Cette année encore, le groupe armé Boko Haram a commis dans la région de l’Extrême-Nord de graves atteintes aux droits humains et infractions au droit international humanitaire, notamment des pillages, des destructions de biens et des homicides et enlèvements de civils. En ripostant, les autorités et les forces de sécurité se sont rendues coupables de violations des droits humains et de crimes de droit international, tels que des arrestations arbitraires, des détentions au secret, des actes de torture et des morts en détention. Du fait du conflit, environ 240 000 habitants de la région de l’Extrême-Nord avaient fui leur domicile depuis 2014. La liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique demeurait restreinte dans tout le pays. Les forces de sécurité ont violemment réprimé des manifestations dans les régions anglophones en janvier et en septembre. Des militants de la société civile, des journalistes, des syndicalistes et des enseignants ont été arrêtés et parfois jugés par des tribunaux militaires.
Exactions perpétrées par des groupes armés
Le groupe armé Boko Haram s’est rendu coupable de crimes de droit international et d’atteintes aux droits humains, dont des attentats-suicides dans des zones civiles, des exécutions sommaires, des enlèvements, le recrutement d’enfants soldats, ainsi que le pillage et la destruction de biens publics ou privés. Pendant l’année, il a perpétré au moins 150 attaques, dont 48 attentats-suicides, qui ont fait au moins 250 morts parmi les civils, dans le cadre d’une campagne de grande ampleur et systématique contre la population civile vivant autour du lac Tchad. Boko Haram a délibérément pris pour cible des civils en commettant des attentats contre des marchés, des mosquées, des zones commerciales et d’autres lieux publics. Le 12 juillet, lors d’un attentat-suicide, une femme a déclenché une charge explosive dans une boutique de jeux vidéo bondée de la ville de Waza, faisant au moins 16 morts et plus de 30 blessés, tous civils. Le 5 août, huit enfants ont été tués et quatre autres blessés dans un attentat-suicide dans le village d’Ouro-Kessoum, près d’Amchidé.
Torture et autres mauvais traitements
Cette année encore, les forces de sécurité ont arrêté arbitrairement des personnes accusées de soutenir Boko Haram, souvent sur la base de preuves minces, voire inexistantes, et parfois en ayant recours à une force injustifiée ou excessive. Les personnes arrêtées ont souvent été placées en détention dans des conditions inhumaines, qui mettaient leur vie en danger. Au moins 101 personnes ont été détenues au secret entre mars 2013 et mars 2017 dans plusieurs bases militaires gérées par le Bataillon d’intervention rapide (BIR) et dans des centres du service de renseignement, où elles ont été torturées et maltraitées1. Ces pratiques systématiques se sont poursuivies en 2017, même si au moins 20 personnes semblent avoir été transférées fin août à la prison centrale de Maroua depuis la base militaire du BIR à Salak.
Il est fort probable que des officiers supérieurs de l’armée basés à Salak aient été au courant des actes de torture, mais n’aient rien fait pour les empêcher. Des militaires américains étaient aussi régulièrement présents à la base du BIR, et une enquête a été ouverte pour déterminer s’ils auraient pu être au courant des violations des droits humains qui y étaient commises ; ses conclusions n’avaient pas été publiées à la fin de l’année.
À la connaissance d’Amnesty International, les autorités camerounaises n’ont mené aucune enquête sur les allégations de détention au secret, de torture et d’autres mauvais traitements, et n’ont rien fait pour empêcher ces pratiques ni pour poursuivre en justice et sanctionner les responsables.
En décembre, le Comité contre la torture de l’ONU s’est dit gravement préoccupé par le recours à la torture et à la détention au secret dans le pays, et il a reproché aux autorités camerounaises de ne pas indiquer clairement si des enquêtes étaient menées sur ces agissements.
Liberté d’expression, d’association et de réunion
Des défenseurs des droits humains, parmi lesquels des militants de la société civile, des journalistes, des syndicalistes, des avocats et des enseignants, ont continué d’être victimes de manœuvres d’intimidation, de harcèlement et de menaces.
