Le comité d'éthique de la Fifa manque d'indépendance et l'instance dirigeante du football contrôle l'Afrique pour des raisons stratégiques, a affirmé Ahmad, l'ancien président de la Confédération africaine de football (Caf), à l'issue de sa suspension de deux ans.
L'homme de 63 ans, qui avait pris la tête de la Caf en 2017, avant sa suspension en 2020 pour infraction de plusieurs codes d’éthique de la Fifa, dit vouloir aider le football local à Madagascar, son pays d'origine, après avoir fait son retour dans le milieu en décembre.
Son ancien allié Gianni Infantino qui est réélu pour un nouveau mandat de quatre ans, alors qu’aucun autre candidat n’a souhaité se présenter pour contre lui au Rwanda, la première élection à se dérouler sur le sol Africain. Une situation qui témoigne de l’influence qu’exerce le président de la Fifa dans le monde du football.
Ahmad assure avoir été banni après son refus de suivre les objectifs d’Infantino, et notamment suite à sa décision de mettre fin à la mission de la Fifa au siège de la Caf en Egypte en février 2020.
"Ma suspension était politique", a déclaré Ahmad à BBC Sport Africa, qui se souvient d’une réunion houleuse entre la Caf et la Fifa au Maroc.
La secrétaire générale de la Fifa Fatma Samoura avait servi de "déléguée générale pour l'Afrique" au Caire pendant six mois pour apporter son expertise en matière de gouvernance. Infantino aurait quitté la réunion en claquant la porte, suite à la décision de l'instance dirigeante du football africain de ne pas prolonger cet accord sans précédent avec la Fifa.
"Fatma nous a beaucoup aidés, mais au bout de six mois, nous avions obtenu ce que nous voulions et nous n'avons donc pas prolongé la mission, mais cela a irrité les gens de la Fifa - Gianni était en colère", a affirmé Ahmad.
"En quittant la réunion, certains membres de la Fifa ont dit à mes collègues que j'avais signé mon arrêt de mort. Qu'est-ce qu'un arrêt de mort dans le football ? C'est certainement l’utilisation du Comité d'éthique, l'arme fatale qu'ils utilisaient à l'époque".
Un mois après le rejet de l’offre de la Fifa par l’Afrique, Ahmad a appris qu'une enquête avait été ouverte à son encontre au sein de la Commission d’éthique, l'instance zurichoise ayant finalement donné suite aux informations reçues par un dénonciateur (Amr Fahmy, alors secrétaire général de la Caf) un an plus tôt.
En novembre 2020, la Commission d'éthique a condamné Ahmad à une suspension de cinq ans et une amende de 200 000 dollars. L’instance a jugé qu'il avait enfreint les codes relatifs au devoir de loyauté, à l'offre et à l'acceptation de cadeaux, à l'abus de pouvoir et au détournement de fonds.
Aujourd'hui en retrait de l'administration du football, Ahmad estime que la preuve du caractère politique de sa suspension se trouve dans la décision du Tribunal arbitral du sport (Tas), la plus haute instance juridique dans le monde sportif, de réduire sa sanction de plus de la moitié en 2021.
"Conformément au Code d'éthique de la Fifa, les membres de la Commission d'éthique doivent gérer leurs enquêtes et procédures et rendre leurs décisions en toute indépendance et impartialité et éviter toute influence de tiers", a déclaré un porte-parole de la Fifa, en réponse aux allégations selon lesquelles Infantino aurait personnellement référé le cas d’Ahmad à la Commission d'éthique.
"Gianni Infantino a présidé une organisation qui, en sept ans, a multiplié par sept ses investissements dans toutes les associations du football à l’échelle mondiale - ce n'est pas de la propagande, ce sont des faits", a ajouté Bryan Swanson, directeur de la communication de la Fifa.
"De manière générale, les tentatives visant à le discréditer sont agaçantes et alimentées par ceux qui ne peuvent pas accepter que sous sa direction, la Fifa est désormais efficace, bien gouvernée et adaptée à son objectif ".
