Le chef de l’Etat camerounais aurait accordé une interview au journal Le Quotidien. Dans cette interview longue de plusieurs pages, le chef de l’Etat parle de son bilan depuis son ascension au pouvoir il y a 40 ans.
MONSIEUR LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE, QUELLE VISION AVEZ-VOUS DU CAMEROUN AUJOURD'HUI ?
Merci pour l'opportunité que vous me donnez de m'exprimer ici et maintenant. Je crois que le moment s'y prête. Comme j'ai eu à le dire à diverses occasions, notre pays, plus qu'un autre en Afrique, se révèle être une terre de la multiplicité et de la diversité socio-historique, le lieu de rendez-vous d'une variété insoupçonnable de forces centrifuges et antagonistes, d'une infinité de communautés sectaires, voire hostiles, campant face à face en une sorte de veillée d'armes permanente où l'évidence des particularismes ethnico-géographiques est par trop frappante...En conséquence, j'entends encourager l'émergence rapide de toutes les possibilités de solidarité inter-ethnique qui doivent conduire au dépérissement progressif des sectarismes actuels au profit d'espaces sociaux plus intégrés. J'en appelle donc à toutes les forces vives camerounaises, sans discrimination, pour l'avènement heureux de cette société politique que nous voulons plus ouverte, plus tolérante et plus démocratique. Je suis convaincu de ce que la construction du Cameroun moderne exige non seulement la participation active de tous les enfants de mon pays, mais encore et surtout une nouvelle organisation de la vie commune qui repose sur le débat permanent dans la libre confrontation des idées.
RENDU A CETTE ETAPE DECISIVE DE VOTRE PARCOURS, PENSEZVOUS AVOIR ATTEINT CE NOBLE OBJECTIF ?
C'est à vous les journalistes d'en juger. En matière de liberté de la presse, nous regardons avec sympathie, le regain de dynamisme de la presse privée dont les titres, nombreux et variés, sont venus sous le signe de la libéralisation, compléter les efforts de la presse officielle. Il faut alors espérer que, dans ce pluralisme bénéfique des organes de presse, les professionnels de l'information sauront user de la liberté d'entreprise et d'expression ainsi retrouvée, avec le sens aigu de leurs responsabilités, et l'exercer au mieux, pour contribuer à l'émancipation et à l'épanouissement de l'homme camerounais. L'avènement de la télévision nationale est la traduction concrète, dans sa réalisation, de notre ambition de modernisation. Nous ne doutons pas qu'elle viendra renforcer, de manière encore plus appréciable, les supports de nos idéaux de rigueur et de moralisation. Ma conviction intime, c'est qu'un citoyen bien informé est nécessairement mieux éclairé des réalités de son milieu et de son environnement, plus conscient des grands enjeux du développement national, plus avisé de ses choix, plus responsable dans ses attitudes, et plus apte à assumer ses engagements vis-à-vis de la Nation ; j'entends une information complète, objective et permanente, aiguisant le discernement et favorisant la formation d'un jugement de valeur... En sommes-nous si éloignés ? Quant au rappel des troupes (cerveaux, filles et fils du Cameroun), que j'ai battu, nous pouvons nous réjouir de l'écho favorable qu'il a rencontré. Comptez vous-mêmes le nombre de partis politiques au Parlement, au Gouvernement, et en dehors. Si je ne m'abuse, nous sommes, à ce jour, à plus de 200 partis politiques. Je le répète : il n'est plus nécessaire, pour exprimer ses opinions, de prendre le maquis, de vivre en exil ou de quitter sa famille. Pour finir sur ce point, je voudrais ajouter que nous sommes une démocratie. Nous faisons des efforts pour développer l’économie. Le pays est stable, et nous n’avons pas que des amis. J’invite les Camerounais à redoubler de vigilance pour conserver leur stabilité mentale, leur stabilité politique.
TOUT COMPTE FAIT, QUEL SERAIT LE PLUS BEAU TITRE QU'ON POURRAIT ECRIRE SUR VOUS ? PAUL BIYA...
