Lors de son passage à Douala le vendredi 5 février 2016, dans le cadre de la dédicace du livre du Pr Jean-Emmanuel Pondi intitulé « Thomas Sankara et l’émergence de l’Afrique au XX e siècle »publié aux Editions Afric’Eveil, Mariam Sankara, la veuve du président burkinabé Thomas Sankara assassiné le 15 octobre 1987 à Ouagadougou, a accepté d’accorder une interview à La Nouvelle Expression.
Elle est préfacière de cet ouvrage qui non seulement restitue la pensée et l’action de l’ancien président du Burkina Faso, mais aussi donne un éclairage nouveau sur les piliers du sankarisme et sur l’origine sankariste des Objectifs du millénaire pour le développement (Omd) de l’Organisation des Nations Unies. Mariam Sankara montre l’importance de ce livre, se révèle et explique ses attentes en ce qui concerne « l’affaire Sankara » et ceux de ses compatriotes. Après les changements survenus dans son pays depuis l’insurrection populaire qui a débouché sur la chute du régime du président Blaise Compaoré.
Qui est Mariam Sankara ?
Je suis une simple militante. Une femme burkinabé que le destin a placée sur le chemin de Thomas Sankara. Une personne auprès de qui on ne peut ne pas partager les valeurs et les convictions. Thomas Sankara a fait de moi ce que je suis devenu. Ce n’est facile d’être la veuve de Sankara. Je n’aime pas être remarquée en public, mais je suis obligée de le supporter. Au Burkina Faso, les gens vivent modestement avec humilité. On n’a pas besoin de se distinguer quand les gens sont pauvres. J’ai fais des études de sciences économiques. Je travaillais comme tout le monde lorsque Thomas Sankara était président du Burkina Faso.
J’étais chargée d’études dans une société de transports où l’on faisait de l’import-export. Thomas Sankara avait son salaire et il y avait le mien. On recevait des gens. Après la disparition tragique de mon époux, j’ai quitté le Burkina Faso pour le Gabon. Puis, je suis partie en France où j’ai fait des études complémentaires en développement rural. J’ai ma mère, mes frères et sœurs qui sont tous très discrets et modestes. Ma mère vit au Burkina Faso. Mon père était ancien combattant comme celui de Thomas Sankara. Depuis, je fais l’objet de sollicitations.
Que sont devenus vos enfants ?
Mes fils se portent bien. Ils sont déjà grands. Ils suivent ce qui ce qui se passe dans le monde et dans leur pays. Je les laisse faire ce qu’ils veulent faire. Ils feront ce qu’ils souhaitent. Chacun a son destin.
Vous avez participé l’an dernier au Burkina Faso à la convention des Sankaristes. Qu’est-ce qui vous a motivé à le faire ?
Je soutiens tout ce qui se fait pour Thomas Sankara. C’est pour cela que j’étais à la convention des mouvements sankaristes au Burkina Faso.
Comment avez trouvé l’accueil quand êtes retournée au Burkina après de nombreuses années passées hors du pays ?
J’ai ressenti une joie immense. J’étais très émue. Effectivement, cela faisait plusieurs années que je n’étais pas revenue au Burkina Faso. J’y allais pour répondre à l’appel du juge, dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat de Thomas Sankara. J’ai reçu un accueil chaleureux surtout de la part des jeunes. La situation de la jeunesse aujourd’hui est plus dramatique que celle d’hier. Cet accueil donne de l’espoir. Il a fallu du temps pour en arriver là. Les Burkinabé ont pris conscience. L’insurrection populaire des 30 et 31octobre 2014 est l’aboutissement d’un processus, d’une lutte de longue date.
On est passé de la transition politique aux élections démocratiques. Les autorités de la transition ont fait un travail appréciable. Je souhaite que les choses continuent dans le bon sens avec le gouvernement issu des élections démocratiques. Les Burkinabé attendent beaucoup du nouveau régime. Tout le monde dit que rien ne sera plus comme avant. Les gens ont compris que le message de Thomas Sankara est important pour le Burkina Faso, car c’est un message porteur d’espérance. Un message dont le peuple et la jeunesse ont besoin pour une transformation qualitative du pays et de l’Afrique.
Comment avez-vous trouvé votre accueil au Cameroun ?
J’ai aussi été chaleureusement accueillie à mon arrivée au Cameroun. Je suis contente de me retrouver parmi vous. Partout où je suis passé, à Yaoundé comme à Douala, beaucoup ont témoigné leur sympathie pour mon mari. Ce qui me réconforte, c’est de voir que je ne suis pas seule …. Quand j’écoute tous ces témoignages, quand je vois toutes ces personnes au Cameroun qui se sentent proches des idées de Thomas Sankara, je me rends compte que Thomas Sankara est plus vivant que jamais non seulement au Burkina Faso, mais aussi au Cameroun. Il ne s’est pas battu en vain pour ses idéaux.