Le 17 janvier, à la suite de manifestations dans les régions anglophones du pays, le ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation a interdit les activités du Conseil national du Cameroun méridional (SCNC), un parti politique, et du Consortium de la société civile anglophone du Cameroun (CACSC)2. Le même jour, le président du CACSC, l’avocat Nkongho Felix Agbor-Balla, et son secrétaire général, Fontem Afortekaa Neba, ont été arrêtés après avoir signé une déclaration appelant à des manifestations non violentes. Détenus au secret au Secrétariat d’État à la Défense, ils ont été inculpés, sans aucun fondement, au titre de la loi antiterroriste de 2014. Ils ont ensuite été transférés à la prison principale de Yaoundé, la capitale, puis remis en liberté sur décision du chef de l’État le 30 août, en même temps que 53 autres manifestants anglophones arrêtés entre fin octobre 2016 et février 2017.
Entre janvier et avril, ainsi que début octobre, les services de téléphonie et d’accès à Internet ont été coupés dans les régions anglophones, sans explication officielle.
Le 24 mai 2017, les autorités ont empêché la tenue d’une conférence de presse d’Amnesty International prévue à Yaoundé. Le personnel de l’organisation comptait y présenter plus de 310 000 lettres et signatures pour une pétition demandant au président Paul Biya de libérer trois étudiants emprisonnés pour 10 ans uniquement parce qu’ils avaient échangé une plaisanterie sur Boko Haram par SMS. Aucune justification administrative écrite de l’interdiction de cette conférence de presse n’a été fournie.
Plus de 20 manifestants ont été abattus par les forces de sécurité dans les régions anglophones les 1er et 2 octobre, et plus de 500 ont été arrêtés. D’autres encore, blessés au cours de manifestations, ont été obligés de s’enfuir des hôpitaux où ils recevaient des soins vitaux, par crainte d’être arrêtés. Par ailleurs, de nombreux membres des forces de sécurité, parmi lesquels des soldats et des gendarmes, ont été tués lors d’attaques commises au cours de l’année par des insurgés anglophones dans les régions du Sud et du Nord-Ouest.
Procès inéquitables
Cette année encore, des procès iniques, souvent entachés d’irrégularités, se sont tenus devant des tribunaux militaires.
Le 10 avril, Ahmed Abba, correspondant de Radio France Internationale, a été condamné à 10 ans de prison après avoir été reconnu coupable de « complicité d’actes de terrorisme » et de « non-dénonciation d’actes de terrorisme » par le tribunal militaire de Yaoundé. Son procès a été marqué par de nombreuses irrégularités ; certains documents n’ont notamment pas été communiqués aux avocats de la défense. Ahmed Abba avait été arrêté à Maroua en juillet 2015 et torturé pendant ses trois mois de détention au secret dans des locaux de la Direction générale de la recherche extérieure. Le 21 décembre, la cour d’appel près le tribunal militaire de Yaoundé a ordonné que sa peine soit ramenée à 24 mois d’emprisonnement, qu’il avait déjà purgés. La cour a confirmé le chef de « non-dénonciation d’actes de terrorisme ».
Le procès en appel de Fomusoh Ivo Feh, arrêté en décembre 2014 et condamné à 10 ans d’emprisonnement pour avoir fait suivre un SMS sarcastique sur Boko Haram, n’avait toujours pas commencé à la fin de l’année. Programmée en décembre 2016, la première audience dans cette affaire a été reportée au moins sept fois.
Le 30 octobre, les journalistes Rodrigue Tongué, Félix Ebolé Bola et Baba Wamé, qui avaient été accusés en octobre 2014 de « non-dénonciation » d’informations et de sources, ont été relaxés par le tribunal militaire de Yaoundé. Aboubakary Siddiki, dirigeant d’un parti d’opposition, et Abdoulaye Harissou, notaire bien connu maintenu en détention depuis août 2014, ont été jugés aux côtés des trois journalistes. Le tribunal militaire de Yaoundé a condamné Aboubakary Siddiki à 25 ans d’emprisonnement pour, entre autres, hostilité envers la patrie, activités révolutionnaires et outrage au président de la République. Abdoulaye Harissou a été condamné à trois ans d’emprisonnement et remis en liberté, ayant déjà purgé cette peine. Le procès a été entaché par des irrégularités. Durant leur première phase de détention, les deux hommes avaient été maintenus au secret pendant plus de 40 jours dans un centre illégal de la Direction générale de la recherche extérieure, et soumis à la torture.
