La guerre des mots - Quand le vocabulaire du pouvoir trahit son inquiétude

Candidats Tchiroma Biya.png Image illustrative

Wed, 15 Oct 2025 Source: www.camerounweb.com

"Grotesque canular", "forfaiture inadmissible", "escroquerie politique", "viol massif des consciences"... Rarement le pouvoir camerounais aura employé un vocabulaire aussi virulent contre un opposant. Selon les documents officiels consultés par Jeune Afrique, les réactions du gouvernement et du RDPC face à Tchiroma Bakary révèlent bien plus qu'une simple indignation : elles trahissent une profonde inquiétude du régime.

Jeune Afrique a analysé les communiqués publiés le 14 octobre par Paul Atanga Nji, ministre de l'Administration territoriale, et Jacques Fame Ndongo, ministre et secrétaire national à la Communication du RDPC. Le constat est frappant : jamais depuis 2018 et la contestation de Maurice Kamto, le pouvoir n'avait utilisé des termes aussi durs.

Le ministre Atanga Nji, rapporte Jeune Afrique, qualifie la déclaration de Tchiroma Bakary d'"imposture" et d'"acte irresponsable", évoquant même une "démarche conspirationniste". Mais c'est le RDPC qui franchit un cap supplémentaire dans la violence verbale. Le parti au pouvoir dénonce un "grotesque canular" et une "forfaiture inadmissible", selon le communiqué consulté par Jeune Afrique.

Les révélations de Jeune Afrique mettent en lumière l'argument juridique central du pouvoir : l'accusation d'usurpation des prérogatives du Conseil constitutionnel. Le communiqué du RDPC, signé de Jacques Fame Ndongo et rapporté par le média panafricain, accuse Tchiroma Bakary d'avoir annoncé des "chiffres préfabriqués" issus d'un "cabinet occulte".

Cette formulation, notée par Jeune Afrique, est particulièrement significative. En parlant de "cabinet occulte", le RDPC suggère l'existence d'une structure parallèle qui défierait l'État. Le parti rappelle que "selon la loi, seuls les procès-verbaux officiels validés par les mandataires des partis et le Conseil constitutionnel peuvent servir à la proclamation des résultats", précise Jeune Afrique.

L'analyse des communiqués par Jeune Afrique révèle une stratégie en deux temps. D'abord, la disqualification morale et juridique de l'adversaire à travers un vocabulaire méprisant. Ensuite, l'annonce d'une répression imminente. Paul Atanga Nji déclare ainsi, selon les informations rapportées par Jeune Afrique : "L'attitude arrogante et irresponsable du candidat sera traitée le moment venu avec rigueur et fermeté. Force restera à la loi".

Cette formule, "le moment venu", relevée par Jeune Afrique, est lourde de sens. Elle indique que le pouvoir ne souhaite pas intervenir immédiatement, préférant d'abord laisser Elecam proclamer les résultats officiels. Mais elle annonce clairement des poursuites judiciaires, voire une intervention sécuritaire contre Tchiroma Bakary.

Paradoxalement, les révélations de Jeune Afrique suggèrent que cette virulence verbale pourrait trahir une inquiétude réelle du pouvoir. Si Tchiroma Bakary ne représentait aucune menace sérieuse, pourquoi mobiliser un tel arsenal lexical ? Pourquoi le RDPC parle-t-il de "viol massif des consciences" et d'"escroquerie politique à des fins inavouées" ?

Le communiqué du RDPC consulté par Jeune Afrique se conclut par une déclaration défensive : "Le RDPC ne cédera ni à la provocation, ni aux pièges, ni aux grivoiseries de celui qui ourdit cette vaste escroquerie politique". Cette accumulation de termes négatifs – provocation, pièges, grivoiseries, escroquerie – révèle, selon l'analyse de Jeune Afrique, un parti qui se sent obligé de se justifier, de rassurer sa base.

Les informations recueillies par Jeune Afrique permettent d'établir un parallèle instructif avec 2018. À l'époque, c'est Issa Tchiroma Bakary lui-même qui, en tant que ministre de la Communication, dénonçait Maurice Kamto. Mais le vocabulaire employé alors était moins violent que celui utilisé aujourd'hui contre l'ancien ministre.

Cette différence de ton, notée par Jeune Afrique, pourrait s'expliquer par le profil particulier de Tchiroma Bakary : ancien cadre du régime, ministre pendant des années, il connaît les rouages du système de l'intérieur. Sa contestation, rapporte le média, est perçue comme plus dangereuse car elle vient de quelqu'un qui maîtrise les codes et les faiblesses du pouvoir.

La guerre des mots analysée par Jeune Afrique révèle ainsi qu'au-delà de l'indignation affichée, c'est une véritable stratégie de disqualification totale qui est mise en œuvre, témoignant de l'enjeu que représente cette élection pour la survie du système Biya.

Source: www.camerounweb.com