... Paul BIYA, l'homme qui a apporté à son pays la démocratie et la prospérité. En sous-titre, on pourrait ajouter : plein cap sur l'émergence. C'est au choix (sourire).
QUARANTE ANS A LA TETE D'UN ETAT AUSSI COMPLEXE QUE LE CAMEROUN, SANS DISCONTINUER : QUEL EST LE SECRET DE VOTRE LONGEVITE ?
Liberté est le maître-mot. Les peuples veulent la liberté, et si vous voulez rester au pouvoir, il faut donner la liberté aux gens. Maintenant, le reste, c'est comme partout ailleurs : faire preuve d'efficacité au poste pour continuer de mériter la confiance de ceux qui vous y ont porté. Voyez-vous, en fin de compte, ne reste pas au pouvoir qui veut, mais reste qui peut.
MILLE FOIS ANNONCEES PAR VOS ADVERSAIRES, AUTANT DE FOIS DEMENTIES PAR LES FAITS, VOS OBSEQUES FONT-ELLES PARTIE DE VOS PREOCCUPATIONS QUOTIDIENNES ?
Quand on est tout entier versé dans sa besogne, les yeux rivés sur le guidon, on ne se laisse pas distraire par le paysage ni par les commérages. Je vous retourne la question : vous croyez, vous, au fantôme ? ... Silence total, avant de poursuivre J’ai appris comme tout le monde que j’étais mort. C'est devenu récurrent. Il paraît, en effet, qu’il y en a qui s’intéressent à mes funérailles. Eh bien, dites-leur, comme je l'avais déjà indiqué, si j'ai bonne mémoire, c'était le 09 juin 2004... dites-leur que je leur donne rendez-vous dans une vingtaine d’années. Pour ma part, je souhaite longue vie à tous mes compatriotes. C'est un vœu que je formule chaque fois que j'en ai l'occasion, lors des évènements comme Noël, le Nouvel An, la fête de fin de Ramadan, Pâques, la fête du Sacrifice, etc. Bientôt, je renouvelle les cartons. Le temps s'y prête, me semble-t-il (sourire et un brin de détente). Votre expérience d'homme politique est quasi unique dans le monde.
QUELLE OPINION VOUS FAITES-VOUS DE LA PRATIQUE DES HOMMES ? D'ABORD VOS HOMOLOGUES, CHEFS D'ÉTAT ET AUTRES DIRIGEANTS DU MONDE ?
Il est une règle à laquelle l'on se doit d'être astreint. On ne parle pas des contemporains. Si ce n'est pour dire que j'ai eu la grâce singulière de chevaucher deux siècles, le 20e et le 21e. En homme accompli, et à différentes positions sociales ; soit comme élève ou étudiant, soit comme serviteur de l'État. Au Cameroun et à l'étranger. J'ai eu à croiser, et même à côtoyer des Souverains, des Reines, des Rois, des Chefs d'État et bien d'autres dirigeants de ce monde, hommes et femmes, pratiquement de tous les continents. J'ai lu à ce sujet, il y a peu de temps, un texte, très édifiant, du Ministre de la Communication, Monsieur SADI René Emmanuel, dans un livre qu'un compatriote a bien voulu me consacrer. Le préfacier qui a servi avec honneur et fidélité les deux Présidents du Cameroun, écrit, je le cite de mémoire : "Le Président Paul BIYA a connu ou rencontré la plupart des grandes figures qui ont influencé la marche de la deuxième moitié du 20e et le début du 21e siècle...". C'est un texte-témoin qui traduit assez fidèlement le parcours qui a été le mien. Partout et auprès de tous, j'ai eu à plaider, et je plaide encore, pour la paix et le progrès dans le monde. Dans cet ordre d'idées, l'action internationale du Cameroun recherche une plus grande intensification des échanges équitables entre les peuples ; elle met donc en œuvre toutes ses possibilités d'intervention en vue de l'instauration du nouvel ordre économique et culturel mondial que tous les peuples appellent de tous leurs vœux. Par exemple, j'ai appris avec une profonde tristesse, le 08 septembre 2022, la disparition de Sa Majesté Elizabeth II, Reine du Royaume-Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du Nord. Je m'incline devant la mémoire de cette Illustre Souveraine au destin exceptionnel, dont le Règne a marqué la fin du XXe siècle et le début du XXIe siècle. J'ai une pensée, émue, plutôt pieuse pour tous les autres qui nous ont précédés dans l'audelà. Le monde dans lequel nous vivons est de plus en plus dangereux. Sachons apprendre des événements. Au 17e siècle, on disait qu'on ne triomphe de la nature qu'en lui obéissant. Respectons l'environnement. Luttons contre toutes les formes d'agression sur la planète, notre "maison commune", pour reprendre la belle image du Pape François.