Détention
Les conditions carcérales demeuraient désastreuses : surpopulation chronique, nourriture insuffisante, soins médicaux limités, et conditions sanitaires et d’hygiène déplorables. La prison de Maroua accueillait 1 500 détenus, soit plus de quatre fois la capacité prévue. La population de la prison centrale de Yaoundé était d’environ 4 400 détenus alors que sa capacité maximale est de 1 500 prisonniers. Cette surpopulation carcérale était principalement due aux vagues d’arrestations, depuis 2014, de personnes accusées de soutenir Boko Haram, au grand nombre de personnes détenues sans inculpation, et à l’inefficacité du système judiciaire. Les autorités ont achevé la construction d’au moins 10 nouvelles cellules à la prison de Maroua.
Personnes réfugiées ou demandeuses d’asile
Au moins 250 000 réfugiés venant de République centrafricaine vivaient dans des conditions très difficiles dans des camps surpeuplés ou chez des familles d’accueil dans la zone frontalière du sud-est du Cameroun. Environ 60 000 réfugiés venus du Nigeria se trouvaient dans le camp de Minawao, géré par les Nations unies, dans la région de l’Extrême-Nord ; quelque 30 000 autres vivaient péniblement à l’extérieur de ce camp, en proie à l’insécurité alimentaire, sans accès aux services de base, harcelés par les forces de sécurité et menacés de renvoi forcé car perçus comme des sympathisants de Boko Haram.
Le 2 mars, le Cameroun, le Nigeria et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ont signé un « Accord tripartite pour le rapatriement volontaire des réfugiés nigérians vivant au Cameroun ». Cependant, entre janvier et septembre, le Cameroun a renvoyé de force au moins 4 400 Nigérians dans le cadre d’une vaste opération d’expulsion. Selon les estimations de Human Rights Watch, depuis 2015, les autorités et les forces de sécurité camerounaises avaient expulsé sommairement plus de 100 000 Nigérians vivant dans des zones proches de la frontière avec le Nigeria, souvent en ayant recours à une force injustifiée et excessive. Certaines de ces personnes renvoyées de force, dont des enfants, affaiblies par des mois voire des années de manque de nourriture et de soins médicaux, sont mortes pendant leur expulsion.
En décembre, le HCR a indiqué avoir enregistré plus de 5 000 Camerounais, principalement des femmes et des enfants, qui s’étaient enfuis des régions anglophones du Cameroun et réfugiés au Nigeria.
Droit à un niveau de vie suffisant
Le conflit avec Boko Haram a entraîné le déplacement d’environ 240 000 personnes dans la région de l’Extrême-Nord et aggravé la situation déjà difficile des populations, limitant leur accès aux services sociaux de base et perturbant le commerce, l’agriculture et l’élevage. En décembre, près de 3,3 millions de personnes – 61 % d’entre elles se trouvant dans la région de l’Extrême-Nord – avaient besoin d’une aide humanitaire, notamment de nourriture et de soins médicaux. Or, l’acheminement de l’aide humanitaire continuait d’être entravé par le conflit en cours.
Droit à l’éducation
Plusieurs dizaines d’écoles ont été fermées dans les régions anglophones entre novembre 2016 et septembre 2017, à la suite d’appels à la grève et au boycott lancés par des syndicats et des membres de la société civile. Des membres extrémistes de groupes anglophones favorables à la sécession ont mené des attaques contre des établissements scolaires qui « brisaient le boycott ».
Entre janvier et septembre 2017, plus de 30 écoles ont été incendiées et gravement endommagées. Dans la région de l’Extrême-Nord, 139 écoles des départements du Logone-et-Chari, du Mayo-Sava et du Mayo-Tsanaga sont restées fermées en raison de l’insécurité, et au moins huit ont été occupées par les forces de sécurité, ce qui a privé de scolarité près de 40 000 élèves.
Peine de mort
Cette année encore, des personnes accusées de soutenir Boko Haram ont été condamnées à mort à l’issue de procès inéquitables devant des tribunaux militaires, mais aucune n’a été exécutée. Toutes les poursuites avaient été engagées au titre de la loi antiterroriste de 2014, qui présentait de graves failles.