L'ancien membre du Comité exécutif de la Caf affirme que certains hommes proches d'Infantino lui auraient indiqué qu’il pourrait échapper à l’interdiction - ayant déjà été reconnu coupable de détournement de fonds de la Fifa, d’obtention de bénéfices et de conflits d'intérêts - s'il soutenait l'accord avec Samoura.
"Ces gens m'ont dit que si je n'étais pas d'accord avec Gianni, ils allaient me punir. J'ai répondu ‘je préfère courir à ma ruine plutôt que d’accepter que vous veniez prendre le contrôle du football africain", a déclaré Bility à l'émission World Football de la BBC.
"Ce chantage de la Fifa doit cesser."
Bility demande aussi pourquoi - bien que reconnu coupable en février 2019 - il n'a été banni qu'en juillet, soulignant que sa sanction est intervenue une semaine après s'être publiquement opposé à ce qu'il a appelé la "prise de contrôle hostile" de la Caf par la Fifa, et un jour après avoir déposé un dossier contre la nomination de Samoura au Tas.
"Vous prenez un type qui se dresse contre vous et vous le suspendez le lendemain en disant qu'il a commis un crime six ans plus tôt. Cela vous paraît-il logique ? Donc c'était ok tant que j'étais d'accord avec lui... ?"
Interrogée sur les affirmations de Bility concernant le chantage et un éventuel accord, la Fifa a refusé d'y répondre directement, se contentant d'évoquer le jugement de la Commission d'éthique et sa décision de le bannir.
L'attitude de la Fifa concernant la mise en œuvre et l'application des règles révèle en tout cas des incohérences.
L'année dernière, alors que le Cas a complètement annulé l'interdiction prononcée par la Commission d'éthique à l'encontre de l'ancien président de la Caf, Issa Hayatou, le Camerounais a réprimandé Infantino alors qu'ils se croisaient le jour même, déclarant : "Vous vouliez ma mort, mais je suis toujours en vie".
Par ailleurs, l'ancien président de la fédération de Sierra Leone, Isha Johansen, a été autorisé à rester au pouvoir pendant huit ans sans organiser d'élections, alors que les règles de la Fifa stipulent que celles-ci doivent avoir lieu tous les quatre ans.
La Fifa n'a pas directement répondu à une question sur le mandat prolongé de Johansen, qui siège désormais au Conseil de la Fifa, le conseil d'administration mondial de l’organisation.
"La Commission d'éthique indépendante est l'un des organes judiciaires de la Fifa", a déclaré le porte-parole de la Fifa, M. Swanson.
"Elle est composée de membres qui ont des connaissances, des capacités et une expertise spécialisée et leurs décisions sont publiées conformément à la nouvelle Fifa, qui est transparente."
"L'objectif de la Fifa est d'avoir l'Afrique de son côté, car elle sait que la majorité des Africains suivront toujours les instructions de la Fifa. »
Ahmad affirme qu'il ne s'est présenté à la présidence de la Caf qu'après en avoir été persuadé par Infantino lui-même.
La décision de Hayatou de voter contre l'Italo-Suisse lors des élections de la Fifa en 2016 avait créé des "différences irréconciliables" entre les deux hommes."Gianni voulait un candidat pour éliminer Hayatou - tout le monde le savait", a déclaré Ahmad. "Gianni m'a convaincu de le faire".
La Fifa a refusé de commenter spécifiquement sur ces affirmations, mais a souligné que le président de la Caf est élu par son congrès, composé de tous les membres de la Caf.
Lors de l'élection suivante de la Caf, la cote d'Ahmad avait chuté.
Néanmoins, en octobre 2020, et malgré l'enquête en cours contre lui, il a annoncé sa candidature pour un second mandat présidentiel à la Caf - une décision rapidement suivie par la fuite du rapport de la Commission d'éthique indiquant qu'Ahmad serait reconnu coupable.
Au vu du caractère fermé et indépendant du Comité d'éthique, de sérieuses questions se posent sur la source de la fuite et du moment choisi, alors même qu'Ahmad avait proclamé le soutien de 46 des 54 présidents de la fédération, en vue des élections de mars 2021.