QU'EN EST-IL DE VOS COMPATRIOTES ? A COMMENCER PAR VOTRE ILLUSTRE PREDECESSEUR : QUELLE APPRECIATION ?
J'ai eu l’insigne honneur d’être pendant des années, le collaborateur du Président AHMADOU AHIDJO, Président de la République Unie du Cameroun. Je lui dois un grand et vibrant hommage empreint de déférence et d’admiration. Digne et prestigieux fils de ce pays, il a été le père de la Nation camerounaise, l'artisan de son unité et de son développement. En effet, le Président AHMADOU AHIDJO se sera révélé à nos yeux comme un géant de l’histoire camerounaise, de l’histoire africaine, de l’histoire tout court. À ce titre, sa brillante carrière d’homme d’État demeure, pour tous les Camerounais, un motif de fierté et un exemple d’engagement et de patriotisme. Lorsque j'ai dit cela, j'aime autant rappeler à ceux qui n'ont pas vécu ces événements, que la dynamique nouvelle que nous avons imprimée à l'ensemble de l'activité nationale, si porteuse d'espoirs de changements profonds et durables, s'est heurtée à des comportements anachroniques. Il en est résulté des malentendus que certaines prétentions manifestes ont transformés en conflit d'autorité, entre le Président de la République et le Président National du parti, un conflit, il faut le dire, tout à fait saugrenu sous un régime présidentiel comme le nôtre, et dans notre système de démocratie gouvernante. Heureusement, et il convient de s'en féliciter en République, l'ordre républicain a pris le dessus sur d'autres considérations anticonstitutionnelles. La majorité des Camerounais l'ont tant et si bien compris qu'ils sont restés fidèles au pacte républicain scellé avec le Renouveau National, le projet de société que je leur propose.
QUEL REGARD PORTEZ-VOUS SUR VOS AUTRES COMPATRIOTES QUI ONT EU LE PRIVILEGE DE TRAVAILLER AVEC VOUS, MAIS QUI PEINENT A VOUS AIDER A ETEINDRE L'INCENDIE SEPARATISTE ALLUME DANS LES REGIONS DU NORD-OUEST ET DU SUD-OUEST ?
Je vous ai parlé au début de cet entretien de la complexité du Cameroun. Les deux entités nationales que vous évoquez, en sont l'illustration, du point de vue historique, socio-culturel et linguistique. Ce qui se passe là-bas, au départ, participait des revendications corporatistes légitimes. C'est pourquoi nous avons activé toutes les voies de recours qu'offre la démocratie en République pour dialoguer et apporter des réponses diligentes et appropriées aux revendications légitimes exprimées. Sur cette question, nous avons entendu "des verts et des pas mûrs" comme ça se dit aujourd'hui. Aussi voudrais-je prendre un peu de votre temps pour expliquer, voire expliciter, un certain nombre de choses sur ce que l'on a appelé la question anglophone. Pour expliquer cette crise, il a souvent été évoqué un sentiment de marginalisation qu'éprouveraient les populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Je voudrais à cet égard, redire à nos compatriotes de ces Régions, mais également à ceux des huit autres Régions du Cameroun, que la marginalisation, l'exclusion ou la stigmatisation n'ont jamais inspiré l'action des différents Gouvernements que j'ai formés depuis mon accession à la Magistrature suprême de notre pays. Fidèle à la politique d'équilibre régional que je n'ai cessé de promouvoir, j'ai choisi un Premier Ministre originaire de la Région du SudOuest. Son prédécesseur, qui quant à lui a passé près de dix ans à ce poste clé, était originaire de la Région du Nord-Ouest. De fait, depuis le 09 avril 1992, les Premiers Ministres, Chefs du Gouvernement, ont été choisis parmi les ressortissants de ces deux Régions. Malgré cela, certains continueront à parler de marginalisation des populations de ces Régions.
