C’est depuis sa cellule à la prison de Kondengui à Yaoundé que Jean-Marie Atangana Mebara a rédigé son ouvrage Lettres d’ailleurs, une forme de missives adressées à quelques personnalités camerounaises, mais surtout à certains de ses proches.
CamerooonWeb vous propose un extrait de cette œuvre dans lequel l’ex-SGPR s’adresse à sa fille…
NGONO, ma chère et adorable fille, Cela fait plus de trente et six (36) mois que j’ai été incarcéré à la Prison Centrale de Kondengui à Yaoundé. Je n’ai toujours pas été jugé. Je suis toujours en détention provisoire, alors que la loi camerounaise, en l’espèce le Code de Procédure Pénale, prévoit que la détention provisoire ne devrait pas excéder 18 mois. J’aurais voulu dresser pour toi un bilan de ces trois ans derrière les barreaux. Mais un bilan c’est souvent à la fin d’une étape, et j’ignore quand l’étape actuelle prendra fin.
Alors, disons que j’ai choisi de te faire le point à toi ma fille, Armelle Olive, pour toi-même, pour tes frères et sœurs, pour la famille, mes frères et sœurs, pour tous ces enfants que j’ai « eus », au travers des fonctions que j’ai occupées ou du fait de certains actes posés, à titre personnel, à leur endroit, pour mes amis et proches et, aussi pour prendre date.
Au moment où j’entreprends de faire ce point, M. ANGOULA DIEUDONNE, environ 65 ans, ancien Directeur au Ministère des Postes et Télécommunications, condamné il y a une décennie à quinze ans de prison, dans ce qu’on a appelé « l’Affaire MOUNCHIPOU », mon ancien partenaire de tennis ici à Kondengui, s’est éteint il y a quelques semaines, foudroyé, semble-t-il par une méningite. Il y a quelques mois, c’est MOUTAPEN, autre joueur de tennis qui nous a quittés après une partie de tennis avec M. OTELE HUBERT.
Quelques temps auparavant, c’est mon « père » et ami, qui fut mon Ministre à la Fonction Publique, André BOOTO A NGON qui s’en est allé, après environ un mois d’hospitalisation ; puis ce fut autour de M. KALTJOB AARON RAYMOND, ancien haut Fonctionnaire des Finances, ancien Directeur Général de banque de nous quitter brutalement. Il faut dire que les soins médicaux ici ne sont pas automatiques. En dehors de M. MOUTAPEN, mort pratiquement sur le court, tous les autres ont été transférés dans les hôpitaux publics, souvent en désespoir de cause, passant ainsi de vie à trépas quelques jours à peine après avoir été évacués.
La procédure ici veut que la personne malade en détention provisoire, qui souhaite bénéficier de soins à l’extérieur, adresse une requête au Procureur de la République, sous couvert du Régisseur de la Prison. Ce dernier, à la réception de la requête, la transmet au médecin de la Prison pour qu’il émette son avis. C’est après cela que le régisseur, si l’avis du médecin est favorable, répercute la requête au Procureur. Si vous n’organisez pas le suivi de votre requête, il peut se passer plusieurs jours, plusieurs semaines voire plusieurs mois entre le moment où vous la déposez au secrétariat du Régisseur, et le moment où elle vous revient revêtue de la décision du Procureur.
Et la décision de cette autorité ne constitue pas la fin de la galère. En effet pour nos « cas », il faut ensuite que le Régisseur s’assure, avec le commandant de l’Unité de Police Spéciale, le GSO ou la Gendarmerie, qu’ils ont des éléments disponibles pour escorter vers les hôpitaux, ceux des détenus pour lesquels le Procureur a demandé au Régisseur de prendre des mesures de sécurité appropriées.
Quand l’Unité Spéciale sollicitée n’a pas la logistique nécessaire ou les éléments disponibles pour cette mission, vous pouvez encore attendre plusieurs semaines. Le pauvre médecin de la prison, le Dr NDI FRANCIS, tellement dévoué pour tous les détenus, sans discrimination, tellement apprécié par les détenus, est incapable, compte tenu des règles de fonctionnement de cette prison, de prendre une décision d’évacuation d’un malade vers les hôpitaux ayant les équipements nécessaires pour prendre en charge certaines pathologies.
Ce médecin m’a prescrit, il y a plus de deux mois, des examens que je n’ai pas pu faire, plus d’un mois après l’accord du Procureur, à cause, a expliqué le Régisseur, de l’indisponibilité du GSO. Tu comprends, ma fille, ma petite Maman, que je ne veux pas quitter ce monde à la sauvette, sans te laisser ce petit document ; au cas où je devrais m’en aller comme mes codétenus suscités, ceci constituera ma part de vérité, sur cette partie de l’histoire de ma vie.
