L'entrée en bourse historique de Jumia n'aurait pas pu mieux commencer. Le jour où Jumia est devenue la première entreprise technologique africaine à être cotée à la Bourse de New York, le tapage était énorme.
Les médias internationaux ont pris note et les investisseurs ont afflué, le cours de l'action augmente de plus de 70 % ce jour-là, mais l'engouement est de courte durée.
"Dans les pays où nous opérons, il y a 700 millions de personnes et l'année dernière, nous avons servi plus de quatre millions de consommateurs", explique Sacha Poignonnec, co-directeur général, à la BBC sur le parquet de la bourse.
Lorsque je me suis assise pour parler avec son co-PDG, Jeremy Hodara, en septembre, l'entreprise avait connu quelques années difficiles. Le cours des actions avait chuté puis remonté, les bailleurs de fonds s'étaient retirés et l'entreprise avait cessé d'être cotée dans trois des quatorze pays où elle opérait, sans parler des poursuites pour fraude devant les tribunaux de New York et du désastre en matière de relations publiques concernant son identité.
Mais la promesse de millions de consommateurs nouvellement connectés à Internet n'a pas disparu, pas plus que l'intérêt pour Jumia, qui reste de loin la plus grande société de commerce électronique axée sur le continent africain, bien que sa direction et une grande partie de son expertise technique soient basées hors d'Afrique.
D'ici 2030, les dépenses de consommation en Afrique devraient atteindre 2,5 millions de billions de dollars. Jumia vend encore des produits dans 11 pays. Il exploite une place de marché où des milliers d'autres entreprises vendent des produits sur sa plateforme et possède une branche financière, Jumia pay, qui permet aux clients de faire leurs achats, de payer leurs factures et de commander des pizzas, sans quitter les plateformes de Jumia.
L'abandon des marchés non rentables et le nouvel intérêt pour le commerce électronique suscité par la pandémie ont permis à l'action de Jumia de retrouver les niveaux atteints le jour de son entrée en bourse.
"Dans l'ensemble, le commerce électronique sur le continent est encore très peu développé par rapport au commerce de détail traditionnel", déclare M. Hodara, lorsqu'on lui demande pourquoi le parcours de Jumia s'est avéré si cahoteux. "C'est un long voyage et l'opportunité est énorme. Donc, nous y allons étape par étape."
Alors que la plateforme s'est d'abord fait connaître comme un endroit où acheter de l'électronique, les consommateurs ne font généralement ce genre d'achats que quelques fois par an, de sorte que l'entreprise essaie maintenant d'attirer les consommateurs pour acheter des articles quotidiens comme l'épicerie et les vêtements...
"Ces produits génèrent plus de bénéfices que les produits électroniques qui étaient achetés auparavant", explique M. Hodara.
"Nous générons près d'un dollar de bénéfice lorsque nous livrons une commande après tous les coûts logistiques. Ce que nous voulons faire maintenant, c'est investir davantage dans la croissance dans deux domaines : la technologie et le marketing. C'est la direction que nous prenons maintenant que nous nous sentons à l'aise et confiants dans la rentabilité et l'économie unitaire de notre entreprise."
Les plans visant à poursuivre les dépenses agressives en matière de publicité et de technologie signifient que les dépenses d'exploitation élevées de Jumia pourraient inquiéter les investisseurs. Alors quand l'entreprise affichera-t-elle enfin un bénéfice ?
"Nous ne communiquons pas de calendrier, mais nous nous efforçons d'afficher des résultats réguliers", répond M. Hodara.
Répondre aux différents besoins des marchés fragmentés du continent est un défi majeur pour toute entreprise panafricaine. Alors que l'opportunité en Afrique est présentée comme étant à l'échelle du continent, je demande à M. Hodara si la réalité est plus nuancée.
"Servir des consommateurs en Égypte n'est pas la même chose que servir des consommateurs au Nigeria, et travailler avec des vendeurs au Maroc n'a rien à voir avec travailler avec des vendeurs au Kenya", dit-il.
"La façon dont vous devez opérer est très locale, en naviguant dans les spécificités de ces pays, tout en conservant des économies d'échelle grâce à des processus technologiques."
Avec deux fondateurs français et des dirigeants basés hors du continent, les références de Jumia en tant qu'entreprise "africaine" ont été remises en question. M. Hodara affirme que Jumia choisit de ne pas s'engager dans cette controverse car elle n'est ni "juste ni pertinente". "Mais, n'est-ce pas pertinent pour les consommateurs du continent", je demande.
"Nos consommateurs sont africains, nos vendeurs sont africains, nos employés sont africains, nous créons des centaines de milliers d'emplois sur le continent", répond-il. "Nous ouvrons un centre technologique au Caire, en Égypte, nous allons avoir une centaine de développeurs là-bas et nous allons en faire davantage. Notre mission est l'Afrique."
Outre Jumia, il existe trois autres "licornes" - des entreprises technologiques privées évaluées à plus d'un milliard de dollars - en Afrique, contre 100 en Chine et 200 aux États-Unis.
Malgré cela, les possibilités sur le continent sont énormes. Une population jeune et en pleine croissance, un taux de pénétration de l'internet en hausse et des investissements dans l'infrastructure numérique laissent présager des possibilités encore plus grandes, à condition de créer un environnement favorable.
Google a récemment annoncé qu'il prévoyait d'investir 1 milliard de dollars dans la connectivité internet et les start-ups en Afrique, ce qui s'ajoute aux milliards déjà dépensés dans des projets d'infrastructure visant à offrir un accès en ligne à un plus grand nombre de personnes.
Selon M. Hodara, la volonté de relever les défis du commerce électronique en Afrique dès le début est ce qui permet à Jumia de continuer à jouer un rôle de premier plan dans ce domaine. "La complexité des opérations sur le continent signifie que nous avons des barrières à l'entrée uniques qui rendent très difficile pour quiconque de faire ce que nous faisons", dit-il.
Alors que d'autres start-ups de commerce électronique ont vu le jour sur le continent, Jumia compte toujours le plus grand nombre de clients, avec 10 millions de visites mensuelles de plus que son concurrent le plus proche, le sud-africain Takealot.com.
L'essor du commerce électronique en Afrique semble inévitable, mais les jeunes pousses comme Jumia devront être adoptées par les consommateurs assez rapidement pour contribuer à leur propre succès, plutôt qu'à celui de leurs successeurs.