« Je préfère un diable que je connais plutôt qu’un ange que je ne connais pas ». Ainsi s’est exprimé Jean Takougang, un des vieux cadres du Social Democratic Front (SDF), lorsque le processus électoral du parti s’est bloqué dans la nuit du 28 au 29 octobre dernier. Redoutant un Jester Shewa « populiste » qui tenait à déjouer les pronostics qui donnaient favori le premier vice-président sortant et président par intérim du parti depuis le décès de Ni John Fru Ndi. Et un autre cadre du parti de se demander : « Quel est son parcours ? Quels sont ses faits d’arme au sein du SDF ? ». De toutes les façons, « Joshua Nambangi Osih c’est le meilleur risque », se sont résolus plusieurs hauts cadres du parti.
C’est dire si Joshua Nambangi Osih n’est pas véritablement l’homme providentiel souhaité pour succéder au Chairman. « Jester est dynamique, a le charisme, mais pêche par sa jeunesse et son immaturité ; Zama a de la retenue, mais est inconnu et inexpérimenté ; Joshua Nambangi Osih a l’expérience qu’il faut, mais n’a pas le charisme de John Fru Ndi et est arrogant », analyse un chroniqueur politique.
D’où les défis qui attendent le nouveau chairman du Parti de la Balance pour combler les attentes des nostalgiques. Et pourtant, l’homme ne voit pas son bail de cinq ans sous le même angle. « Je n’ai pas été élu pour des défis, mais pour un travail. Un travail énorme, mais je ne me place pas dans une posture défensive où je vois tout ce qui est devant moi comme des défis », contrarie-t-il les analystes.
Joshua Nambangi Osih essaie de minimiser la lourdeur de la mission qui est la sienne. Le successeur de Ni John Fru Ndi arrive sur un terrain fragile. Le SDF sort d’une guerre fratricide qui l’a dépouillé de nombre de ses cadres de poids. À deux ans d’une élection présidentielle qui devrait voir le Cameroun engager une transition à risques : Paul Biya, 90 ans dont 41 à la magistrature suprême, et amorti sur le plan physique, pourrait passer la main.
Dans un contexte marqué par des luttes de positionnement tous azimuts. Tant au sein du parti au pouvoir que de l’opposition et même des partis de la majorité, on se prépare à cette échéance. Et le nouveau président du SDF devrait logiquement être investi par son parti. À ce propos, « nous méritons d’être une nation prospère. Cela passe par des structures politiques fortes et nous en sommes une », écrivait-il dans son manifeste de campagne.
Lui qui dit bénéficier de cette solidité des jalons de son parti, pour être porté à son perchoir. « J’aspire à la direction de notre parti politique, fort de ma connaissance de notre environnement et de mon expérience, ayant été responsable à tous les échelons de parti, depuis la base militante », soutenait-il. Avec certainement raison. Joshua Nambangi Osih a rejoint le SDF dès sa naissance, soit en mars 1991.
Fidélité à John Fru Ndi
Né en 1968 à Kumba, l’homme a lentement gravi les marches vers le sommet du parti. Élu conseiller municipal en 2002 dans le Sud-Ouest, l’homme ne parviendra jamais à se faire élire député dans la Mémé. Il lui faudra se faire investir en 2013 dans le Littoral que Jean Michel Nintcheu avait conquis. Élu dans le Wouri centre, l’ancien 2ème vice-président vient aussi de faire un pas de plus. À l’Assemblée nationale, Joshua Nambangi Osih est vice-président de la commission des finances et du budget. L’homme au bilinguisme parfait est le cheval que John Fru Ndi, vieillissant et affaibli par la maladie, fait investir à la présidentielle 2018, contre la volonté des caciques du parti dont Jean Tsomelou le secrétaire général et les députés Jean Michel Nintcheu et Joseph Mbah Ndam.
Même si le parti enregistre le pire de ses scores à une présidentielle (moins de 5 % en étant 4ème), John Fru Ndi lui réitère son soutien. Et à l’issue des législatives de 2020, l’homme devient questeur, plus grand poste du parti dans le bureau de l’Assemblée nationale. En 32 ans de militantisme aux côtés du charismatique promoteur du « Suffer don finish », le natif du Sud-Ouest réélu premier vice-président du parti en 2018, est ainsi par ordre de préséance, la deuxième personnalité du parti. Une posture que l’homme a mise à profit pour conquérir le pouvoir. Il était « logique qu’il aspire à faire le dernier pas », trouve un soutien de l’homme.
