait avoir une voiture en bon état continuellement, avoir ses papiers en règle, etc. Tout celui lui paraît plus insupportable que d’avoir à glisser quotidiennement quelques billets de 500 francs à ceux qu’il traite de tous les noms ». Le régime Biya a ainsi fait de la grande majorité des Camerounais des victimes de son système mais aussi des acteurs. C’est sans doute l’une de ses plus grandes réussites. Car comment envisager et lutter pour un quelconque changement quand on est devenu à la fois victime et coupable ?

Source: www.camerounweb.com