Quelques hauts responsables sont décidés à dépouiller la douane de ses missions pour les attribuer à une société privée suisse.
Alors que la tendance mondiale est au rejet de ces sociétés privées d’inspection qui n’apportent aucune valeur ajoutée, mais qui facturent leurs prestations à prix d’or.
Va-t-on vers un démantèlement de l’administration douanière camerounaise ? Si le concept parait plutôt osé, quelques hauts responsables de l’Etat semblent déjà avoir intégré cette éventualité et y travaillent avec une détermination suspecte.
En effet, un projet de contrat est en cours entre le Cameroun et la Société générale de surveillance (SGS) pour dépouiller la douane camerounaise des ses prérogatives régaliennes et les confier à cette entreprise privée suisse. Dans ce cadre de ce projet de contrat la SGS disposerait, sur une période de dix ans, de toutes les missions d’inspection et dévaluation des marchandises.
Autant dire qu’il s’agira d’une douane privée, et que les douaniers camerounais se contenteront de se tourner les pouces.
Problème : ce projet de contrat surgit
alors que le bilan de la SGS est fortement critiqué au Cameroun, et celles des autres sociétés semblables à travers le monde le sont également. Car au final, les Etats qui ont conclu ces contrats par le passé le regrettent généralement.
A tel point que dans une déclaration faite le 20 juin 2013, les Douanes d’Afrique de l’Ouest et du Centre se sont clairement prononcées contre le renouvellement des contrats de ces entreprises privées dites d’inspection qui représentent tout au plus un goulot d’étrangement supplémentaire qui plombe la compétitivité des opérations du commerce extérieur : « dans la région de l’Afrique occidentale et centrale, de nombreux contrats prévoyants la prestation de services d’inspection (tant avant expédition qu’à destination) sont en place. Aux termes de ces contrats, des entreprises du secteur privé exécutent une série de fonctions pour le compte des gouvernements, y compris la détermination des taxes et droits de douane applicables aux marchandises importées, la gestion des risques et le contrôle des marchandises qui franchissent les frontières internationales.
Dans certains cas, ces contrats se sont avérés préjudiciables au renforcement des capacités de la douane et ont entravé la réalisation des avantages escomptés, notamment le transfert de compétences et de connaissances à la douane ».
Contrat préjudiciable
Pour éviter la mise en place de ces contrats préjudiciables aux pays où ces entreprises privées sont implantées, les douanes africaines estimaient que les gouvernements devraient offrir aux administrations des douanes la volonté politique et le soutien leur permettant d’exercer la responsabilité d’assumer les fonctions douanières couvertes par les contrats existants, mais surtout, « impliquer pleinement les administrations des douanes dans les négociations contractuelles lorsque des circonstances exceptionnelles exigent la conclusion ou l’extension de tels contrats (dans une situation de reconstruction suite à un conflit par exemple) ; et veiller à ce que ces contrats soient de courte durée et prévoient le transfert des compétences, des connaissances, de la technologie et des mesures de performance appropriées, ainsi que des dispositions concernant leur gestion, en vue de garantir le respect des obligations contractées dans le cadre d’engagements internationaux (Accord de l’OMC sur l’évaluation par exemple) ».
Autant le dire, ceux des hauts fonctionnaires qui veulent entrainer le Cameroun dans ce contrat rament à contre courant des intérêts de leur pays et ils le savent bien, puisqu’ils sont pour certains des cadres aguerris des métiers de la douane. A se demander s’ils n’ont pas fait passer leurs propres intérêts avant ceux de tout un peuple.
Si le projet d’accord stipule que les inspections se passent à l’étranger, il n’en est pourtant rien dans la pratique, car cette société privée, qui facture ses prestations tant à l’Etat qu’aux opérateurs économiques en plus des coûts classiques des opérations du commerce extérieur, se contente en général de scanner les conteneurs sur place au Cameroun (quand leur scanner n’est pas en panne). Autant dire qu’il n’y a de ce point de vue aucune valeur ajoutée, puisque le Cameroun peut lui même acquérir des scanners comme on l’a vu récemment avec les scanners mobiles de la Douane, pour traquer les fraudeurs.
En Afrique, le dernier exemple en date d’un pays refusant ces sociétés privées d’inspection est celui du Togo. Le commissaire général de l’Office togolais des recettes a récemment demandé le soutien de l’Organisation mondiale des douanes (OMD) pour l’assister dans son initiative de réappropriation des missions externalisées à la société d’inspection. La première priorité sera donnée à l’évaluation en douane.
La Mauritanie et le Nigeria ont déjà réussi en la matière et l’OMD soutient également le Ghana et la RD Congo d’une manière substantielle pour leur permettre de quitter le joug des sociétés privées d’inspection qui n’apportent rien mais qui s’enrichissement indument au détriment des Etats et des opérateurs économiques.
Dans le cas du Cameroun, cette volonté de renouveler et d’étendre le contrat de la SGS déçoit, au delà même des frontières. Car la Douane camerounaise est citée en exemple à travers le monde pour ses performance ces dernières années et les reformes mises en place pour renforcer son efficacité en matière de recettes et de surveillance des frontières. Les outils technologiques tels que le suivi des marchandises par GPS, la mise en œuvre du système Sydonia pour simplifier les procédure et raccourcir les délais des transactions, et même l’expérimentation des scanners mobiles pour traquer les cargaisons frauduleuses sont autant de mesures saluées dans d’autres pays, où on invite régulièrement les douaniers camerounais pour venir donner des leçons.
Autres mauvais exemple montré par les sociétés d’inspection, c’est en Côte d’Ivoire. Ce pays était réputé pour avoir une des douanes les plus performantes au cours des dix dernières années. Mais il y a deux ans, une société privée d’inspection a été recrutée. Et depuis, les recettes sont en chute libre. C’est probablement ce que recherchent ceux qui dans la haute administration, ferraillent dur pour que la SGS prennent le relai de la douane au Cameroun.