Joshua Nambangi Osih qui a su s’adapter au changement de ton de John Fru Ndi, opposé à l’aile dure du parti engagée dans une quête d’un « SDF originel » et donc radicale face à l’hyperpuissance du RDPC, le parti au pouvoir. L’homme fort de Ntarinkon usera de ses dernières forces pour balayer la maison, chassant les « extrémistes » via le 8.2. Une trentaine de hauts cadres en tout. Facilitant ainsi l’accession du pouvoir à son préféré et protégé.
Guerre de succession
En face, il est reproché à l’homme son « égoïsme » au détriment du parti. Un reproche fait également au défunt leader : « John Fru Ndi et Joshua Nambangi Osih ont transformé le parti en leur comptoir commercial au détriment du parti », dénonçait Jean Tsomelou, ancien secrétaire général du parti. Accusant John Fru Ndi de pactiser dans l’ombre avec le pouvoir de Yaoundé pour ses intérêts personnels, et à l’autre de « privilégier ses marchés avec la présidence de la République ».
Dans le cadre de la guerre de succession qui s’est déclenchée du vivant même du père fondateur Ni John Fru Ndi. En effet, deux camps se dessinaient au sortir de l’élection présidentielle de 2018 qui a vu le SDF perdre sa traditionnelle deuxième place, au profit de Maurice Kamto du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), suivi de Cabral Libii de l’Univers (aujourd’hui à la tête du PCRN - Parti camerounais pour la réconciliation nationale). Une déculottée que les cadres n’ont pas accepté de supporter, et ont appelé à un « retour au SDF originel ».
Alors que le leader charismatique d’antan avait désormais opté pour une politique moins dure. Du coup, les opérations de renouvellement des organes dirigeants du parti devenaient le terrain idéal des joutes pour la succession à la tête du parti. John Fru Ndi ayant annoncé depuis février 2021 qu’il entendait se retirer de la direction du parti ; avant de décéder le 12 juin dernier.
La passe institutionnelle de Paul Biya
En succédant à Ni John Fru Ndi, Joshua Nambangi Osih a la lourde mission de redonner au SDF ses lettres de noblesse, tant le parti s’est déchiré ces derniers mois, perdant tant des militants de poids que son image de marque. Le SDF qui, partit de 68 députés en 1997, se trouve aujourd’hui avec cinq députés, et un sénateur. Pour autant, Joshua Nambangi Osih refuse de voir la chose ainsi : « Je ne pense pas qu’on peut parler de perte de vitesse. Vous savez très bien que nous avons perdu plusieurs sièges par le fait que nos différentes lois ne permettent pas que les élections qui sont annulées par le Conseil constitutionnel aient une autre issue qu’une reprise. Alors il se trouve que nous avons obtenu du Conseil constitutionnel que treize circonscriptions sur lesquelles nous avons fait des recours ont été annulées pour le fait que ces circonscriptions sont en guerre. Et malheureusement, tout ce que le Conseil constitutionnel a pu faire, c’est de reprogrammer des élections sans d’abord arrêter la guerre, et donc nous nous sommes retrouvés dans une situation où nous ne pouvions pas placer nos candidats comme des chairs à canon dans ce conflit, et nous avons décidé de ne pas continuer dans la procédure », justifie-t-il la dégringolade du parti au micro de RFI.
Les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, fiefs du SDF, étant en proie à une crise séparatiste, le parti qui y avait presque tout misé, ne joue plus qu’un rôle de figurant au Parlement. « Aujourd’hui, je pense qu’avec l’affluence que vous avez vue lors de ce congrès, avec tout ce qui s’est passé lors des obsèques de notre président national, Ni John Fru Ndi, je pense que vous devriez plutôt me dire : comment ça se fait que le parti soit aussi vivant aujourd’hui ? », a-t-il contrarié l’intervieweur. Il reste que, coupé de qui était son fief, le SDF a eu besoin du régime de Yaoundé pour exister politiquement dans une mare politique où le PCRN et le MRC semblent désormais régner en maîtres de l’opposition.
Si Joshua Nambangi Osih laisse croire qu’une entrée au gouvernement n’est « pas à l’ordre du jour » du fait d’« une majorité obèse [du RDPC] qui n’a pas besoin d’union », il reste que le parti flirte déjà avec le pouvoir en place qu’il peine à remplacer depuis 33 ans. En dehors des cinq députés (dont le banni Jean Michel Nintcheu), sa présence au Sénat (le sénateur Vanigansen Mochiggle), à la Commission nationale de reconstruction du Noso (Njong Donatus, ancien maire de Kumbo) et au Conseil constitutionnel (Pr Paul Nchoji Nkwi) résulte de passes décisives d’un Paul Biya qui ne cesse depuis 1992 de phagocyter l’opposition.