MONSIEUR LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE, EST-CE UN SENTIMENT DE DECEPTION QUI VOUS HABITE ?
En fait, il y a lieu de reconnaître, au plan général, que la nature humaine est ainsi faite qu'il n'y aura jamais assez de postes de responsabilité pour satisfaire toutes les Régions, tous les Départements, les Arrondissements, les Villes, Villages, Familles et Citoyens de notre pays. Chaque choix continuera de provoquer de la joie lorsque l'on sera distingué, et de la tristesse lorsqu'on ne le sera pas. Il est cependant indispensable que nos mentalités évoluent sur ce point. Les Ministres et autres responsables ne sont pas nommés seulement pour servir leurs Régions, leurs Villages ou leurs Familles, mais l'ensemble de la communauté nationale. Ils doivent être au service de l'intérêt général et non des intérêts particuliers. C'est pourquoi, depuis mon accession au pouvoir, je n'ai cessé et je ne cesserai de mener, avec acharnement, la lutte contre la corruption et les détournements de fonds publics, et de promouvoir la bonne gouvernance. C'est le vœu des Camerounais. Dans leur écrasante majorité, ils veulent plus de pain, et de meilleure qualité, plus de paix, et une paix durable. Car, sans la paix, aucun progrès n'est possible. Le Grand Dialogue National que nous avons organisé, nous a permis d'avancer considérablement sur les chemins de la décentralisation et du développement local. Nous nous en réjouissons. Mais, nous devons aller plus loin. Et cela est bien possible si nous continuons de conjuguer nos efforts. Ensemble.
A BIEN CONSIDERER VOTRE AGENDA, ON A L'IMPRESSION QUE VOUS N'AVEZ PAS BEAUCOUP DE TEMPS A CONSACRER AUX LOISIRS. QUELS SONT VOS HOBBIES, MONSIEUR LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE ?
Détrompez-vous cher journaliste ! A chaque chose son temps. Entre deux impératifs professionnels, même sous le bruit des canons, je trouve toujours le temps de faire le vide autour de moi pour communiquer avec mon Dieu. Prier, adorer, rendre grâce, supplier mon Seigneur et mon Dieu, quelle que soit la situation, tout cela participe de mon quotidien. Croyez-moi, je n'ai pas perdu la bonne vieille habitude de chanter le Te Deum (A Toi Dieu). Un corps sain dans un esprit sain : voilà la sagesse séculaire qui régule mon agenda. Aussi m'est-il arrivé de pratiquer plusieurs disciplines sportives, en fonction de l'âge : le cyclisme qui m'a souvent conduit à pédaler sur les rues de la côte kribienne, et même ici à Yaoundé, la natation, le golfe et surtout la marche. Il semble même que l'on me prête beaucoup d'habileté au jeu de songo'o... J'aime bien les randonnées pédestres dans la nature à l'ombre du couvert végétal. Vous le voyez bien, au Cameroun, il n'y a pas de sport mineur... La lecture des biographies des grands personnages de l'histoire est une autre passion que j'ai conservée. Comme je l'ai confié le 1er avril 2021 à l'un de mes hôtes ici au Palais de l'Unité, et ce n'était pas un poisson d'avril, je viens d'achever la lecture d'un énorme livre de 1000 pages sur Churchill, un grand homme politique britannique. On me dit assez éclectique dans mes goûts musicaux, très classique du fait de mon éducation. Mais, j'écoute bien volontiers les musiques populaires d'ici et d'ailleurs. Mon épouse et moi-même en raffolons de temps à autre. Je mange et j'aime les breuvages de chez-nous : mendim me zon, mets de pistache qui, semble-t-il, possède beaucoup de vertus. J'espère avoir l'occasion de vous inviter à ma table, un jour...(Pétrifié, j'acquiesce mécaniquement de la tête).