100 ans après la naissance de cette figure de la lutte indépendantiste, le Cameroun peine à se libérer du joug colonial, dans un contexte marqué par la non-intégration de ces icônes dans les programmes scolaires et académiques.
La mémoire d’Ernest Ouandié somme dans l’esprit de Dominique Raoul Tagny comme un élément déclencheur. Son engagement est de poursuivre la lutte pour la libération totale et complète du Cameroun du joug colonial. Ce jeune a pris part, aux côtés des jeunes et vieux, hommes et femmes, au pèlerinage organisé dans le cadre de la célébration du centenaire (1924-2024) de ce nationaliste à Bafoussam et à la chute de la Métché. Pour lui, il est aujourd’hui plus qu’important de connaître cette mémoire de la lutte indépendantiste, afin de la pérenniser dans les esprits des jeunes et de tous les Camerounais. Ainsi, soutient-il, la nouvelle génératrice pourra prendre la mesure du sens de combat engagé par ce héros. Car insiste-t-il, les résultats de l’engagement de cette figure ne sont pas encore perceptibles dans le quotidien des Camerounais. Étonné de la participation modeste des personnes à ce pèlerinage, organisé le jeudi 19 décembre 2024 à Bafoussam, Dominique Raoul Tagny, pense qu’il faut enseigner le modèle Ouandié aux Camerounais. Il propose des sensibilisations sur les réseaux sociaux, des médias et surtout, son insertion dans les programmes scolaires et universitaires. Il confie avoir découvert l’histoire des nationalistes à travers les noms inscrits sur les bus d’une compagnie de transport en commun au Cameroun. « Je découvre Oum Nyobé étant en première année universitaire en 2011. Je vois sur les bus de Buca Voyages, Ruben Oum Nyobe, héros national. Ernest Ouandié, héros national », relate-t-il. Curieux, il s’engage dans la documentation, fait-il savoir. C’est ainsi qu’il découvre « des histoires impressionnantes. Je découvre des jeunes, qui, à mon âge (30 ans aujourd’hui) avaient déjà des visions pour l’avenir du Cameroun ».
Poursuivre le combat
Rendu au lieu de la fusillade sommaire d’Ernest Ouandié, au cœur de la ville de Bafoussam, puis sur sa tombe, Dominique Raoul Tagny a vécu une émotion particulière. « Savoir que ses restes sont ici, cela crée des émotions fortes. J’ai reçu une énergie particulière », confie ce jeune architecte. « Des livres. Des vidéos. Des dessins animés. Il est question qu’on utilise ce qu’on a comme moyens pour perpétuer ces histoires autour de la lutte pour libération du Cameroun. Cette histoire constitue en elle seule, une source de motivation. L’histoire de Jacob Fossi également. Ils n’étaient pas vieux. Ils étaient âgés de 20 à 35 ans. Mais ils étaient déjà prêts à mourir pour une meilleure Cameroun », reconnaît-il. Déçu, il pense que « très peu de jeunes aujourd’hui partagent la même vision, en menant des combats pour des générations futures. Je pense qu’en connaissant leur histoire, c’est une source de motivation et d’engagement pour la jeunesse d’aujourd’hui ». Les séquelles colonialistes.
Le parcours d’Ernest Ouandié est à la fois inspirant, évocateur et déterminant pour l’avenir du Cameroun selon JeanClaude Tchouankap. Né 1924, dans le village de Badoumla, son destin marque l’histoire du Cameroun. Le militant infatigable est devenu, de par son engagement au changement de son pays, l’un des leaders historiques de l’Union des populations du Cameroun (Upc), un parti politique visionnaire qui portait haut les idéaux d’indépendance, de souveraineté et de justice. Ernest Ouandié a consacré sa vie à un rêve. Celui de la libération du Cameroun de la tutelle coloniale et du néocolonialisme, affirme Jean-Claude Tchouankap.
Aux côtés de figures comme Ruben Um Nyobè, Félix Moumié, Ossende Afana, il a défendu une indépendance totale, loin des compromis imposés par les puissances coloniales. Après l’indépendance « nominale » de 1960, il poursuit son combat contre les injustices du régime post-colonial. Malgré les persécutions, l’exil et une guerre civile sanglante, Ernest Ouandié a refusé de renoncer à ses idéaux. Ce martyr, avait mené, de la fin des années 50 à la fin des années 60, la lutte armée pour l’indépendance du Cameroun, puis contre le pouvoir mis en place par l’ancien colonisateur.