Et si le bon DIEU décidait de m’octroyer encore quelques temps sur cette terre, j’ai pensé utile de rassembler mes idées, avant que les souvenirs ne s’estompent ou ne prennent d’autres colorations. Tu pourras le faire lire à tes frères et sœurs et à vos enfants, mes petits-enfants. À toi ma NANOU, Je voudrais d’abord te dire un grand MERCI, pour avoir fait le choix de rester auprès de moi, même quelque temps seulement, alors que tu aurais pu partir vers d’autres cieux, après mon incarcération.
Merci d’être venu si régulièrement me voir en prison dès que ce fut devenu possible, malgré les difficultés et les complications auxquelles tu as souvent été confrontée. L’Intendant de Prison MINKADA dira de toi un jour qu’il n’a jamais vu un enfant aussi fidèle à son père. En moyenne tu es venu me voir au moins cinq jours sur sept, parfois deux fois dans la même journée. Merci ma petite Maman pour tant d’Amour. J’imagine tout ce que tu as dû subir, ce que tu as dû surmonter comme allusions et propos infâmants ou vexatoires, comme provocations, comme conseils d’« amis » et de parents te recommandant de penser à ton avenir, et de partir chercher ta vie ailleurs, surtout après que tu aies été refusée pour un stage d’intendance de la Marine en France, par le Ministère de la Défense du Cameroun.
Peut-être même t’a-t-on laissé entendre que ta sécurité était ou serait menacée si tu restais au Cameroun. Malgré tout, malgré l’abandon, le lâchage de quelques anciens « amis », ceux qui se souvenaient de ta date de naissance et qui te souhaitaient régulièrement Bon Anniversaire quand ton père était encore au « pouvoir », tu as décidé de rester à côté de lui. Cela m’a rappelé le jour des obsèques de ta mère, quand, âgée seulement de neuf ans, tu me tenais par la main, je veux dire quand je puisais dans ta petite main, la force de tenir face à cette terrible épreuve.
Au début de mon séjour ici, nos rencontres étaient lourdes ; on n’osait pas aborder les sujets délicats ; on n’osait même pas parler de l’affaire, mon affaire ; tu étais tellement révoltée, et moi plutôt enclin à cacher mes émotions et mon trouble intérieur, pour ne pas t’affaiblir. Et puis, à force de nous voir, nous avons commencé à parler, de tout, à rigoler ensemble des histoires de prison que je collectionnais.
Et nous sommes redevenus amis. Quand un jour passait sans te voir, je m’inquiétais. Tout ceci expliquera peut-être à certains pourquoi tu es celle à qui ce mot est adressé : il y a des choses qu’il n’y a que toi qui peut comprendre, parce que, dans une certaine mesure, tu as vécu cette épreuve avec moi ; tu pourras, mieux que d’autres, expliquer ces choses aux autres, avec tes mots ou avec vos mots. Je sais que pour toi, c’est un étrange destin que tu vis : orpheline de mère à neuf ans, te voici privée de ton père à 23 ans.
Cette nouvelle séparation, tu ne la comprends pas ; comment quelqu’un qui a sacrifié sa famille pour son travail peut-il être traité de la sorte ? Ce petit document vise aussi à te fournir quelques clefs de lecture pour essayer de comprendre cet imbroglio. Dans un premier temps, je vais te rappeler, dans cette lettre qui t’ai destinée, comment tout ça a commencé et, ensuite je te donnerai quelques indications, quelques orientations possibles, au cas où…; ceci constituera la première partie.
Dans la seconde partie, je te joindrai quelques courriers que tu voudras bien transmettre ou remettre à leurs destinataires. J’ai notamment fait des courriers à quelques compatriotes, notamment les anciens ministres, les Professeurs Victor ANOMAH NGU et Joël MOULEN, devenus mes amis, qui m’ont surpris par de nombreux témoignages d’attachement fidèle, ensuite à Monseigneur Joseph AKONGA, que tu connais bien, (actuellement Secrétaire Général de la Conférence Episcopale Nationale) ; il y a deux autres correspondances, adressées respectivement à un journaliste français, nommé François MATTEI, et, enfin au Ministre de la Justice du Cameroun ; quant à la dernière lettre, tu pourras la remettre à un journaliste de ton choix, pour publication.
Avant ces lettres, j’ai essayé de parler à MBOMBO, ta MBOMBO, ma mère ; je peux te dire que ce ne fut pas facile ; mais cela m’a fait beaucoup de bien. Ce courrier-entretien avec ma mère, tu pourras le déposer sur sa tombe, au village, ou le remettre à tonton MEB’S, il saura quoi en faire.