Les taxi-motos prennent le devant des manifestations
C’est une journée à hauts risques qui s’ouvre ce mardi au Cameroun, où l’opposition appelle à des manifestations qui ont été interdites par les autorités. Et au centre du jeu, des acteurs que l’on n’attendait pas : les conducteurs de motos-taxis.
Une horde de motos-taxis traverse le quartier administratif de Bonanjo, dans le 1er arrondissement de Douala, sous les regards intrigués des passants. Dans une ville qui compte plus de 100 000 engins du genre, ce type de cortèges est monnaie courante lors des processions funèbres ou des mariages. Mais ce 17 septembre, la scène n’a rien d’ordinaire. Surtout que, depuis 2012, les motos-taxis sont officiellement interdites de circulation dans cette partie de la ville, tout comme les manifestations non dûment déclarées auprès des autorités.
Ce jour-là, le groupe de « motos-taximen » qui s’arrête devant les services du gouverneur de la région du Littoral le clame pourtant haut et fort : il s’agit d’une manifestation spontanée. À coté des éléments des forces de sécurité qui les encadrent pour l’occasion, ils se sentent investis d’une « mission républicaine », celle de dire « non à la marche insurrectionnelle », ainsi qu’ils qualifient les manifestations que l’opposition veut organiser mardi 22 septembre.
« Les motos-taxis ne prendront pas part à cette marche, scande devant les autorités administratives Willy Kegne, le président de l’un des multiples syndicats qui pullulent à Douala. Celui qui veut déclencher la guerre nous aura sur son chemin ! » Déclaration sincère, manipulation ou tentative de séduction d’une autorité avec laquelle la corporation est régulièrement en conflit ?
Force de mobilisation
Difficile de répondre avec certitude tant le corps des motos-taxis est devenu l’enjeu de véritables batailles d’influence politiques. Composée en grande majorité de jeunes, dont certains sont bardés de diplômes, ils tirent le diable par la queue. Et leurs éruptions de colère sont loin d’être rares. Les innombrables motos-taximen du Cameroun incarnent à eux seuls les tensions sociales qui couvent dans le pays et n’attendent qu’une étincelle pour éclater.
Qui a oublié les émeutes de 2008, qui étaient parties d’un mouvement de grogne des motos-taxis contre la hausse du prix des carburants avant de gagner l’ensemble du pays ? Ou encore les violents affrontements de 2012, qui ont opposé cinq jours durant des conducteurs de motos-taxis aux habitants du quartier Deîdo ?
Personne. Et surtout pas les autorités camerounaises, qui tentent depuis 2013 de les sortir de l’ombre du secteur informel. Au centre de toutes les attentions, les conducteurs de motos-taxis le sont aussi dans la sphère politique, au sein de laquelle la force de mobilisation qu’ils représentent est désormais reconnue.
Lors des campagnes électorales, ils sont immanquablement réquisitionnés. Et à la veille des scrutins, les motards sillonnent les rues en arborant des tee-shirts aux couleurs de leur candidat, s’évertuant à convaincre passagers et passant de lui apporter leur voix. L’époque où les motos-taxis étaient considérés comme des parias, accusés de tous les maux, du désordre urbain à l’insécurité, est désormais révolue. Aujourd’hui, leur voix qui compte.
Et l’annonce par le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) de Maurice Kamto de la tenue de manifestations pour réclamer le départ de Paul Biya a singulièrement ravivé les appétits de l’opposition et du pouvoir, qui font tout pour les ramener dans leur giron.
Intimidation et disparitions
Par ses appels au changement, le discours de Maurice Kamto semble séduire ces oubliés des politiques de développement. Mais la sévérité avec laquelle les autorités camerounaises promettent de réprimer les marches refroidit les ardeurs. Paul Atanga Nji , le ministre de l’Administration territoriale a promis rien moins que « la prison à vie » à toute personne qui participera aux manifestations. Assimilant les marches à un mouvement « insurrectionnel », le gouvernement prévoit d’appliquer les lois antiterroristes à l’encontre des marcheurs.
LA PEUR RÈGNE DANS LES AIRES DE STATIONNEMENT, OÙ PERSONNE N’OSE DÉSORMAIS MANIFESTER LE MOINDRE SIGNE OSTENTATOIRE DE SOUTIEN À MAURICE KAMTO
Ceux qui se risquent à s’engager derrière la bannière de l’opposition risquent gros. Le 12 septembre dernier, les médias locaux ont relayé la disparition de huit conducteurs de motos-taxis. La veille, ils avaient diffusé sur les réseaux sociaux une vidéo devenue virale dans laquelle ils invitaient les Camerounais à sortir dans la rue le 22 septembre.
Depuis, la peur règne dans les aires de stationnement, où personne n’ose désormais manifester le moindre signe ostentatoire de soutien à Maurice Kamto. « Aucune manœuvre de dissuasion, de corruption ou d’intimidation ne détournera le peuple de sa trajectoire », veut cependant croire l’opposant Albert Dzongang, allié de Maurice Kamto.
En revanche, en face, les manifestations d’associations de motos-taximen qui dénoncent la démarche contestataire de l’opposition se multiplient. Elles font d’ailleurs quotidiennement la Une du journal de la télévision nationale. Dans le 2e arrondissement de Douala, un groupe de chauffeurs avait même planifié de mener une contre-manifestation, ce mardi, qui a finalement été interdite par le sous-préfet. Cependant, la disparition, en 2015, de la députée François Foning, une femme d’affaires qui était notamment à la tête d’une flotte de près de 7 000 motos dans le pays, a participé à la fragilisation de l’emprise que le parti au pouvoir pouvait avoir sur les motos-taximen.
Alors que la tension est à son comble entre pouvoir et opposition, la position des motos-taximen pourrait bien peser lourd dans l’issue du duel auquel se livre Paul Biya et Maurice Kamto.
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