Mis en cause dans une affaire de manipulation frauduleuse de la solde de l’Etat, Emmanuel Leubou, Amadou Haman et Aïssatou Boullo Bouba ont passé leur première nuit dans ce pénitencier vendredi dernier.
Abèle Mbozo'o, Alexandre Tomba et Pempene Mefiro. Trois cadres du ministre des Finances, interpellés mercredi dernier par des éléments appartenant au corps spécialisé d’officiers de police judiciaire placés sous l’autorité directe du procureur général près le Tribunal criminel spécial (Tcs), n'ont pas encore été déférés à la prison centrale de Yaoundé. Détenus encore dans l'une des cellules du Tcs, ils seront sans doute fixés sur leur sort ce jour. L'un des juges d'instruction du Tcs pourra statuer s'il faut les laisser comparaître libres, les mettre sous mandat de détention provisoire ou alors les élargir de l'affaire de manipulation de la solde de l'Etat, dont le préjudice causé aux finances publiques se situe à un peu plus de 13 milliards Fcfa.
Pendant que l’enquête préliminaire se poursuit pour leur cas, Emmanuel Leubou (56 ans) Amadou Haman (40 ans) et Aïssatou Boullo Bouba (53 ans) méditent déjà leur sort depuis vendredi dernier à la prison de Kondengui. Les deux premiers cités sont logés au quartier 1 tandis que la troisième personne, en service au ministère de la Communication et qu'on disait en fuite est au quartier dit des femmes. Sur les chefs d'accusation ayant conduit à leur interpellation, aucune information ne filtre ni des autorités judiciaires, ni des proches de prévenus. Des informations concordantes indiquent néanmoins qu’ils sont poursuivis (avec trois autres responsables encore au Tcs) pour manipulation illicite de la solde de l’Etat.
LIRE AUSSI: Ambazonie: retour sur le passé du Général Melingui Nouma
Ekweye Ya Mawelle
Mais, pour mieux comprendre les mobiles de ces interpellations, il faut remonter à l'affaire Ekweye Ya Mawelle, le coordinateur du Front pour le salut national du Cameroun (Fsnc) pour la région du centre et ancien sous-directeur du personnel, de la solde et des pensions au ministère de la Communication. Ce professeur de lycée d’enseignement général, de langue espagnole, écroué à la prison de Kondengui depuis 2016, comparaît depuis peu au tribunal militaire et au Tcs.
Il est poursuivi pour le vol en coaction du mot de passe d'un responsable au ministère des Finances du nom d'Aboubakar, qui donnait accès au fichier solde du ministère de la Défense (Mindef). Ce vol avait favorisé le délestage des caisses de l'Etat de près de 2,4 milliards Fcfa. Une somme dispatchée sous forme d’avantages illicites, de fausses missions et avances de solde aux agents publics du ministère de la Communication (Mincom), des Enseignements secondaires (Minesec), des Forêts et de la Faune (Minfof) et du Mindef. Dans cette affaire, Emmanuel Leubou avait été cité et avait même passé quelques mois en prison avant d'être relaxé. Les personnes impliquées dans ce forfait avaient, selon nos informations, utilisé l’ordinateur de travail de Ekweye Ya Mawelle, lequel contenait le logiciel du Système de gestion intégré de la pension et la solde (Sigipes) afin de valider leurs opérations frauduleuses. A force de manipulations, l’appareil se mettra à planter de façon régulière.
Ce mode opératoire expliqué à Ekweye Ya Mawelle lors d'un procès au tribunal militaire, avait fonctionné entre 2014 et 2016. En réalité, ce cadre du Mincom avait fait appel à Emmanuel Leubou, apprend-on, pour qu'il l'aide à maîtriser ledit logiciel. Le sous-directeur du Mincom, Ekweye Ya Mawelle mis en prison, la manoeuvre ne s’arrête pas pour autant. Au contraire, le groupe à Leubou va maintenant utiliser la machine du chef service Sigipes au Mincom, Aïssatou Boullo Bouba, jusqu’à ce qu'on mette une fois de plus la main sur eux. Comme sanction, le salaire d’Aïssatou sera suspendu pour moins de six mois, à la grande surprise de tous.
312 dossiers
Comment ce groupe faisait-il pour entrer en possession de l’argent viré ? Un agent victime de cette arnaque confie avoir reçu un surplus de 800 000 Fcfa sur son dernier salaire mensuel. Par la suite, il va recevoir l'appel d'Emmanuel Leubou. Ce dernier va lui intimer l'ordre de lui restituer le trop perçu. «Comme je ne me suis pas exécuté, mon salaire a été suspendu pour traitement frauduleux camer.be», confie-t-il. Et d'ajouter : «Lorsque je me suis rapprocher du comité interministériel en charge des suspensions de salaire, grande a été ma surpris qu'on me demande des explications par rapport au problème que j'ai eu avec ce monsieur que je ne connais pas. Ensuite, le comité ne va pas se reconnaître sur le motif de ma suspension de salaire intitulé : Traitement frauduleux». Aussi, ce groupe utilisait d'autres motifs comme «matricule illégal» et «suspension de salaire». Le cas de cet agent public n'est donc pas isolé. Plus de 500 salariés de l’Etat sont dans cette situation.
LIRE AUSSI: Epervier: révélations sur la force mystique de Mebe Ngo’o et Cie
A ce jour, le corps spécialisé d’officiers du Tcs a reçu du parquet général pour ouverture d'enquête préliminaire, 312 dossiers constitués des rapports de missions de vérification du contrôle supérieur de l'Etat, des rapports de la Commission nationale anti-corruption, des dénonciations de l’Agence nationale d’investigation financière, des requêtes de certaines structures étatiques et même des dénonciations parfois anonymes ou en provenance des particuliers. Au cours des cinq dernières années, le Tcs a enrôlé 136 dossiers. Cette juridiction a également condamné 235 accusés et permis à l’Etat d’engranger pour dommages et intérêts, plus de 97,3 milliards Fcfa. Ceci sans les amendes et frais de justice évalués à plus de 7,2 milliards Fcfa.