En 1971, après un procès inique, Ernest Ouandié fut exécuté à Bafoussam. Mais son sacrifice fit de lui un martyr, une figure éternelle de la résistance et du courage face à l’oppression. Aujourd’hui, son héritage vit en chacun de nous, soutient Jean-Claude Tchouankap. « Cent ans après sa naissance, ses idées continuent d’inspirer des générations entières, nous rappelant que la quête de liberté et de justice est un combat permanent », a-t-il insisté. Les activités de ce pèlerinage ont permis aux participants de se rendre au carrefour Maquisards à Bafoussam. Ce lieu rebaptisé « Carrefour Biao » était destiné à l’exposition des têtes coupées pour dissuader les populations de rejoindre le mouvement de libération du Cameroun contre les forces françaises et camerounaises qui oppressaient le pays.
À la tombe d’Ernest Ouandie, où il a été enseveli sur du Béton armé, les pèlerins ont, à travers un rituel de purification conduit une personne dédiée, en présence des notables de la chefferie Bafoussam, procédé au nettoyage, au recueillement et au dépôt de la gerbe de fleurs. À la chute de la Métché, sur l'axe Bafoussam-Bamenda, non loin du carrefour Bamougoum, devenu un haut lieu de culte traditionnel, d’une hauteur de 50 mètres, tristement célèbre pour avoir été un lieu d’exécution des nationalistes pendant la guerre d’indépendance, jusqu’au geste héroïque et salvateur de Jacob Fossi. « Nous avons choisi de faire une excursion à ce lieu, car c’est également un haut lieu de mémoire, marqué par des massacres des nationalistes camerounais. Nous avons fait visiter les chutes en amont et en aval. Il était précédé d’un rituel de purification et de partage avec les ancêtres, qui n’ont jamais bénéficié d’un tombeau digne », précise Louise Mekah Fossi.
L’engagement des jeunes
L’histoire d’Ernest Ouandié s’inscrit dans le temps. Des réflexions menées jusqu’ici n’ont pas encore pu donner à cet héritage la place privilégiée. S’inscrivant dans cette logique, Louise Mekah Fossi (fille Jacob Fossi) pense qu’il est temps de pérenniser cette mémoire. Engagée dans la poursuite des réflexions critiques sur les séquelles du colonialisme au Cameroun, dans la vie publique que privée, Ernestine Ouandié, la fille de ce martyr, dans un court-métrage film intitulé « Une feuille dans le vent » de Jean-Marie Teno (2014). Dans ce film, Jean-Marie Teno poursuit sa réflexion critique sur les séquelles du colonialisme dans son pays, dans la vie publique comme dans la vie privée. Lui, qui en 2004, a fait la rencontre de la fille de cette figure historique. Elle va lui raconter la vie dramatique de son géniteur. Entre le rejet de sa mère, le poids du silence et l’échec de ses recherches de la vérité sur l’assassinat de son père en 1971 par les autorités camerounaises.
Des personnes engagées dans les activités de célébration du centenaire d’Ernest Ouandié ont visionné cette histoire de 56 minutes, à la fondation La’akam (laboratoire artistique du Cameroun) à Bafoussam. Le film de Jean-Marie Teno retrace ainsi à la fois le drame personnel, l’histoire nationale et la confession de cette dernière. Ils constituent tous ensemble, un témoignage aussi exceptionnel sur le plan humain que sur le plan historique. Ernestine mettra fin à ses jours cinq ans plus tard, après cette rencontre. Ayant conservé les images de ce récit, il décide d’en tirer un film lorsqu’il apprend qu’Ernestine a mis fin à ses jours en 2009. Ce film revient ainsi sur le destin tragique d’une vie broyée par l’histoire. Celle de son géniteur, engagé dans la libération coloniale du Cameroun. Elle, qui n’a pas connu son père parti trop tôt.
Pour Guillaume-Henri Ngnépi, de l’UPC Manidem, une nation qui renie son histoire est comme une feuille dans le vent. Elle quitte sa tige et ses racines pour disparaitre sans trace. Louise Mekah Fossi est satisfaite de la détermination des jeunes à s’intéresser à l’histoire. « Les jeunes ont besoin d’avoir des armes pour se battre et s’affirmer. C’est leur armée pour libérer définitivement le pays des jougs du néocolonialisme et autres. Nos parents n’ont pas été des poltrons. On veut nous faire croire cela. Nous ne voulons pas croire », affirme-t-elle. Pour rendre ces mémoires de la lutte de la libération toujours vivante, la fille de Jacob Fossi, préconise des activités autour ces figures historiques. « A force d’en parler, on le saura. François Hollande a accepté qu’il y a eu des exactions françaises au Cameroun, c’est déjà un pas. J’ai eu à fouiller dans les services français. Il fallait attendre 60 à 75ans. Le temps que les générations disparaissent pour qu’il n’y ait pas de trace. Heureusement pour nous, il y a Internet aujourd’hui. Un jour, nous aurons la vraie indépendante. Car ils disaient, même s’il reste un Camerounais, on aura l’indépendance », a relaté Louise Mekah Fossi.