C’est un réconfort pour sa famille et pour moi. Je suis heureuse que les Camerounais aient saisi le message de Thomas Sankara. Je me rends compte de l’impact des idées de Thomas Sankara sur la jeunesse camerounaise. Je tiens à remercier le peuple camerounais pour son accueil chaleureux. Je remercie particulièrement le Pr Jean-Emmanuel Pondi et son épouse. Ainsi que les autorités camerounaises. Le Cameroun est un beau pays. C’est vraiment l’Afrique en miniature. J‘ai visité le musée national et j’ai découvert beaucoup de choses.
Avez-vous des ambitions politiques ?
Non. Je n’ai pas d’ambitions politiques. Il y a des hommes et des femmes capables au Burkina Faso.
Qui était Thomas Sankara ?
Thomas Sankara était un grand travailleur. Il était contre l’injustice. Thomas Sankara était très sensible aux problèmes d’injustice sociale. Thomas Sankara était un panafricaniste. Dans la mesure où il a pris faits et causes pour toutes les luttes de libération en Afrique. Il a toujours souhaité que les peuples vivent dans leur dignité, dans la souveraineté et l’indépendance. Thomas Sankara était une personne très ouverte et agréable à vivre. Il était facile à aborder et d’une certaine humilité. On pouvait lui faire confiance. Il était de ceux qui disent ce qu’ils font et font ce qu’ils disent.
Qu’avez vous hérité de Thomas Sankara ?
Il a laissé un découvert bancaire de plus de 400.000 frs Cfa. Il a laissé une maison obtenue par un prêt bancaire que j’ai continué à rembourser. En fait, le matériel importait peu pour Thomas Sankara. Ce qu’il a promu et que je retiens ce sont les valeurs éthiques et morales : l’intégrité, la dignité, le respect, l’honnêteté, l’honneur, la solidarité, la justice sociale, etc.
Qu’attendez-vous du procès dans l’affaire Thomas Sankara ?
L’affaire Sankara suit son cours. Je demande toujours la justice. Je me suis toujours battue pour que justice soit rendue à Thomas Sankara. Je veux simplement que la vérité soit dite sur la mort de mon mari. Il faut que l’on sache la vérité. Au moment où parle de dialogue, de vérité et de réconciliation dans mon pays, je pense que la vérité peut permettre d’arriver à la réconciliation nationale. La mobilisation de l’opinion publique burkinabé et africaine est importante pour que les auteurs du drame soient punis.
Comment vous retrouvez-vous préfacière du livre du Pr Jean-Emmanuel Pondi ?
Le Pr. Jean-Emmanuel Pondi est la première personne à me demander de préfacer son livre. Bien que ce ne soit pas facile, j’ai accepté de le faire. Il est souvent difficile de lire ce que l’on écrit sur Thomas Sankara. Je trouve que l’ouvrage du Pr. Jean-Emmanuel Pondi est facile à lire. Mieux, l’auteur a démontré que les idées de Thomas Sankara ont été reprises par l’Organisation des Nations Unies(Onu). Le Pr. Jean-Emmanuel Pondi a su établir un parallèle entre les Objectifs du millénaire pour le développement (Omd) et ceux du programme de Thomas Sankara.
Quel intérêt pour la jeunesse à lire ce livre ?
Le livre du Pr Jean-Emmanuel Pondi est un outil important qui est mis à la portée de la jeunesse africaine. La jeunesse africaine a des modèles. Thomas Sankara en est un. Le Pr. Jean-Emmanuel Pondi recense et restitue l’essentiel des idées et des actions de Thomas Sankara et les met en perspective. Il résume Thomas Sankara et le sankarisme. J’invite les lecteurs à lire ce livre qui contribue à la connaissance de Thomas Sankara et de l’idéologie sankariste. C’est un essai fouillé, immensément riche; un cadeau à la jeunesse camerounaise.
Ma conviction est que la jeunesse actuelle, ainsi que les dirigeants africains d’aujourd’hui, gagneraient à s’inspirer de l’expérience sankariste en capitalisant et en réactualisant les objectifs et la méthodologie pragmatique initiée par Thomas Sankara dans la conception et la mise en œuvre d’une politique économique. La jeunesse africaine a beaucoup de chance. Elle est consciente et ouverte au monde. Il faut qu’elle se prenne en charge et ose inventer l’avenir.
© La Nouvelle Expression : Entretien Mené Par Edmond Kamguia K.