Jacques Jonathan Nyemb, Avocat d'affaires camerounais, président du Think & Do Tank The Okwelians, membre du conseil d'administration du Gicam a signé une Tribune dans Jeune Afrique pour évoquer le potentiel agricole du Cameroun.
En réponse à la crise en Ukraine, des mesures ont été annoncées en urgence ces derniers mois afin de contenir la hausse des prix des céréales et de relancer la production de blé du Cameroun. Qui se souvient encore qu’il fut une époque, jusque dans les années 1980, où notre pays était l’un des plus importants producteurs de blé au sud du Sahara, avec une production pouvant atteindre jusqu’à 1 million de tonnes par an ?
Les exemples d’occasions manquées sont légion, mais le cas du secteur agroalimentaire camerounais est flagrant. À date, l’autosuffisance alimentaire du Cameroun reste un rêve lointain, avec une forte dépendance aux importations, une balance commerciale déficitaire et, in fine, une persistance de la vie chère, du sous-emploi et de la pauvreté.
Pourtant, le Cameroun réunit toutes les conditions pour devenir le pionnier mondial d’une industrialisation verte effective et réussie à travers l’agro-industrie. Et, au-delà de la bonne gouvernance, les ingrédients d’une telle recette méritent d’être rappelés.
« Nation branding »
L’ambition économique du Cameroun ne peut d’abord reposer que sur une véritable politique d’attractivité du pays, en vue de promouvoir l’initiative privée. Le Kenya fournit un exemple intéressant de ce qu’il est possible de réaliser grâce une véritable stratégie de « branding » national. Engagé dans une campagne de promotion de son secteur agricole puissante et coordonnée, Nairobi met systématiquement en avant la multitude d’incitations offertes aux investisseurs.
Au Cameroun, l’effort de promotion à l’égard des investisseurs est encore balbutiant. Sur le site internet de l’Agence de promotion des investissements (API), une information parcellaire est fournie quant aux incitations applicables. Les listes d’entreprises référencées comme partenaires potentiels pour d’éventuels investisseurs étrangers, notamment dans le secteur agroalimentaire, sont sommaires.
On comprend aisément pourquoi la valeur ajoutée du secteur agricole au Kenya est passée de 1,5 milliard de dollars (1,41 milliard d’euros) en 1993 à 24,75 milliards de dollars (soit 22,4 % du PIB) en 2021, alors qu’au Cameroun, cette valeur ajoutée n’était que de 8 milliards en 2021, contre 3 milliards de dollars en 1993 (donc deux fois supérieure au Kenya à l’époque…), la part de l’agriculture dans le PIB stagnant autour de 15 % à 17 %.
Il est donc urgent que l’API puisse devenir un véritable guichet unique d’investissement, à l’instar du Rwanda Development Board ou du Singapore Economic Development Board, fusionnant ainsi les outils et les compétences de l’API actuelle, de la SNI [Société nationale d’investissement], du Carpa [Conseil d’appui à la réalisation des contrats de partenariat], du CFCE [Centre des formalités de création des entreprises] et de certains départements ministériels camerounais.
Une stratégie nationale du Made in Cameroon
Nul ne peut nier une volonté politique d’accélérer la transformation économique du Cameroun. La Stratégie nationale de développement 2020-2030 [SND30] insiste par exemple sur la substitution des importations et l’aménagement de facilités pour l’émergence du secteur privé. Et, surtout, les opérateurs privés sont appelés à investir plus de 60 % des ressources prévues.
Toutefois, le pilotage et la coordination stratégiques indispensables pour la réalisation d’une telle ambition manquent encore. En effet, si l’on souhaite promouvoir le Made in Cameroon à travers des champions nationaux, il est indispensable de mettre en œuvre une véritable stratégie d’innovation (promotion de la recherche scientifique), de labellisation (cadre réglementaire complet et lisible au plan local) et de protection des producteurs locaux contre la fraude et la contrefaçon (protection effective des savoirs traditionnels ou encore de la propriété intellectuelle des acteurs locaux, etc.) Une stratégie de diplomatie économique est également nécessaire pour exporter activement dans la sous-région, voire au-delà, avec les perspectives de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf).
Dans un tel contexte, les décideurs publics et privés doivent d’urgence faire du Made in Cameroon le prisme d’évaluation de la SND30. Surtout, il est primordial, dans le cadre de la refonte du Plan directeur d’industrialisation camerounais élaboré en 2016, de mettre en place une vraie stratégie nationale du Made in Cameroon.
Virage vert
Enfin, les mutations géopolitiques, socio-économiques et climatiques actuelles nous imposent non seulement de réindustrialiser nos pays, mais surtout de le faire de manière endogène et durable. Notre premier actif est notre capital naturel. Le bassin du Congo est un actif géopolitique, économique et social qui doit constituer la pierre angulaire de la trajectoire d’industrialisation du Cameroun.
Couvert à plus de 50 % de forêts (soit 10 % des forêts du bassin du Congo), le Cameroun absorbe plus de 25 fois la quantité de CO2 qu’il émet. De plus, selon une note de l’initiative Green Deal de l’Union européenne, l’environnement camerounais propose « une panoplie de possibilités dans l’optimisation de la séquestration de carbone ». Ce potentiel mériterait d’être mis en valeur en y associant les nombreuses opportunités de financement vert disponibles.
À ce titre, la SND30 doit opérer sa mue pour devenir une Stratégie nationale de développement durable (SNDD30) et placer la transition vers une économie verte au cœur du projet de société camerounais. Le Maroc, qui attire aujourd’hui une part substantielle des financements verts à l’international, constitue avec le Kenya un autre exemple dont notre pays pourrait s’inspirer…