Ahmad assure ne pas être la source des diverses fuites dans les médias, y compris un audit accablant de la Caf.
"Il y a eu beaucoup de fuites, mais pas de mon côté - je n'ai jamais fait cela de ma vie", a-t-il affirmé. "Qui avait donc intérêt à le faire ? Seulement la Fifa".
À quelques jours de la fin du délai de trois semaines accordé aux candidats pour exprimer leur intérêt, seul Ahmad s'était déclaré. Mais après la fuite concernant sa suspension imminente, quatre autres candidats se sont manifestés.
La Fifa a refusé de commenter les accusations d'Ahmad selon lesquelles elle aurait divulgué des documents.
À la veille des élections de la Caf de 2021, et malgré son principe général interdisant "l'influence indue de tiers", deux des principaux lieutenants d'Infantino - le secrétaire général adjoint Matthias Grafstrom et le responsable des associations membres de l'époque, Veron Mosengo-Omba - ont été aperçus avec ces quatre candidats (Ahmad étant désormais hors course).
Quelques heures plus tard, la Fifa supervisait l'accord "d'unité" par lequel les rivaux Jacques Anouma (Côte d'Ivoire), Augustine Senghor (Sénégal) et Ahmed Yahya (Mauritanie) acceptaient une proposition "qui nous a été soumise par la Fifa, le Maroc et l'Égypte", par laquelle ils s'effaçaient au profit de Patrice Motsepe, alors président du club Mamelodi Sundowns d'Afrique du Sud.
Ahmad avait précédemment affirmé qu'on lui avait "demandé de prendre la direction" de la Caf, mais n’avait pas précisé qui avait formulé la demande. En décembre, le milliardaire a exprimé son désir d'être associé au football parce qu'il "m’exposera davantage à mes clients".
Deux semaines après le couronnement de Motsepe, Mosengo-Omba - un vieil ami d'Infantino et ancien collègue d'université - a été nommé secrétaire général de la Caf, la fonction la plus importante au sein de l'organisation.
A la question de savoir s'il pense que la Fifa veut contrôler l'Afrique pour influencer les votes lors de l'élection du Président , Ahmad a répondu "oui", en ajoutant qu’ « avec la Caf derrière elle, la Fifa fait ce qu'elle veut".
Peu après l'élection de Motsepe, l'Afrique s’est ralliée au projet de la Fifa pour une Coupe du monde bisannuelle. La Caf a soutenu l’idée "à l'unanimité", malgré le conflit évident avec la Coupe d'Afrique des Nations qui se déroule également tous les deux ans.
Interrogé l'an dernier sur l’intention de la Fifa de contrôler la Caf pour, en partie, atteindre ses propres objectifs d’une Coupe du monde bisannuelle, Infantino a déclaré à BBC Sport Africa que les deux organismes étaient simplement "en consultation".
La même question a été posée à Motsepe.
"L'avenir du football africain sera pris en charge exclusivement par les dirigeants africains, qui ne sont ni assez ignorants ni assez naïfs pour ne pas reconnaître que nous avons besoin de partenariats pour réussir et grandir - et la Fifa est notre partenaire le plus important", a-t-il déclaré à la BBC.
"Je suis convaincu que la Caf va travailler avec la Fifa, avec Gianni".
Une proposition conjointe Fifa-Caf visant à développer une Super Ligue africaine est en cours. Elle pourrait bénéficier aux plans d'Infantino pour Coupe du monde des clubs élargie, étant donné que les équipes africaines devraient théoriquement se renforcer.
Aujourd'hui Jeudi, le président de la Fifa est réélu par acclamation pour un troisième mandat. La scène s'est déroulée sur le sol africain, à l’image de l'influence qu’il a sécurisée sur le continent - et par extension sur la planète - au cours des dernières années.
"Infantino a le soutien de plus de 200 associations dans le monde pour le congrès électoral et incontesté de la Fifa à Kigali le 16 mars", a ajouté M. Swanson, porte-parole de la Fifa.
"Il est ému et honoré de pouvoir servir la communauté du football pendant les quatre prochaines années".